Dans son premier film « Fidelio », la réalisatrice Lucie Borleteau brosse le portrait, tout en nuance, d’une femme libre : Alice, mécanicienne sur un navire. A bord du cargo, elle va répondre aux sirènes de ses désirs. Libre sans se revendiquer féministe, mais certainement plus que beaucoup d'autres...
Elle prend le large. Alice, mécanicienne de 30 ans, vient remplacer un collègue décédé à bord du cargo, le « Fidelio ». Ce monstre d’acier est le théâtre d’un huis clos (« Tout ce qui se passe en mer reste en mer ») entre l’héroïne et l’équipage masculin. Le récit, orchestré brillamment par la réalisatrice Lucie Borleteau, relève à la fois de la fiction et du documentaire. Ce vieux bateau, constamment rafistolé et bon pour la casse, voit sa route sans cesse déviée par les cours de la bourse. La réalisatrice s’attache à peaufiner la vie au large dans ce décor réaliste et hostile, parfois. Elle raconte : les risques encourus par l’équipage dans la salle des machines au vrombissement assourdissant, les inégalités salariales entre les marins français, roumains, philippins, les bizutages à bord et la prostitution en escale.
En embarquant, Alice est la seule femme à bord au milieu d’une dizaine d’hommes de nationalités différentes. Un univers marin très masculin mais pas aussi macho que l’on pourrait penser. L’un d’eux, bon père de famille qui la surnomme « Mimi Cracra » essaiera quand même de la violer en pleine nuit. Sans se taire, Alice reste discrète, à bord, sur cet épisode et parvient à évincer son collègue du bateau. Déterminée, inflexible. Elle tient sa place de mécanicienne et de femme. A bord, elle parvient facilement et simplement à se faire une place parmi ces hommes dont elle apparaît l’égal dans ce travail qui la passionne. Jamais ses qualités professionnelles ne sont remises en question. Comme si le film assumait, comme cela devrait l’être dans la réalité, que le débat entre l’égalité homme/femme se joue ailleurs. Jamais, Alice ne met de côté sa féminité ni ses désirs sexuels : pour Gaël (Melvil Poupaud) son premier amour devenu commandant du bateau, pour son amoureux Félix (Anders Danielsen Lie) laissé à terre, et pour son élève une fois qu’elle devient chef mécano. Elle est libre de ses amours, de ne pas choisir aussi entre Félix et Gaël.
Car Alice veut « tout » en amour. Et comme les autres marins à bord, elle confie dans une scène autour de la table du dîner, qu’elle aussi a couché avec des hommes au quatre coins du monde. Avec son ton aussi grivois que celui de ses collègues, la seule femme du navire devient un homme comme les autres.
Interview d'Ariane Labed et Lucie Borleteau
Interview réalisée par J-B.Viaud et H.Labourdette
Chargement du lecteur...
Sans vraiment être féministe, la réalisatrice parvient à montrer dans son premier film la normalité de la vie de cette femme libre quand elle prend le large. Son personnage est porté avec finesse par l’actrice Ariane Labed, prix de la meilleure interprétation féminine au festival suisse de Locarno en 2014. A terre, Alice confie à son amoureux qu’elle ne se trouve pas « normale » parce qu’elle ne pense pas pouvoir donner autant qu’elle le devrait à Félix qui l’attend. Alice a toujours son cœur tourné vers l’horizon.