Et si on parlait féminisation des métiers ? Et oui, n’en déplaise à certain.e.s, tout se féminise, même le monde agricole. En France, 37 % des agriculteurs sont des agricultrices, l’un des principaux syndicats agricoles est présidé par une femme, Christiane Lambert. Il est donc temps de mettre au placard la vieille combi du fermier aux champs, pour des tenues aux mensurations, plus féminines. Anecdotique ? Pas si l'on considère que le diable se cache dans les détails...
Imaginez la bande annonce d'une certaine émission de téléréalité à succès, qui parle d’amour et de vaches, veaux, cochons, à la manière d'une agence matrimoniale des temps modernes … Vous la reconnaissez cette fameuse combi, en général de couleur vert foncée, l'uniforme du parfait paysan, celui qu’on enfile avec ses bottes dès potron-minet pour partir à la traite, ou pour sillonner les prés au volant d’un tracteur. Imaginée et conçue par et pour … les hommes, depuis toujours.
Et bien alors quoi, on fait comme si ? Comme si le monde agricole du 21ème siècle continuait de ressembler à celui de nos arrières et grands-parents, l’homme aux champs, la femme aux fourneaux ? Image fausse, faut-il d'ailleurs le préciser, car depuis longtemps, femme d’agriculteur veut aussi dire agricultrice, et aujourd’hui n’en parlons même pas. En France, plus d'un tiers des agriculteurs sont des agricultrices, avec ou parfois sans homme à leurs côtés…
Voilà qui représente donc un marché pas si inintéressant que ça, n'est-ce-pas, bien au contraire. C’est sans doute ce qu’a bien compris le site de vente en ligne de vêtements et d’outils agricoles larecolte.fr.
« Nous vendons chaque année près de 2 000 combinaisons de travail. 95 % de nos acheteurs sont des hommes et 5 % des femmes, alors qu’elles représentent 1/3 de la profession. Nous avons donc eu l’idée de lancer une réflexion sur la féminisation de ce vêtement où la marge de progression est grande », explique Vincent Leman, co-fondateur de larecolte.fr.
« On avait eu des remontées de clientes qui achetaient nos combinaisons sur le site, et qui n'étaient pas totalement satisfaites. Et aussi, on a eu envie de se différencier de nos concurrents, on cherchait un produit novateur. »En 2016, il décide de faire appel à Clivia Nobili, une créatrice de prêt à porter de la région lilloise, et lui demande de
«réinterpréter la traditionnelle combinaison agricole, très peu adaptée à la morphologie des femmes, pour la rendre plus féminine et plus actuelle, tout en restant fonctionnelle. »La combi est dans le pré, l'amour est dans la combi
Voilà pour le cahier des charges. Pour le respecter, impossible de ne pas faire appel aux principales intéressées, les agricultrices. Plusieurs jeunes femmes sont donc sollicitées par le distributeur, afin de jouer les testeuses. L'une d'elle, Lydie Lenglet, est conductrice de poids-lourd, elle transporte chaque jour des animaux d’élevage. La jeune femme a aussi diversifié ses activités en créant une maison d'hôte dans la Baie de Somme.
On nous a demandé ce qu'il nous manquait au quotidien. Quels étaient nos besoins. C'est fou qu'il ait fallu attendre 2017 pour qu'on nous pose enfin la question.
Lydie Lenglet, agricultrice
« C'est tout d'abord une amie à moi, Lucie, qui a été contactée et qui m'a alors demandé de faire partie de l'aventure. On s'est tout de suite dit, mais oui, bien-sûr, il faut absolument transformer cette "satanée" combi. Avec de la couleur, de la joie, une mise en valeur de la taille... Il a fallu se concerter pour voir ce qui était plus pratique, les zips, les poches, etc », nous confie Lydie Lenglet.
Mais pour elle, la confection d'une combinaison pour femmes agricultrices va bien au-delà de l'unique aspect vestimentaire, voilà enfin l'occasion d'une prise de conscience, sorte de reconnaissance, tardive, de l'existence même d'un statut d'agricultrice.
« On nous a demandé du coup ce qu'il nous manquait au quotidien. Quels étaient nos besoins. C'est fou qu'il ait fallu attendre 2017 pour qu'on nous pose enfin la question. Car il faut bien le dire, nous les agricultrices, on n'est pas reconnues, tout comme la profession tout entière qui ne l'est pas non plus ! Dans l'émission 'L'Amour est dans le pré', vous voyez bien aujourd'hui qu'il y a des femmes seules qui dirigent leur exploitation. Moi, fille d'agriculteur, je transporte chaque jour des bêtes, je suis mariée à un négociant en bestiaux, et j'ai deux filles. Par peur de l'avenir, elles s'orientent vers autre chose. On va dire qu'elles n'ont pas été atteinte par le virus comme moi ! », s'exclame-t-elle, du ton de celles qui n'ont pas froid aux yeux, et cela par tous les temps.
Nous sommes toutes des "working girls", on travaille tous les jours, on a donc besoin de se sentir bien et à l’aise dans nos tenues.
Clivia Nobili, créatrice de mode
Pour la créatrice de prêt à porter, Clivia Nobili, cette conception répondait à une réflexion de longue date :
« Pour la petite histoire, j’ai travaillé plus jeune avec mon père qui est peintre, et je me suis très vite aperçue que il n’y avait pas de remise en question sur la féminisation des métiers et notamment chez les personnes qui font des vêtements de travail. C’est un défi qui m’a donc tout de suite intéressée. Tout d’abord d’un côté pratique, car en tant que styliste et créatrice de prêt à porter, je me devais aussi de porter un « joli » regard sur les personnes qui portent au quotidien des vêtements de travail. J’ai toujours revendiqué le fait de vouloir fabriquer des vêtements pour les ouvrier.e.s des temps modernes que nous sommes devenu.e.s toutes et tous, hors des usines, nous sommes toutes des "working girls", on travaille tous les jours, on a donc besoin de se sentir bien et à l’aise dans nos tenues. Des vestes avec des poches, c’est bien, des robes avec des poches aussi. Ce sont les détails des vêtements de travail au quotidien qui m’intéressaient. » La créatrice nous explique que lors de leur première visite chez le fabriquant de combinaisons, le seul modèle qu’il proposait pour femmes, était en fait une combinaison d’homme qu’il avait descendue en taille et en gradation, sans aller plus loin.
Quand elle rencontre les agricultrices
"testeuses", elle leur dit
« visiblement, cette combi ne vous va pas, donc au final vous travaillez en jeans ? Ca leur a parlé tout de suite ! Elles m’ont répondu, ah oui comment vous avez deviné ? ».
« Au final, on a repris le patronnage d’une combinaison pantalon que j’avais déjà conçue dans une de mes collections de prêt à porter. Ensuite, on a essayé de réfléchir à un cahier des charges. Une poche poitrine, une autre latérale pour le portable, une glissière pour y ranger ses lunettes, des zips en métal, le côté futé, un tissu de bonne qualité, et aussi de la couleur. On n’allait pas refaire une combinaison verte de plus ! », précise la créatrice
, qui ajoute qu'il a aussi fallu monter en gamme et faire accepter que ce produit soit un peu plus cher que ce que le fabriquant et le distributeur imaginaient au départ.
Ces petits détails qui améliorent le quotidien des agricultrices
Après plusieurs mois de réflexion, d’essayages, la conception du modèle est finalisée : une coupe plus ajustée, des choix de couleurs flashy, comme du jaune, du rouge vif ou du framboise, ainsi qu'une série de petits détails qui font beaucoup au quotidien : une boutonnière attache-lunettes, deux poches sur les côtés pour y mettre un petit calepin par exemple, une autre poche sous le bras pour le téléphone portable, des manches zippées, une taille réajustable et cintrée... La nouvelle combi-star fait son premier défilé fin février 2017 lors d'une présentation officielle au Salon International du Machinisme Agricole (Sima) à Villepinte.
Dès le lancement, il y a eu près de 800 pièces commandées. Depuis, près de 1000 combis ont été vendues.
« Pas mal pour la petite structure que nous sommes - nous dit Vincent Leman -
Les deux couleurs les plus demandées sont framboise et jaune. Aujourd'hui, on se demande comment récidiver maintenant ? Peut-être en proposant d'autres couleurs, des accessoires, un complément de gamme. On en est là pour le moment de notre réflexion, mais ça donne envie d'aller plus loin ! ».Plus loin ? En tout cas, les retours ont été très positifs pour Clivia Nobili
, « J'ai reçu beaucoup d'encouragement de mes clients habituels. Et puis on est loin du cliché de la paysanne qui fait 120 kg et qui achète son tablier à l’épicerie du coin ! Ici, il s’agit de femmes qui ont entre 30 et 50 ans et qui se battent pour leur métier. Elles font du 40, elles sont hyper mignonnes, et hyper féminines ! », s'exclame la styliste, prête à renouveler l'expérience pour, qui sait, d'autres modèles.
Le prix ? Un peu plus de 40 euros, un tout petit peu plus cher que pour une combi homme. Un petit plus pour beaucoup plus de confort, et surtout de reconnaissance.