Et encore maintenant, 35 ans après, tout et tout le monde lui rappelle en permanence l’existence de Goscinny. « Lorsque je suis en promo les gens le confondent avec
Uderzo. Alors parfois je joue le jeu, je laisse penser qu’Albert est mon père, ou alors à leur question « pourquoi il n’écrit plus » je réponds qu’il est parti aux Etats-Unis. Je dois prendre les choses au troisième degré sinon j’en crève. »
Jusqu'à 9 ans, Anne était une petite fille très structurée, vivant avec des parents qui formaient un couple très amoureux et démonstratif, indispensable pour qu’elle puisse devenir à son tour aimée et aimante. Au décès de son père, instinctivement, de transfert en transfert, elle allait chercher chez d’autres hommes la place que ce père aurait dû occuper auprès d’elle. Albert Uderzo sera le premier « que j’aimerais comme je t’aime ». « Je pense même continuer aujourd’hui de façon plus subtile avec mon psychanalyste, avoue-t-elle. Je lui dis qu’il est à la place du mort, et pendant les vacances qu’il n’a jamais été aussi vivant, car je peux à loisir le faire penser, le faire parler, l’imaginer voyager ; il fait ainsi partie de mon équilibre autant que mes proches. »
Système de défense
Contrairement à sa mère, tous ses efforts tendaient vers une vie normale. « J’étais bien la seule à chercher non pas à t’oublier mais à t’annuler. J’ai nié ta mort dans un premier temps. J’ai nié ta vie dans un second temps. Si j’avais pu effacer toute trace de ton existence, je l’aurais fait. Maman te vouait un culte relayé par vos amis et par tes lecteurs. Je suis obligée de te dire qu’à 15 ans j’étais la fille d’un médecin vivant et non d’un humoriste mort. » Son système de défense est bien rôdé, l’humour par ci, le transfert par là, mais de temps en temps, une fissure apparaissait. La douleur revenait. Comme en 1985, lorsque la mère d’Anne consacre toute une exposition à René Goscinny à la Tour Eiffel. « J’avais 17 ans, écrit-elle. Ta voix était partout. Victor (l’un de ses premiers transferts, NDLR) est retourné à sa condition réelle. Puis ta voix s’est éteinte. Le temps d’un hommage, elle était repartie. Pas grave. » Piqûre de rappel, rappel du manque, rappel de l’absence, à laquelle Anne Goscinny se confronte depuis 35 ans, puisque unique héritière à la mort de sa mère, elle gère son œuvre. Toute sa vie la ramène à son père. Pour preuve, cette très belle anecdote : un petit garçon de 8 ans, lors d’une séance de dédicace vient la voir et lui dit : « J’aime énormément « le Petit Nicolas », promettez-moi de dire à votre papa que j’adore ce qu’il écrit ». « Je te le promets », répond Anne. L’enfant sort, discute avec sa maman, puis entre à nouveau dans la librairie fonçant droit sur Anne : « Non, en fin de compte, ne lui dites rien, il doit en avoir marre des compliments. »