Fitiavana Ratsimandresy, 19 ans, cheffe d'entreprise à Madagascar

Fitiavana Ratsimandresy est une jeune fille réfléchie et pleine de charme, au regard déterminé. Etudiante en économie, elle n'a pas hésité à joindre la pratique à la théorie. En quelques mois, elle est devenue la coqueluche de la génération start-up à Madagascar. Elle nous a raconté son histoire. Rencontre.
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Malala
Fitiavana Malala Ratsimandresy le 24 novembre 2016 à Antananarivo.
Liliane Charrier
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Fitiavana Malala Ratsimandresy  porte bien son nom : il signifie "gagneuse" en malgache. L’aînée, et la seule fille, d’une famille de trois enfants, elle a depuis toujours le goût de l'action et de l’énergie à revendre. 

Adolescente, Fitiavana était éclaireuse. C'est ce club de filles scout qui l'aiguille sur un séminaire d'entreprenariat organisé par l'ONG Youth First Madagascar, etqui s’adresse exclusivement à des filles triées sur le volet pour leur potentiel. A l’issue des quatre mois de formation, début 2015, déception : son projet n'est pas retenu pour être financé. Petit coup de déprime, qu'elle surmonte vite pour retourner à ses études d’économie à l’université Ankatso d’Antananativo. "Tous mes camarades étudiants d'Ankatso veulent passer des concours pour devenir fonctionnaires. Moi, je me demandais : Que puis-je faire pour moi, pour mes enfants, plus tard, pour ma famille ? Je voulais être indépendante et assurer mon propre revenu dans un domaine que j'aime et que je puisse développer."

Une opportunité

sac plastique
dutchinmadagascar.blogspot.com

En décembre 2015 se présente l'opportunité qu'elle va saisir : le gouvernement malgache interdit les sacs de courses en plastique, à l’origine de déchets qui menacent le précieux écosystème de la Grande Île. Tous les petits commerçants malgaches cherchent une l'alternative.

Un débouché

Elle commence à dessiner une version papier du sac de courses. Puis elle se lance dans de longues recherches sur Internet sur les matériaux et les techniques de fabrication. Elle fait des simulations, multiplie les essais, et recommence encore.

Le bouche à oreille fonctionne dans sa petite ville d'Ilafy (à trois heures de route à l'est d’Antananativo) et une usine locale propose de lui céder ses chutes de papier kraft. C’est donc avec ces matériaux de récupération qu’elle fabrique elle-même, chez elle, ses premiers échantillons.

Une première commande lui est confiée par la "gargote" de son université Ankatso à Antananativo : 50 sachets par semaine. Elle se met au travail toute seule et honore la commande. Bientôt, ce sont des centaines de sachets par jour qu'on lui demande de livrer. Jusqu'à une commande de 1500 sacs d'un fabricant de rhum - délai : une semaine. Elle n'y suffit plus.

Des mères, des étudiantes

Dans son entourage, elle trouve des étudiantes et des femmes au foyer qui acceptent de lui prêter main forte. Aujourd'hui, ses cinq employées sont toutes des femmes à qui elle assure un complément de revenus. " Elles passent le matin prendre le papier et la corde. Puis elles reviennent le soir avec les sachets confectionnés." 

Une femme fait environ 200 sacs par jour à raison d’environ 10 ariarys par sac. Ce qui fait en moyenne 20 000 ariarys par mois (environ 6 euros) - suffisamment pour subvenir à leurs petites dépenses sans avoir à demander à un mari ou un père. A Madagascar, en 2011, plus de 80 % de la population vit avec moins de 1,25$ par jour selon l'Unicef. 

► Lire notre article Madagascar en chiffres.

Les sacs sont, eux, revendus à environ 50 ariarys par jour. Avec le produit des ventes, Fitiavana paye les confectionneuses, et elle achète la colle et la corde nécessaires à la fabrication.

La première personne qui parle de son initiative est l'une de ses copines, journaliste stagiaire. "On lui demandait un article par jour, alors elle a pensé à raconter mon histoire," raconte Fitiavana. Son activité n'étant pas encore déclarée, elle fait l'autruche : "Je ne voulais même pas lire ce qu'elle avait écrit. J'espérais juste que personne ne le voit". Le soir-même, l'article était sur Facebook et avait déjà été partagé des dizaines de fois. Son histoire se répand comme une traînée de poudre. Sollicitée par plusieurs médias, elle devient l'icône d'une jeune génération animée par l'esprit d'entreprise pour faire face aux multiples défis de leur pays, l'un des plus pauvres de la planète. Un pays où aujourd'hui, affirme Fitiavana, beaucoup de jeunes filles ont envie d'entreprendre :

L'avenir : "social, durable, écologique"

La société de Fitiavana n'a pas encore de statut officiel, mais la demande est faite pour Ecologic Bag Malagasy. Elle envisage ensuite d'explorer d'autres pistes. "Les clients demandent souvent du papier glacé ou de couleur. Je suis passé à côté de beaucoup de commandes car j'étais incapable de le leur fournir." De fait, il n'y a plus de fabrique de papier à Madagascar. Tout est importé. La jeune fille espère que son initiative sera moteur : "J'aimerais qu'une entreprise malgache se décide à fabriquer du papier en matériaux locaux et renouvelables. Il sera alors plus facile pour moi de me développer et d'élargir mon offre à des cartes et à de petits objets personnalisés." 

Fitiavana veut aussi conserver l'aspect social de son activité, qui génère un revenu supplémentaire pour les femmes. "A Madagascar, on sous-estime les filles qui sont victimes de toutes sortes de discriminations, des licenciements abusifs à l'exclusion pour les filles qui ont des enfants très jeunes sans être mariées." 

Aujourd'hui, la jeune femme prépare son Master à l'université. Son sujet de mémoire ? "L'apport de l'entreprenariat dans la croissance générale", fondé sur un éloquent exemple pratique - le sien, celui d'une future jeune diplômée qui a déjà beaucoup d'expérience.