Football féminin : femmes réfugiées, en difficulté, sans domicile, la reconstruction par le ballon

A Marseille, l’association « Maison de la jeune fille- Jane Pannier » accueille, héberge et accompagne des femmes en difficulté, sans logement, réfugiées ou victime de traite des êtres humains. Pour le centenaire de sa création, l’association a organisé pour la première fois un tournoi de football. Reportage.
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equipe jane pannier
Des jeunes femmes, réfugiés ou en difficulté, se retrouvent au stade Vélodrome de Marseille pour un tournoi de football organisé par l'association "Maison de la jeune fille, Jane Pannier", un moyen de mettre sur le banc de touche, le temps d'un match leur passé difficile. 
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Au bord du terrain, sous le soleil de plomb et la chaleur écrasante du mois de juin, Jennifer* chausse ses crampons. Cette jeune Nigériane de 24 ans n’aurait jamais pensé un jour jouer au football. Aujourd’hui, dans un modeste stade à la pelouse synthétique tout près du Vélodrome, elle s’apprête à disputer un tournoi de football féminin.

Quand elle ne joue pas, Jennifer danse et rit avec ses amies près de l’enceinte, installée sur une table au bord du terrain, qui crache les derniers tubes de l’été. Difficile d’imaginer alors que cette jeune fille coquette, aux cheveux méchés de rouge et au regard souligné par des faux-cils a traversé des épreuves incroyablement difficiles. Le large sourire qui barre son visage en permanence ne laisse rien transparaître.

J’étais comme une esclave .
Jennifer

Jennifer est une miraculée. Alors qu’elle vit encore au Nigéria, elle rencontre une femme qui lui propose de l’envoyer en France. Elle lui promet un travail de gouvernante sur place. La jeune femme, qui vit dans des conditions difficiles et doit subvenir aux besoins de sa famille, accepte et s’envole pour Paris. La personne qui lui a promis un travail en France gère en réalité un réseau de prostitution, ce qu’elle n’a jamais dit à Jennifer. A 18 ans, elle se retrouve alors piégée dans ses filets.

Régulièrement menacée, frappée, violée, elle vit en permanence dans la peur. « J’étais comme une esclave », confie-t-elle. L’argent des clients est entièrement reversé aux proxénètes. Après deux ans de cette vie captive, la jeune femme trouve le courage de s’échapper, avec l’aide d’un ami. Elle rejoint Marseille et l’association « Maison de la jeune fille - Jane Pannier », dont une amie lui a parlé. Jennifer y trouve du soutien, un accompagnement et un hébergement.

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Les joueuses se choisissent des noms d'équipe inspirés des grandes, comme les "Super Heroes", sans doute un clin d'oeil à la sélection nigériane, les Super Eagles.
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Comme Jennifer, la plupart des footballeuses présentes sur le terrain aujourd’hui sont suivies ou hébergées par « la Maison de la jeune fille – Jane Pannier », association qui accompagne des femmes en très grande difficulté. Mais en cette journée, ces femmes laissent leurs soucis et mauvais souvenirs à l’entrée du stade. Ici, elles ne sont que les membres d’équipes aux noms qu’elles ont choisis : « Super-Heroes », « Licornes » ou encore « Sauvages ».

Il a fallu expliquer que le terrain allait être occupé par des filles, ce qui n’était pas toujours très bien compris.
Chiara, animatrice de l'association Maison de la jeune fille - Jane Pannier

Si l’ambiance est détendue au bord du terrain, sur la pelouse les footballeuses amatrices des huit équipes présentes jouent avec détermination. L’engagement est réel. Les équipes se sont entraînées pendant plusieurs semaines pour préparer cette compétition, non sans mal. « On s’est exercées dans un stade à ciel ouvert au cœur de Belsunce (quartier populaire du centre-ville de Marseille) », raconte Chiara, travailleuse sociale à l’origine de l’organisation du tournoi. « Il faut imaginer une douzaine de jeunes femmes qui se ramènent sur un terrain où se retrouvent régulièrement les gamins du quartier. Il a fallu expliquer que le terrain allait être occupé par des filles, ce qui n’était pas toujours très bien compris. Il a fallu parfois négocier avec eux pour qu’ils nous laissent jouer. Il est arrivé que cela provoque de petites tensions » explique-t-elle. Malgré ces désagréments, Chiara réussit à créer un véritable engouement autour de ces entraînements.

Quand je joue, je sors mes émotions sur le terrain. Je me défoule.
Anne

La jambe immobilisée par une entorse, Anne* regarde ses partenaires de l’équipe « Sauvages » jouer sans elle. « Je m’entraîne depuis six mois pour ce tournoi », souffle-t-elle, déçue. La jeune femme aux cheveux blonds tirés en arrière et aux yeux bleus explique s’être blessée le matin même. Et puisqu’elle ne peut plus jouer, elle se fait fervente supportrice. Elle encourage ses partenaires, vêtues comme elle de tenues de football rouges, en hurlant depuis la chaise où elle s’est installée, à l’ombre d’un arbre. Anne prend ces matchs très au sérieux : « J’ai une vraie passion pour le foot », explique-t-elle. Tout sourire, elle raconte : « Je suis fière d’avoir joué et surtout d’avoir marqué un but ce matin ! ».
 

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L'association "La Maison de la jeune fille - Jane Pannier" souhaite organiser un nouveau tournoi féminin l'an prochain. 
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Le sport, le football en particulier, sont pour Anne une véritable échappatoire à un quotidien difficile. Après avoir été sans domicile fixe pendant trois ans, elle rejoint l’association « MDL- Jane Panier ». « Jouer au foot me permet de me libérer un peu de mon parcours de vie compliqué, de penser un peu à autre chose. Quand je joue, je sors mes émotions sur le terrain. Je me défoule », confie-t-elle.

Quand on est fille et que l’on veut jouer au foot, on est moquée, stigmatisée, parfois même insultée ou malmenée.
Chiara

Pari réussi pour Chiara, travailleuse sociale à l’origine de cette journée. Cette passionnée de football souhaite faire coïncider à la fois le centenaire de l’association avec la journée du réfugié et la Coupe du Monde féminine de football en offrant une journée de détente aux femmes de Jane Pannier.

Mais c’est aussi une façon de donner confiance en elles à ces femmes, leur montrer le chemin parcouru : « L’idée est venue en se demandant ce qu’on pouvait faire dire à Jane Pannier 100 ans après sa fondation », explique Chiara. Le football s’impose alors comme une évidence : « Quand on est fille et que l’on veut jouer au foot, on est moquée, stigmatisée, parfois même insultée ou malmenée. On grandit alors avec cette idée que le foot nous est interdit. Aujourd’hui, personne n’attendrait des femmes, qui plus est de femmes avec un parcours difficile comme celles dont on s’occupe, qu’elles jouent au football. Nous sommes ici pour dire « on le fait quand-même ! ».

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Quel que soit le score du match, ce rendez-vous est une victoire pour ces joueuses, qui reviennent de loin. 
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Le tournoi est en passe de devenir une véritable tradition. La journée n’est pas encore terminée que tout le monde parle déjà d’une prochaine édition, l’an prochain. Et l’association voit grand. Elle aimerait en faire un rendez-vous majeur du football marseillais.

A la fin de la journée, chaque équipe reçoit une coupe et des médailles, qu’elle ait gagné ou non. Une manière de signifier à chacune de ces femmes que quel que soit le score, leur présence ici est déjà une victoire.

** Les prénoms ont été modifiés