Fil d'Ariane
En tenue sexy aux couleurs des écuries, connues sous le nom de "filles de grilles" - voilà comment on a l'habitude de voir les femmes sur le paddock lors des Grands Prix de Formule 1. Comme s'il n'existait pas de femmes pilotes... Car si, sur le papier, la Formule 1 est un sport mixte, cette discipline reste (quasi) exclusivement masculine : en 71 éditions, seules deux femmes ont pris le départ d'un GP : Maria Teresa de Filippis en 1958 et Lella Lombardi de 1974 à 1976.
Voilà donc encore un plafond de verre à percer. Pour ouvrir la brèche, un championnat de monoplaces réservé aux femmes existe. Lancé en 2019, mais annulé l'an dernier pour cause de pandémie, le W Series (W pour Women) est revenu fin juin 2021 en Autriche pour sa deuxième saison, en ouverture de la saison des Grands Prix de F1.
Hands up if you're ready for another #WSeries race weekend! #WSeriesAustria pic.twitter.com/r2IeGhrMpJ
— W Series (@WSeriesRacing) June 29, 2021
Le 17 juillet 2021, sur le mythique circuite de Silverstone, en Grande-Bretagne, les femmes s'élancent quelques heures avant les pilotes du Grand-Prix pour la troisième manche de la saison 2021 :
— W Series (@WSeriesRacing) July 17, 2021
Home race. Three Brits leading the championship. #WSeriesSilverstone, let’s go. #WSeries #BritishGP #F1 pic.twitter.com/XDzcNRRFqa
"Historiquement, il y avait beaucoup de pilotes femmes dans les années 1920-1930", explique Catherine Bond Muir, l'une des fondatrices de ces W Series. Aujourd'hui, pourtant, plus aucune ne figure en F1, F2 ou F3, les deux antichambres de l'élite chapeautées par la Fédération internationale de l'automobile (FIA). "Si l'on regarde le nombre de femmes dans les championnats de monoplaces, il décroit année après année, c'est choquant", poursuit celle qui a commencé sa carrière professionnelle comme avocate d'affaires.
"Notre première course, en 2019, a été un énorme accomplissement : nous avons mis 20 femmes sur une grille de départ, c'était extraordinaire. Personne n'avait jamais vu ça en monoplaces", confie-t-elle sur le site français de motorsport.com.
Les W Series regroupent 18 pilotes sélectionnées au mérite. Dans un monde où le financement est l'un des principaux obstacles, ce championnat a fait de la gratuité un principe, pour intégrer les pilotes selon leurs qualités et non la taille de leur porte-monnaie.
"Nos pilotes n'ont pas eu le même soutien financier que les hommes. Avant qu'elles n'arrivent en W Series, certaines n'avaient plus couru depuis plusieurs années faute d'argent", regrette Catherine Bond Muir, présidente de la W Series.
Ce championnat finance les volants de ses participantes, ce qui est plutôt inhabituel, remarquait-on dans l'article de motorsport.com. "En W Series, il y a quelqu'un comme Alice Powell, qui a été la première femme à marquer un point en GP3, mais elle n'a pas pu continuer. Elle n'avait pas couru depuis cinq ans lorsque W Series est arrivé. Nous sommes très fiers d'avoir permis son retour dans ce sport. Ce que cela indique aux jeunes filles quand elles se demandent si le sport auto est une option pour elle, c'est qu'elles peuvent envisager les W Series et voir qu'elles n'ont pas besoin que leur père ou leur mère gagne au loto pour pratiquer ce sport. Espérons continuer à faire tomber des barrières", répondait-elle.
"Je pense au contraire qu'il s'agit de donner aux femmes une plateforme pour montrer leurs talents et aller plus haut", estime-t-elle. La Britannique de 23 ans, pilote de simulateur de l'écurie de F1 Williams, n'a pas encore eu la chance de monter dans l'une des monoplaces anglaises lors d'essais officiels, comme l'Ecossaise Susie Wolff en 2014 et 2015, à Silverstone. Obligée de se diversifier, elle participe aussi à l'Extreme E, un nouveau championnat de SUV électriques opposant des équipes mixtes, une femme et un homme, dans des lieux emblématiques de la défense de l'environnement.
A 26 ans, la vice-championne des W Series, Beitske Visser, elle, a fait une croix sur son rêve de petite fille : devenir pilote de F1. "Ce n'est plus vraiment réaliste d'y penser." Engagée en Championnat du monde d'endurance (WEC), et donc aux 24 Heures du Mans dans un équipage de trois pilotes femmes, la Néerlandaise est persuadée d'une chose : "Intégrez une femme en F1 et elle prouvera qu'elle mérite d'y être". La pilote, qui a commencé le karting à cinq ans, élevée par des parents gérants d'une concession automobile, se souvient qu'elle était la seule fille. "Aujourd'hui, observe-t-elle, il y en a un peu plus."
"Les femmes et les hommes peuvent piloter en même temps et faire jeu égal, c'est incontestable", assure Catherine Bond Muir, qui réfute la théorie selon laquelle les femmes n'auraient pas les capacités physiques suffisantes. Selon elle, outre cette croyance, le problème est culturel. Elle veut que son championnat serve de "catalyseur" pour "montrer aux jeunes filles que le sport automobile est quelque chose qu'elles peuvent faire... Ce qu'il faut, c'est qu'à 9, 10 ans, les filles pilotent autant d'heures que les garçons", appuie-t-elle.
Bon signe, la Fédération française du sport automobile (FFSA) note une augmentation des licences féminines depuis une décennie, toutes disciplines confondues (karting, circuit, rallye, etc.), même si elles ne représentent qu'environ 10% du total.
Le changement est déjà en marche, selon Catherine Bond Muir, avec "plus de femmes visibles" dans les équipes, mécaniciennes ou ingénieures. Mais par exemple, Claire Williams, aux commandes pendant sept saisons de l'écurie créée par son père, Sir Frank, elle, a dû quitter la F1 fin 2020. "Cela va prendre beaucoup de temps, reconnaît Catherine Bond Muir. J'espère que cela arrivera plus tôt, mais peut-être que la prochaine femme en Formule 1 a aujourd'hui 9 ou 10 ans.".
"Je serai très heureuse si je vois une vraie progression du nombre de femmes dans toutes les disciplines des sports mécaniques. Et aussi quand une part importante de femme occupe des baquets en F1, F2, F3 après avoir fait un passage en W Series", confie-t-elle, confiante, sur auto-moto.com.
Le 26 juin, en Autriche, la victoire est allée à la pilote britannique de 28 ans, Alice Powel ; puis le 3 juillet 2021, c'est encore une Britannique, Jamie Chadwick, qui a remporté la deuxième manche. Ce sont donc trois femmes qui sont montées sur les trois marches du podium ces jours-là. Des podiums 100% féminin, agrémentés du traditionnel arrosage au champagne, du jamais vu jusqu'ici sur un circuit...