Fil d'Ariane
Le nom CLEF n'est pas juste qu'un acronyme pour Coordination française pour le Lobby Européen des Femmes, c'est aussi un clin d'oeil et un symbole, comme nous le confie Jocelyne Adriant, sa présidente depuis 2018 : "C'est aux femmes de se saisir des clefs et d'ouvrir les portes. Parce que personne ne le fera à notre place. Personne ne nous donnera le pouvoir. A nous de nous organiser, de créer des réseaux pour aider les plus jeunes, pour que chaque femme puisse se dire 'moi aussi, je peux'".
Le travail de la CLEF commence par une veille sur les sujets de préoccupation pour les femmes ; et puis dès qu’elle relève un recul ou une anomalie, l'association interpelle le Parlement et le gouvernement français, et plaide en faveur des droits des femmes. "En ce moment, le retrait de la Turquie de la Convention d’Istanbul nous inquiète beaucoup. Nous appelons le gouvernement français et l’Union européenne à faire pression sur la Turquie, où les droits des femmes sont déjà très fragilisés".
Cette dimension internationale est essentielle pour Jocelyne Adriant qui "considère que les droits des femmes sont forcément internationaux. Les violences, le recul des droits sexuels et reproductifs, la fragilité économique, c’est la même chose pour une Japonaise, une Péruvienne ou une Française." Partout, le cercle vicieux de la crise sanitaire du Covid-19 touche surtout les femmes, souligne-t-elle : "En Afrique, de plus en plus de filles abandonnent l’école, les mariages et les grossesses précoces se multiplient, sans parler des mutilations génitales. En France aussi, la désocialisation fragilise les filles."
Voilà pourquoi, en 2021, un forum international des droits des femmes est plus que jamais indispensable : "L'impact de la pandémie a été, et est, dévastateur pour les droits des femmes dans le monde. Ils sont en recul partout sur la planète. C'est pourquoi il y a urgence à ce que les associations féministes et toute la société civile se mobilisent.", précise-t-elle.
Pour la présidente de la CLEF, il n'y a que des priorités et tous les droits des femmes, en ce moment, sont menacés : "Comme le disait Simone de Beauvoir : 'Dès qu'il y a une crise, les droits des femmes sont en danger.' De fait, dès qu'il y a une brèche, des tentatives pour entamer le droit à l'avortement ou à la contraception s'y engouffrent - constate-t-elle - Les violences intrafamiliales ont progressé de façon exponentielle partout dans le monde. L'accès à la santé et aux droits sexuels et reproductifs sont en recul, sur tous les continents. Au niveau économique, ce sont les femmes qui, à environ 70 %, occupent les emplois les plus précaires, aussi bien dans les pays développés que dans les pays pauvres. Partout, l'autonomisation des femmes et leur indépendance financière sont remises en question. Ici, ce sont les femmes qui travaillent dans l'hôtellerie, par exemple qui perdent leur emploi. En Afrique, ce sont les marchandes ambulantes, à mesure que les emplois informels sont investis par ceux qui ont perdu leur emploi avec la pandémie. En général, ces femmes perdent le revenu de toute leur famille."
Sur le plan de la gouvernance, la crise sanitaire a jeté une lumière crue sur les inégalités, constate la militante : "Les femmes sont partout pour gérer la crise : soignantes (76 % sont des femmes), caissières, agentes d'entretien, aides à domicile… Et aux tables de décision ? Aucune femme, ou presque. Sur les 11 membres du Conseil scientifique constitué en mars 2020 pour lutter contre la pandémie et présidé par Jean Francois Delfraissy, deux femmes seulement, dont une seule médecin… N'y a-t-il pas de femmes médecin, virologue, en France au 21e siècle ?"
Dans les médias aussi, les femmes restent souvent absentes des débats sur la gestion de la crise sanitaire : "J’ai vu un plateau sur l’avortement constitué de cinq hommes, et pas une femme," s’indigne-t-elle. Face à cette situation, la CLEF interpelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel.
Selon elle, de nombreux obstacles freinent encore les femmes. Ils sont structurels, déjà : "On a pas l’habitude d’entendre des femmes aux postes de décision - elles sont encore moins de 30 % dans les conseils d'administration. Ceux qui sont au pouvoir n’ont pas envie de céder la place, et encore moins à une femme qui pourrait mettre en cause leur gouvernance." Les freins sont aussi personnels : "Il y a la charge mentale de la gestion familiale au quotidien qui, souvent, pèse encore sur les femmes. Et puis il y a les freins mentaux : les femmes, souvent, doutent de leurs compétences et leur légimité."
La CLEF est affiliée au Lobby européen des femmes, ou European women lobby, un groupement d’associations féministes de toute l’Europe voué à plaider efficacement la cause des droits des femmes et de l’égalité femmes-hommes auprès des instances européennes. Basé à Bruxelles, le Lobby est né en 1990 de la nécessité d’interpeler l’Europe sur les questions qui occupent les associations féministes de terrain qui, elles, n’ont pas voix au chapitre à l’UE. Constitué à l’initiative de plusieurs coordinations nationale, dont la CLEF et les coordinations espagnoles, portugaises, allemandes, entre autres, il rassemble aujourd’hui plus de 2000 associations et structures supranationales.
Dès son arrivée à la présidence de l'organisation en 2018, bien avant la crise sanitaire, l’idée d’un forum international des droits des femmes germe dans l’esprit de Jocelyne Adriant. "Visibiliser la question des femmes et de l’égalité, c’est toujours une priorité. A chaque fois qu’on en parle, c’est un pas de plus," explique-t-elle. Prévu pour le 16 avril 2020 avec un millier de participant-e-s et une centaine d’intervenant-e-s réuni-e-s à l’Hôtel de Ville de Paris, l’événement doit, dans un premier temps, être annulé, pour cause de confinement. Et puis à mesure que progresse la pandémie, force est de constater : partout dans le monde, les impacts disproportionnés de la crise sanitaire fragilisent les acquis et amplifient les inégalités entre femmes et hommes.
Alors l’idée revient en force à l’esprit de cette combattante de la première heure : le forum aura lieu, en ligne s’il le faut, parce qu’il est aujourd’hui plus que jamais nécessaire. "Certes, il manque le lien humain, qui est important quand on travaille sur les droits des femmes. Mais le numérique permet aussi un nombre de participants illimités et internationaux : nous avons un millier d’inscrits. La dynamique est bonne, je suis confiante."
L'initiatrice de ce forum l'a voulu ouvert au grand public pour sensibiliser le plus grand nombre. Ainsi le forum international des droits des femmes est-il accessible à toutes et tous, gratuitement, moyennant une inscription préalable. "Le plaidoyer, c’est une affaire d’experts. Or tout le monde doit prendre conscience des inégalités femmes-hommes, c’est essentiel pour combler le fossé," précise-t-elle.
A travers une vingtaine d'ateliers pilotés par des associations membres de la CLEF, expert-e-s et acteur-trice-s des droits des femmes et des filles vont échanger leurs expériences et leurs connaissances sur des sujets aussi divers que les femmes dirigeantes, migrantes ou handicapées, mais aussi la lutte contre les violences sexuelles, l'accès à la santé, les droits sexuels et reproductifs, l'inégalité salariale, la maternité de substitution, la représentation des femmes dans les médias, le maintien des filles à l'école ou l'autonomisation économique des femmes dans les domaines social, environnemental, économique, numérique, culturel, sportif...
"Il est important de fédérer toutes ces entités autour d’un projet commun, de les faire travailler ensemble. Toutes vont pouvoir assister aux ateliers, et apprendre ainsi mieux connaître ce que font les autres. En copilotant des ateliers, elles vont aussi créer entre elles des passerelles durables", explique Jocelyne Adriant. "Mais si certains sujets sont consensuels, d’autres le sont moins, alors nous avons élaboré une charte qui rappelle nos valeurs fondamentales," précise-t-elle.
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