Fil d'Ariane
"Dans la République (...) on ne peut pas exiger des certificats de virginité pour se marier".
Le sujet avait été évoqué publiquement, par le Président Emmanuel Macron lui-même. C'était le 18 février 2020, lors d'un discours à Mulhouse.
Quelques mois plus tard, le gouvernement lançait un vaste chantier pour lutter "contre le séparatisme". Ce 2 octobre, le président Emmanuel Macron dévoile son plan anti-séparatisme qui devrait déboucher sur un projet de loi d'ici le 9 décembre 2020. Parmi les mesures annoncées, la pénalisation de ces jusqu'ici assez méconnus, il faut bien le reconnaitre, "certificats de virginité", délivrés par certain.e.s médecins à la demande de leur patiente ou de sa famille.
"Certains médecins osent encore certifier qu'une femme est vierge pour permettre un mariage religieux, malgré la condamnation de ces pratiques par le Conseil de l'Ordre des médecins. On va non seulement l'interdire formellement, mais proposer la pénalisation", ont promis mi-septembre Gérald Darmanin, le ministre de l'Intérieur et Marlène Schiappa, la ministre déléguée à la Citoyenneté.
Nous voulons interdire les certificats de virginité avec @GDarmanin.
— MarleneSchiappa (@MarleneSchiappa) September 7, 2020
C’est une pratique ignoble et indigne, nous la pénaliserons grâce à la loi contre les séparatismes.
Précisions ici https://t.co/hKWGzyrjQ6 #PJLSeparatismes
Mais en quoi consistent ces certificats ? Sur le papier, il s'agit d'un certificat délivré après un examen des organes génitaux de la jeune femme, permettant de vérifier si l'hymen (cette membrane très fine qui ferme partiellement l'entrée du vagin) est intact. Or, l’hymen peut avoir été rompu pour de multiples raisons. Certaines femmes naissent même avec une membrane imperceptible voire inexistante.
La délivrance de ces certificats constitue un phénomène qui reste "'sous-terrain", "non chiffré" et "peu fréquent', comme le reconnait le ministère de l'Intérieur", lit-on sur le site de France Inter.
En 2003, le Conseil de l'ordre des médecins français appelait les médecins à refuser la rédaction d'un tel certificat "n’ayant aucune justification médicale et constituant une violation du respect de la personnalité et de l’intimité de la jeune femme (notamment mineure) contrainte par son entourage de s’y soumettre". Même longueur d'onde en Belgique. Pour le Conseil belge de l'Ordre des médecins, "Donner suite à une demande de rédaction d’une attestation de virginité n’a pas de justification. Il n’est pas possible d’affirmer avec certitude sur la base d’un examen clinique qu’une personne n’a jamais eu de rapport sexuel".
En octobre 2018, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a remis un rapport qui affirme que ces tests n'ont "aucune valeur scientifique et sont potentiellement dangereux" pour les femmes. Cette pratique, "médicalement inutile, humiliante et traumatisante" est basée sur l’idée – fausse – selon laquelle on peut prouver la virginité d'une femme si son hymen est intact, véritable "mythe" selon l'OMS. Selon l'OMS, cette tradition est répertoriée dans au moins vingt pays du monde, en Europe sont concernés la France, la Belgique, les Pays-Bas, l'Espagne et la Suède.
"Virginity testing"
— World Health Organization Philippines (@WHOPhilippines) October 18, 2018
has no scientific or clinical basis
is detrimental to the physical, psychological and social well-being of women and girls
is a violation of the human rights of girls and women
End #VirginityTesting! #EndVAW!
For more info: https://t.co/ZXv8F9eHzz pic.twitter.com/PSGZuq8KuS
Au Maroc, si la loi n'impose nullement l'établissement d'un "certificat de virginité" avant mariage, elle ne l'interdit pas pour autant formellement et, dans les faits, la pratique serait encore répandue et ce, quelle que soit la classe sociale, comme l'expliquait la sociologue Soumaya Naamane Guessous au HuffPost Maroc. L'an dernier, un groupe de médecins marocains annonçaient officiellement qu'ils ne fourniraient plus ces certificats ni ne pratiqueraient de tests de virginité.
Relire notre article >Injonction de virginité aux futures mariées : le juteux marché de la reconstruction des hymens au Maroc
Lors du printemps arabe en mars 2011, dix-sept manifestantes avaient été arrêtées place Tahrir dans la capitale égyptienne, par les forces de l’ordre avant d’être battues, séquestrées et soumises à des "tests de virginité". Après avoir nié, un général égyptien avait finalement avoué avoir effectué de tels examens. Cinq ans plus tard, une autre affaire avait fait la Une. Un député avait proposé que les étudiantes entrant à l'université soient examinées afin de prouver qu'elles sont vierges. Ces propos avaient rapidement été tournés en dérision sur les réseaux sociaux.
La question divise chez les praticiens. Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français se prononce clairement pour cette interdiction et réclame des sanctions pénales pour les médecins impliqués. "Cela fait très longtemps que je demande la pénalisation de ce geste. Ce n'est pas de la médecine, ces certificats assignent les femmes à leur rang d'objet", s'insurge sur France Inter Israël Nisand, le président du Collège, répétant ses déclarations lorsque ce projet avait été abordé au début de l'année. Le médecin aujourd'hui défenseur de la cause des femmes s'était retrouvé au coeur d'une polémique pour ses déclarations lors de MeToo des violences gynécologiques en France. Relire notre article >Violences gynécologiques et obstétricales : entre libération de la parole et prise de conscience
Le gouvernement envisage l'interdiction des tests de virginité en France https://t.co/Mb9LJqwb1Y via @RMCInfo @inisand @leCNGOF #violencefaiteauxfemmes #gyneco
— Frédérique Impennati #MerciÀnosSoignants (@Fred_Impennati) March 4, 2020
A l'opposé, Ghada Hatem, elle, s'appuie sur ce qu'elle vit dans son cabinet de consultation, osant dire tout haut ce que personne n'ose dire ou penser même tout bas. Pour la médecin-cheffe de la Maison des femmes de Saint-Denis, s'exprimant mardi 8 septembre dans la matinale de France Inter, il s'agit d'un sujet "très délicat pour nous gynécologues mais qui, en France, ne concerne pas des milliers de femmes. Elles doivent être tout au plus trois femmes à m'en réclamer, chaque année". "Oui, je fournis parfois un certificat à une jeune femme que je n’examine même pas. Si elle a besoin d’un papier disant qu'elle est vierge pour lui sauver la vie, pour qu’on arrête de l’emmerder, je le fais", avait-elle auparavant déclaré à LCI.
"Tout ça est beaucoup plus subtil que ce que l’on veut nous faire croire. Je pense qu’il faut écouter les femmes, les encourager à parler, faire de la pédagogie, et par moment essayer de les protéger", ajoutait-t-elle, avouant ne pas comprendre la volonté du gouvernement de vouloir légiférer sur cette question, "comme s'il s'agissait du problème numéro un de la France, de la laïcité et de l’intégration".
"On me dit parfois que j'aide les oppresseurs en délivrant ces certificats. Moi je pense que j'aide les femmes à tromper leurs oppresseurs." https://t.co/lw9SByZsbY
— Marie-Hélène Lahaye (@MHLahaye) September 8, 2020
Si la loi interdisant ces contrats de virginité passe, celle qui depuis des années vient en aide, avec son équipe, à des milliers de femmes et de jeunes filles en détresse se dit prête à continuer :"On me dit parfois que j'aide les oppresseurs en délivrant ces certificats. Moi je pense que j'aide les femmes à tromper leurs oppresseurs. Je fais partie des gens qui pensent qu'il est parfois utile de désobéir".
Avec @JeanCASTEX à la rencontre du personnel de @lamaisondfemmes à Saint-Denis qui accompagne des victimes de violences conjugales. Le @gouvernementFR est mobilisé pour mieux repérer, mieux accompagner et mieux protéger les victimes ! #GrenelleViolencesConjugales #3919 pic.twitter.com/yNrxNWY1kW
— Élisabeth Moreno (@1ElisaMoreno) September 2, 2020
Quelques jours plus tôt, Ghada Hatem a reçu la visite du chef du gouvernement, Jean Castex, et de la ministre déléguée auprès du Premier ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances, Elisabeth Moréno, venus dresser un bilan sur le plan de lutte du gouvernement contre les violences faites aux femmes, et dont la Maison des femmes est un symbole. "A aucun moment, ce sujet n'a été abordé lors de cette visite, ce n'était pas l'objet de cette rencontre", nous confie-t-elle lors d'un entretien, réalisé au lendemain de ses déclarations à la matinale d'Inter.
Car ces propos lui ont valu, en quelques heures, un véritable déluge d'insultes sur les réseaux sociaux : "Cela a suscité un déferlement de haine. Des collègues, des gens du métier qui savent de quoi on parle m'ont soutenu. D'autres au contraire ont crié au scandale, d'attaque au féminisme, m'accusant de pratique barbare, sans même comprendre de quoi je parle, confondant certificats de virginité avec test de virginité. Ce qui n'est pas tout à fait la même chose, certaints faisant un amalgame avec l'excision, du genre : 'alors comme ça, vous allez pratiquer l'excision au bloc opératoire pour ce que ce soit fait proprement !' Ou encore: 'vous faites ça pour l'argent'. On a demandé à ce que je sois radiée de l'Ordre. Les bras m'en sont tombés".
Relire notre article >La Maison des Femmes de Saint-Denis, une bulle de sécurité pour les femmes victimes de violences
Pourquoi encore et encore le corps des femmes se retrouve-t-il au coeur du débat politique ? Réponse d'une consoeur journaliste, militante féministe, qui enquête régulièrement sur ces questions et préférant rester anonyme, "L'idée est évidemment de saturer le débat féministe et médiatique, mais il est important de souligner comment les femmes musulmanes (et les hommes musulmans aussi) sont toujours stigmatisées sur leur sexualité, quand bien même en sachant que cette pratique (des certificats de virginité) ne concerne qu'une très infime part des femmes musulmanes".
Copy CodeJe suis une femme, médecin, d’origine maghrébine, musulmane, en région parisienne et pas une fois on est venu me demander de rédiger un certificat de virginité, JAMAIS.. mais continuez de créer des faux problèmes et de stigmatiser une frange de la population #fatigue
— Doc Toc (@Toc_Doc) September 9, 2020
L'écrivaine et sociologue Kaoutar Harchi va plus loin. Jointe par Terriennes, elle estime que le projet de loi interdisant les "contrats de virginité" entre dans la ligne droite du "fémonationalisme", un féminisme qui instrumentalise les droits des femmes à des fins nationalistes et identitaires. C'est ce qu'elle explique dans une tribune publié en août dernier : "En amalgamant les figures incommensurablement altérisées de l’étranger, du réfugié, du migrant, du musulman, de l’Arabe, du Noir ou encore du jeune de banlieue, ce segment devient le seul qui vaudrait la peine d’être combattu. ".
"Il faut appeler un chat, un chat" nous confie pour sa part Ghada Hatem, "il est vrai que les femmes que je reçois et qui me demandent ce certificat sont maghrébines, c'est comme ça, c'est factuel, c'est une réalité. Moi je comprend qu'on dise aux parents que c'est insensé de faire ça à vos filles. Mais c'est très sensible, ce n'est ni en légiférant, ni en punissant qu'on va y arriver, ça passe par l'éducation, par des campagnes, ça prend certainement beaucoup plus de temps et d'énergie que de dire, 'Je vais faire une loi".
Face aux critiques, elle répond : "Je ne vais pas changer ni d'avis ni ma façon de faire, ça fait quarante ans que je fais comme ça. Les femmes viennent me voir et me disent qu'elles savent que je suis contre, mais que ça leur fait du bien de discuter avec moi. Elles savent très bien ce qu'elles viennent chercher. Moi, je reçois une à deux fois par mois une jeune femme qui veut que je lui refasse son hymen. Et une à trois fois par an, un certificat. Pour la petite histoire, hier soir j'ai reçu le mail d'une éducatrice me demandant de recevoir une jeune fille rom pour que je lui fasse un certificat. J'imagine la famille derrière et les menaces qui pèsent sur elle. Voilà, c'est ça la réalité. Ces jeunes femmes n'ont pas vraiment le choix. Ce sont des adultes qui viennent. Que dois-je leur dire ? Quelle image dois-je leur renvoyer ?".