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"Apprécier un artiste ne signifie pas taire ses crimes!", lance une manifestante devant la Cinémathèque à Paris. Comme quelques dizaines de personnes, elle a répondu à l'appel d'associations féministes, en protestant lundi soir contre la rétrospective consacrée à Roman Polanski, accusé par plusieurs femmes d'agressions sexuelles, qui se seraient produites alors qu'elles étaient mineures, voilà plusieurs dizaines d'années.
Le réalisateur franco-polonais de 84 ans était venu présenter son dernier film "D'après une histoire vraie" lors d'une soirée privée lançant cette rétrospective de son oeuvre.
Un événement prévu de longue date qui a suscité l'indignation de féministes, après l'affaire Weinstein et les révélations sur le harcèlement sexuel subi par de nombreuses femmes.
Torse nu, deux Femen ont fait irruption lundi soir dans la Cinémathèque, scandant "pas d'honneur pour les violeurs" au passage du réalisateur. Les deux femmes, portant sur le corps l'inscription "Very Important Pedocriminal", ont été rapidement évacuées du bâtiment.
"Le temps du silence est terminé, on va les chasser, la peur et la honte doivent changer de camp", a déclaré à l'AFP Inna Shevchenko, l'une des deux Femen, dénonçant "une certaine arrogance et violence de la Cinémathèque" d'avoir maintenu cet hommage.
"Si violer est un art, donnez à Polanski tous les César", pouvait-on lire aussi sur les banderoles s'affichant devant l'institution culturelle, tandis que des manifestants scandaient "Assez de ceux qui veulent protéger les agresseurs".
Sous la pression de féministes, Roman Polanski avait dû en début d'année renoncer à présider la cérémonie des César, décernés chaque année en France par les professionnels du cinéma.
"Pour nous, l'important c'est d'annuler la rétrospective, d'avoir des excuses de la Cinémathèque et une prise de conscience", estimait lundi matin à l'AFP la porte-parole du groupe "Osez le féminisme", Raphaëlle Rémy-Leleu.
Le collectif "Osez le féminisme!" reproche aussi à la Cinémathèque de prévoir en janvier une autre rétrospective, consacrée au cinéaste Jean-Claude Brisseau, condamné en 2005 pour le harcèlement sexuel de deux jeunes actrices.
- Oeuvre 'indispensable'-
Malgré les protestations et une pétition ayant recueilli plus de 27.000 signatures, la Cinémathèque a refusé de plier, vantant "sa tradition d'indépendance".
"Il n'a jamais été question une seconde de renoncer à cette rétrospective sous la pression de je ne sais quelle circonstance étrangère à la Cinémathèque et à Roman Polanski", a affirmé lundi soir son président, le réalisateur Costa-Gavras, devant un public rassemblant journalistes, équipe du film et abonnés de l'institution culturelle.
"Nous sommes persuadés que les films de Roman Polanski sont plus que jamais indispensables à notre compréhension du monde et du cinéma. Nous ne sommes pas prêts à nous en priver", a-t-il insisté.
La ministre de la Culture Françoise Nyssen s'était refusée à condamner l'oeuvre du réalisateur multirécompensé de "Rosemary's baby" et du "Pianiste", film qui lui avait valu une Palme d'or et le premier Oscar de sa carrière. "Il s’agit d’une oeuvre, il ne s'agit pas d’un homme, je n'ai pas à condamner une oeuvre", avait-elle déclaré vendredi.
Montant sur scène aux côtés de son épouse Emmanuelle Seigner, qui tient un des deux rôles importants du film, Roman Polanski a été chaleureusement applaudi par le public, certains lui réservant même une ovation debout.
Il s'est livré à un éloge du numérique qui permet aux films de se "perpétuer", contrairement à une époque "on pouvait brûler (les films) comme Hitler brûlait les livres", se gardant de tout commentaire direct sur les manifestations.
Roman Polanski a été inculpé en 1977 aux Etats-Unis pour le viol d'une adolescente de 13 ans, Samantha Geimer. Alors âgé de 43 ans, il avait reconnu avoir eu des relations sexuelles illégales avec la mineure. Le juge avait finalement accepté de ne pas retenir d'autres incriminations, dont le viol.
Après 42 jours en prison, il s'était enfui des Etats-Unis en janvier 1978, redoutant d'être lourdement condamné, contrairement à un accord à l'amiable. Alors qu'une demande d'extradition était déposée à son encontre, en Suisse où il réside, par un juge américain, en 2010, Samantha Geimer avait demandé à ce que cette affaire s'arrête enfin. «J’ai été victime parce qu’il a commis un crime. Mais je ne me vois pas comme une victime, ce serait terrible de vivre toute sa vie dans ce rôle. Nous sommes liés à vie par ce que l’on nous a fait vivre, mais je ne suis pas sa victime.» expliquait-elle. Elle avait écrit aux autorités judiciaires américaines toujours en charge du dossier : "les cas impliquant des célébrités ne devraient pas être utilisés à mauvais escient par ceux comme vous qui cherchent la célébrité et des promotions pour leur carrière"...
Depuis cette affaire et le scandale de l'affaire Weinstein aux Etats-Unis, plusieurs femmes sont sorties de l'ombre pour accuser le cinéaste d'agression sexuelle, des accusations "sans fondement", conteste son avocat, Hervé Temime.
La secrétaire d'Etat aux Droits des femmes Marlène Schiappa a, aussi, ajouté sa pierre au débat, soutenant les manifestantes en jugeant qu'il fallait cesser de "dérouler le tapis rouge" aux auteurs d'agressions sexuelles et d'en faire "des héros" : "C'est compliqué de faire des gens qui ont été auteurs de viols ou d'agressions sexuelles, ou qui sont accusés de cela, des héros. De la même manière que j'ai trouvé compliqué de faire des posters ou des Unes avec Bertrand Cantat. Je n'appelle pas à la censure (...) mais c'est difficile de dire aux femmes 'vous devez libérer votre parole' et dans le même temps dérouler le tapis rouge pour des auteurs d'agressions sexuelles".