Dimanche 14 juillet 2013, la France a profité de sa fête nationale pour dévoiler le nouveau timbre du quinquennat de François Hollande. Sur une soixantaine de concurrents, c'est le timbre d'Olivier Ciappa, militant pour le mariage pour tous, qui a été sélectionné, provoquant la fureur de ses opposants politiques. D'autant plus énervés que la Marianne d'Olivier Ciappa n'est autre que la leader des FEMEN, Inna Shevchenko.
C'est plutôt rare qu'un timbre fasse débat au delà des cercles philatélistes. Pourtant depuis dimanche 14 juillet 2013, le nouveau timbre du quinquennat de François Hollande occupe largement l'espace médiatique. Son choix a fait l'objet d'une longue procédure auprès de 1000 lycéens de la France métropolitaine et de l'Outre-Mer qui ont voté pour le timbre d'Olivier Ciappa et David Kawena. Alors que ce choix est d'habitude celui du seul président de la République, François Hollande n'a décidé que du thème, "Marianne de la jeunesse", et s'est contenté de dévoiler le timbre élu à une écrasante majorité par les lycéens français.
Une surprise pour Olivier Ciappa, qui pensait que son engagement en faveur du mariage pour tous serait plutôt un handicap dans la sélection. "J'étais extrêmement surpris de voir que les lycéens ont continué à voter pour moi de manière vraiment très massive" nous a-t-il confié entre deux séances de dédicaces, lundi 15 juillet 2013. "Ils ont voté à la fois pour la qualité artistique du dessin, mais aussi et surtout pour mon nom, parce qu'ils le connaissaient déjà de la télévision ou de la presse, ils savaient très bien qui j'étais et les valeurs de la république que je m'efforce de porter".
Dessinateur et photographe, Olivier Ciappa se définit comme un militant féministe. Un premier combat qui l'a naturellement conduit à prendre le parti des défenseurs du mariage pour tous dans le débat autour du vote de la loi autorisant les couples de même sexe à accéder au mariage civique. En juin dernier, il avait mis sur pied, en partenariat avec AIDES et SOS Homophobie, une exposition intitulée "Les Couples imaginaires" dans laquelle il mettait en scène des personnalités de tous horizons formant des couples homosexuels ou des familles homoparentales fictifs.
Affichées sur des grilles près de la mairie du 3ème arrondissement parisien, ses photos avaient été vandalisées, "les visages ou les yeux méthodiquement lacérés ou découpés au cutter, avec une violence inouïe" avait déclaré l'association de lutte contre le Sida, AIDES.
La nouvelle de la sélection de son timbre a provoqué un déchaînement similaire. "Un réveil un peu violent" lundi matin, a décrit le photographe sur son profil Facebook après avoir reçu de nouvelles menaces et injures sur son compte Twitter. Ce qui agace le plus ses opposants politiques c'est qu'Olivier Ciappa se soit inspiré de la leader des FEMEN, Inna Shevchenko, militant seins nus comme La liberté guidant le peuple peinte par Delacroix en 1830 pour dessiner sa propre Marianne. Même si l'artiste rappelle que "les lycéens savaient qu'ils votaient pour Inna, je ne l'ai jamais caché".
Le Parti chrétien démocrate, et sa tout juste ex-présidente, Christine Boutin, ont appelé au "Boycott du timbre FEMEN, un outrage à la dignité de la femme, à la souveraineté de la France (et) demande(nt) le retrait du timbre de l'outrage". De son côté, Inna Shevchenko jubile sur Twitter : "Femen est sur les timbres français. Maintenant, tous les homophobes, extrémistes et fascistes devront me lécher le cul quand ils voudront envoyer une lettre". "On ne lèche-rien!" répondent les partisans du "printemps français", un mouvement lancé par des groupes proches de l'extrême droite qui réuni les nostalgiques de la "manif pour tous".
"Avoir une féministe comme image de Marianne, en quoi ça devrait être un problème? Le slogan de la république française c'est liberté-égalité-fraternité, en quoi une féministe ne correspond pas à ce slogan?" demande la porte-parole d'Osez le féminisme, Charlotte Soulary. Si elle précise que son association a "quand même des combats un peu plus sérieux que se battre pour l'image de Marianne", force est d'admettre, "quand on voit les réactions extrêmement fortes, notamment de Christine Boutin, le retard qu'on a en France en matière d'égalité."
En matière d'égalité cependant, la nouvelle Marianne s'est trouvé au moins un point commun avec ses opposants du "printemps français" : l'islamophobie. Retiré depuis, Inna Shevchenko a lancé un tweet demandant "Qu'est ce qui peut être plus stupide que le Ramadan? Qu'est ce qui peut être plus laid que cette religion?"
Le mouvement n'en est pas à sa première sortie sur la religion musulmane, comme le rappelait l'essayiste Mona Chollet dans un article publié en mars 2013 : "Si l'anticléricalisme radical du collectif se comprend sans peine compte tenu du poids de l'Eglise orthodoxe dans la vie publique ukrainienne, ses porte-parole ont tendance à en franchir le cadre lorsqu'il s'agit de l'islam. L'une des fondatrices du mouvement, Anna Hutsol, a ainsi flirté avec le racisme en déplorant que la société ukrainienne ait été incapable "d'éradiquer la mentalité arabe envers les femmes".
L'islamophobie n'est cependant pas le seul point commun entre les FEMEN et le "printemps français". Dans le même article, intitulé
"FEMEN partout, féminisme nulle part", l'auteure de
Beauté Fatale s'était attachée à démontrer comment ces "nouvelles féministes" véhiculaient finalement les clichés patriarcaux "les plus grossiers".
Dans un interview accordé au Guardian, Inna Shevchenko déclarait à cet égard que "Le féminisme classique est une vieille femme malade qui ne marche plus. Il est coincé dans le monde des conférence et des livres". Auteur d'un ouvrage sur les usages du corps en politique, Claude Guillon commentait : "Peut-être Inna aurait-elle pu le lire dans un livre, l'image des féministes comme de vieilles femmes coupées du monde (comprenez : et du marché de la chair) est un très vieux cliché anti-féministe, qu'il est navrant de voir repris par une militante qui prétend renouveler le féminisme".
Mona Chollet va plus loin, et affirme que "l'intérêt pour les FEMEN s'avère parfaitement compatible avec l'antiféminisme le plus grossier." Leur recrutement, sur des critères physiques forgés par l'industrie publicitaire exclu de leur combat "les milliers de femmes qui ont le mauvais goût de lutter pour leurs droits tout habillées, et/ou d'offrir un spectacle moins conforme aux critères dominants de jeunesse, de minceur, de beauté et de fermeté". Claude Guillon se demande ainsi "quel peut être l'effet produit par cette photo de groupe (a propos d'une couverture des Inrockuptibles dédiée aux FEMEN) sur les femmes moins jeunes, ou jeunes mais moins favorisées par le hasard génétique? Le même effet que le terrorisme publicitaire et machiste que le féminisme ne cesse de dénoncer."
Les Femen trouvent des justifications à ce recrutement. Dans un recueil d'entretiens qu'elles ont publié, l'une des fondatrices ukrainiennes déclare : "Nos filles doivent être sportives pour endurer des épreuves difficiles, et belles pour utiliser leur corps à bon escient. Pour résumer, FEMEN incarne l'image d'une femme nouvelle : belle, active, et totalement libre". "Le féminisme, mieux qu'un yaourt au bifidus" ironise Mona Chollet.
Enfin, la vision de la nudité comme de la liberté absolue portée par les FEMEN a ses limites. Leurs slogans, "Plutôt à poil qu'en burqa", "Françaises, déshabillez-vous!" perpétuent, selon Mona Chollet, "un postulat très ancré dans la culture occidentale selon lequel le salut ne peut venir que d'une exposition maximale, en niant la violence que celle-ci peut parfois impliquer. De nombreuses féministes leur ont objecté que, plutôt que d'affirmer la supériorité de la nudité, il vaudrait mieux défendre la liberté des femmes à s'habiller comme elles le souhaitent."
Malgré les revendications féministes et égalitaires des auteurs du timbre, et probablement celles des FEMEN elles-mêmes, la nouvelle Marianne semble finalement véhiculer justement les idéaux archaïques de ceux qui la boycottent.