Plus que tout autre pays, l’Allemagne a peur de son extrême droite. Et pour brouiller les pistes, comme dans d’autres pays européens, le visage de cet extrémisme a pris les traits d’une femme jeune, 40 ans, souriante, à la tête de l’AFD (Alternative für Deutschland). Ce doux visage n’empêche pas Frauke Petry de tenir des propos des plus durs, et ainsi de raviver un passé que l’Allemagne n’a de cesse de combattre.
En juillet 2015, Frauke Petry est venue allonger la liste des leaders d’extrême droite en Europe, prenant la tête de l'AFD (Alternative pour l'Allemagne). L'inflexion anti-immigration qu'elle donne à ce parti jusqu'alors eurosceptique, lui vaut la victoire.
Comme la France, la Belgique, la Norvège, le Danemark, la Suisse et la Hongrie, l’Allemagne ne déroge pas à la contradiction d'avoir une femme à la tête d’un parti qui non seulement ne défend pas les droits des femmes mais cherche à les réduire. Qu’est-ce qui fait rimer extrême droite et leader féminin ? Certainement pas le féminisme, mais plutôt une façon de cacher, sous des traits angéliques, des positions extrémistes dures, et même parfois un discours « viril ».
L’AFD aura fait renaître de ses cendres le nationalisme allemand. Même si elle s’en défend, Frauke Petry flirte avec les extrêmes. Elle se montre à l’écoute de Pegida (mouvement contre l’islamisation de l’occident) et ne fustige pas les propos ouvertement xénophobes des plus à droite de son parti.
Tirer sur les migrants
Etre une femme ne rend pas Frauke Petry moins belliqueuse pour autant. Un des premiers faits d’armes de la cheffe de l’AFD a été d’affirmer un discours plus que guerrier à l’encontre des migrants. Lorsqu’elle déclare qu’ «
on peut faire usage d’armes à feux » sur ceux qui tenteraient de passer illégalement les frontières, elle crée une onde de choc en Allemagne en même temps qu'elle brise un tabou. Le souvenir d'Allemands de l'Est fusillés en essayant de passer à l'Ouest resurgit et à la Une du journal de centre-gauche
Der Spiegel, sa déclaration lui vaut le surnom de «
prédicatrice de la haine ».
Frauke Petry a grandi en Allemagne de l’Est. Son père a profité d’un voyage d’affaire pour fuir à l’Ouest, et ce n’est qu’à la chute du mur qu’elle et sa mère le rejoindront. Mais sa propre histoire ne semble en rien l’émouvoir, lorsqu'elle parle de tirer sur les migrants.
Contre l’émancipation de ses consoeurs
Frauke Petry se prononce contre l'avortement. Elle prône une politique nataliste et fait l’éloge des mères de famille nombreuse, dans la droite ligne des fameux trois K qui collaient aux «
mères-patries » nazies : kirche, küche, kinder – église, cuisine, enfants. Là encore, son enfance à l’Est, où plus qu'à l'Ouest on poussait les filles à travailler, n’infléchit pas sa politique.
En même temps, cette mère de quatre enfants, docteur en chimie et ancienne cheffe de PME, n'incarne pas tout à fait l'image traditionnelle de la famille. Son divorce d'avec le père de ses enfants, le pasteur Sven Petry, à qui elle a préféré le politique Marcus Pretzell (chef de l'AFD en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, membre du parlement européen), lui a valu beaucoup de railleries.
Sven Petry a procédé à un divorce "politique" et est entré à la CDU d'Angela Merkel, marquant ainsi son profond désaccord avec son ex-épouse et affirmant sa propre position. Mais Frauke Petry n'en est pas à une contradiction près. Cette ancienne entrepreneure qui défendait les quotas de femme en entreprise, les rejette aujourd'hui.
Un féminisme de circonstance et islamophobe
Frauke Petry ne défend les femmes que pour servir sa politique de lutte contre l’immigration,
tout comme la française Marine Le Pen qui, à une question sur son éventuel féminisme, répondait : «
si être féministe c’est l’être comme dans les années 1970 alors sûrement pas, mais si c’est défendre les femmes opprimées par l’islam, alors oui. ». L’extrême droite occidentale est coutumière du fait.
Lors des élections régionales de ce dimanche 13 mars 2016, Frauke Petry n'a pas manqué de rappeler
les événements du nouvel an à Cologne, pendant lesquels des bandes de mauvais garçons, dont nombre de migrants, ont abusé sexuellement et volé des femmes, tandis que la chancelière allemande ouvrait les frontières de son pays à plus d’1,1 millions de réfugiés. La cheffe de l’AFD a attaqué Angela Merkel en lui demandant, non sans ironie, si «
après ces agressions, l’Allemagne lui paraissait suffisamment ouverte et mélangée ». Poursuivant sa provocation, elle a comparé ces agressions aux viols des femmes allemandes par l’armée rouge à la fin de la Seconde guerre mondiale.
Terreau fertile pour la peur, son discours a fait écho chez ses électeurs, pour beaucoup abstentionnistes. Ce 13 mars 2016, elle crée la surprise, arrive en troisième position dans deux länder et en deuxième position en Saxe-Anhalt. Dans le fief conservateur du Bade-Wurtemberg, elle dépasse même le SPD (social-démocrate) et fait de son parti la troisième force politique du pays.
Ce qui fait courir Frauke Petry, comme toutes les femmes à la tête de partis d’extrême droite, n'est pas le droit des femmes mais le pouvoir. Gouvernée par une femme, l’AFD reste, à 71%, un parti de cadres et d'électeurs masculins qui affichent sans complexe leur anti-féminisme. En 2014, la jeunesse d’Alternative für Deutschland lançait sa campagne sur les
réseaux sociaux «
je ne suis pas féministe » (Ich bin keine feminist). De jeunes garçons mais aussi des filles ont posté des photos dans lesquelles ils brandissaient des pancartes expliquant pourquoi ils ne sont pas féministes, à coup d'arguments parfois très pauvres : «
je ne suis pas féministe… parce que, c’est comme ça ».