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"Free to run" : quand les femmes ont conquis le droit de… courir !

Dans son documentaire « Free to run » (Libre de courir), le réalisateur suisse Pierre Morath retrace l’histoire de la course à pied mais aussi celle de l'émancipation des femmes à travers ce sport. Très populaire aujourd’hui, il est à ses débuts mal vu et surtout, interdit aux femmes. Elles vont devoir lutter pour s’affranchir des préjugés et se faire une place dans les compétitions.
Des « excentriques », des « fous », des « extraterrestres » ! Autant de qualificatifs dont ont été affublés de simples coureurs américains au début des années 1960.
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Affiche du documentaire "Free to run" de Pierre Morath. ©DR

A New York, ils sont alors une poignée à chausser leurs baskets pour parcourir les rues du quartier du Bronx. Alors que cette activité est jugée dégradante, certains profitent de la nuit pour passer inaperçus et éviter les médisances.
 
Ces quelques coureurs isolés vont bientôt décider de pratiquer leur sport en groupe dans Central Park à Manhattan rejoint progressivement par des dizaines de personnes trouvent dans la course des bienfaits et un rapprochement avec la nature.

De la professionnalisation de ce loisir, à la naissance et l'essor commercial du marathon de New York en passant par la mercantilisation de ce sport, Pierre Morath retrace une partie de l’histoire de cette discipline aujourd’hui si populaire dans son film "Free to run" ('Libre de courir').

« Ton utérus va se décrocher »

Le réalisateur suisse s'attache aussi dans son documentaire au combat mené par femmes pour courir et pratiquer ce sport librement. A l’époque, si les hommes qui courent sont parfois mal vus, les préjugés sont pires à l’égard des femmes. Florilège : « Si tu cours tu deviendras un homme », « Des poils vont te pousser sur la poitrine », « Ton utérus va se décrocher », « Une femme qui court sur la piste, ce n’est pas beau »… 

Autant d’inepties montrées grâce aux images d'archives. Elles choquent d'autant plus un public aujourd'hui bercé par les médias et le corps médical de tous les bienfaits que la course, et l’activité physique en général, est censée procurer à chacun. 

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Image extraite du documentaire "Free to run".
©Free to run/ DR
« On se réfugiait derrière des croyances sociétales qui touchent d’ailleurs les organes génitaux de la femme et des organes reproducteurs : le sein avec lequel elle allaite, l’utérus au coeur de la procréation, la femme qui devient homme ne peut plus transmettre la vie », énumère le cinéaste Pierre Morath, qui ajoute : « Il y avait toujours cette idée que la femme était la garante du foyer mais aussi de la survie et de la transmission de l’espèce. Donc, tout ce qui pouvait la sortir de ce rôle effrayait la mentalité ambiante majoritairement masculine. »

Interdiction alors pour les femmes de courir plus de 800 mêtres. Une discrimination qui entrave les femmes en quête d’émancipation. La lutte contre les préjugés et le patriarcat passe alors par la course à pied, véritable « miroir sociétal », comme l’explique Pierre Morath, également historien du sport. 

Pionnière de la course à pied

« En Suisse les femmes n’avaient ni le droit de vote, ni le droit de courir », raconte scandalisée l’une des intervenantes clés du documentaire : l’Américaine Kathrine Switzer. Les Suissesses, bonnes dernières en Europe, n'obtiendront le droit de vote qu'en 1971.

Kathrine Switzer a marqué l’histoire de ce sport en étant la première à participer officiellement au marathon de Boston en 1967. Et ce, grâce à un malentendu sur son nom confondu avec celui d’un homme.

Parée d’un pull à capuche, elle court aux côtés de son entraîneur et de son petit ami. Mais en tombant, sa capuche révèle sa chevelure. Elle est démasquée. Le directeur de la course la remarque et tente de l’arrêter en la poussant hors de la route. Mais son copain l’écarte d'un coup d'épaule. La scène est alors photographiée, filmée, montrée dans le monde entier. Kathrine Switzer conclut le marathon mais est radiée à vie de la fédération américaine d’athlétisme. 

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Kathrine Switzer lors du marathon de Boston en 1967.
©Free to run / DR

A l'issue de la compétition, des journalistes lui assènent : « mais vous voulez prouver quoi ? » Qu’elle pouvait, comme les hommes, finir un marathon de 42 km et courir tout en étant féminine. Tout simplement...

Aux Etats-Unis, cette journée marque le début d'une forte médiatisation de la jeune femme dont elle va se servir ensuite. Sa « première expérience de discrimination » va se transformer en combat d’une vie visant à obtenir la liberté de courir pour toutes les femmes.
 

Les courses organisées par Avon ont permis de désacraliser, de décomplexer totalement la pratique féminine.

Pierre Morath, réalisateur de "Free to run".

Jusqu’au début des années 1980, la distance maximum autorisée par la Fédération américaine pour les femmes est de 1500 m. Kathrine Switzer profite de sa notoriété pour faire pression sur les instances sportives.

Avec le géant américain des cosmétiques Avon, elle lance des courses à pied féminines. « Elle a permis à des femmes de se lancer dans la course, car entre elles c’est plus simple, elles se sentaient moins lentes, raconte Pierre Morath. Les courses organisées par Avon ont permis de désacraliser, de décomplexer totalement la pratique féminine. En se servant de ce "circuit Avon" pour faire pression et pour militer pour que les femmes aient aussi leur marathon aux JO, Kathrine Switzer a aussi accéléré considérablement la cause des femmes dans la compétition. » 

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Au premier plan de cette photo, l'Américaine Joan Benoit qui a remporté la médaille d'or du premier marathon féminin aux JO de 1984 à Los Angeles.
©Free to run / DR

Course 100% féminine

Ces courses réservées aux femmes suscitent des critiques parmi certains hommes qui, les premiers,  les avaient soutenues pour venir participer à leur course. « L’un des fondateurs du magazine suisse 'Spiridon', Yves Jeannotat était déçu d'apprendre que Kathrine Switzer avait créé ces courses exclusivement féminines. Il disait "nous les hommes, on s’est battus pour les femmes alors qu’elles n’avaient pas de voix, pour qu’elles puissent courir avec nous, et maintenant, elles nous éjectent des courses en voulant courir toutes seules."»

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De plus en plus de femmes font de la course à pied.
©Free to run / DR

Où sont les hommes ?

Si les femmes ont dû lutter pour trouver leur place dans la course à pied, elles sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses à la pratiquer. « Au marathon de Paris, il y avait peu de femmes alors que, maintenant, elles doivent représenter un tiers des participants », estime Patrick Aknin. Lors de l'édition 2016, 25% des participants au marathon de Paris étaient des femmes.
 
« Sur l’ensemble des coureurs - même hors compétition - il y a plus de femmes que d’hommes», souligne le réalisateur Pierre Morath qui constate que « si on prend les compétitions officielles, on voit que commence à apparaître en Europe, en France, en Suisse, des courses mixtes auxquelles participent plus femmes que d’hommes. En Suisse cela a déjà été le cas en décembre dernier mais c’est un phénomène tout nouveau. » Une autre revanche des femmes sur l’histoire.