Se regarder pour échapper à la solitude
Alitée, « La Kahlo » peint ce qui l’entoure, à sa façon. Si certains aiment parler d’art naïf, ses traits évoluent très vite vers une conception picturale bien plus complexe et réfléchie.
En 1926, elle peint l’Autoportrait à la robe de velours - le tableau qui ouvre le parcours consacré à Frida dans cette exposition parisienne. Ce n’est pas un hasard. Cette lettre d’adieu à son premier amour, Alex - membre lui aussi des
cachuchas - est le premier de quatre-vingt deux autoportraits qui constituent les deux tiers de son œuvre. Une échappatoire à la solitude qui la hante dès l’enfance et pour toujours.
Peindre « la mexicanité »
Dans le Mexique moderniste et post-révolutionnaire (la révolution mexicaine a lieu en 1910) du général Porfirio Díaz, la jeunesse communiste fleurit. Frida Kahlo en fait partie. C’est dans les soirées où les débats d’idées se conjuguent à la Tequila qu’elle fait la connaissance de Diego Rivera.
De vingt ans son aîné, déplaçant avec fureur son énorme carcasse, il est déjà un peintre du
muralisme mexicain confirmé. Son art répond au projet d’exaltation de la nation. Rivera peint sur les murs des bâtiments publics des fresques qui rappellent la colonisation, les guerres d’indépendance, les héros de la consolidation de l’Etat mexicain… La rencontre « de la colombe et de l’éléphant » est celle de deux corps, deux esprits et deux sensibilités artistiques complémentaires. C’est précisément ce que relate « l’Art en fusion » tout en mettant en exergue les deux individualités.
On a souvent raconté l’incroyable histoire de ce couple qui se retrouve et se déchire à coups d’ivresses, d'infidélités et de cruauté. Au point d’oublier la qualité artistique de chacun, dans leurs similitudes et leurs divergences.
Beatrice Avanzi, la commissaire de l’exposition, et toute l’équipe qui a aidé à déployer une partie de la collection venue du
musée Dolores Olmedo de Mexico, voulaient montrer ce qui a fait d’eux des figures de proue de l’art latino-américain du XXème siècle. « Elle, c'est une icône dans le monde entier. Et Diego est un grand peintre de la modernité. On a choisi de consacrer une première salle à la chronologie du couple pour ensuite laisser la parole aux œuvres », explique la commissaire.
Alors que Diego peignait la grande Histoire, Frida peignait la sienne. Les minutieuses reproductions des fresques de Rivera au musée de l’Orangerie laissent voir avec précision comment cet artiste contribue à l’écriture du récit national alors que le Mexique connaît une période de prospérité. C’est ce qui les rejoint : cette envie de peindre la « mexicanité ». La peintre, dont la mère a des origines indiennes, choisit de porter des tresses et des jupons. C’est « habillée en mexicaine » qu’elle se représente. Dans ses tableaux, la symbolique aztèque, comme le soleil et la lune, est omniprésente. Des symboles qui se confondent avec ceux de l’érotisme et de la féminité.