Fil d'Ariane
Figure mythique du modernisme mexicain et féministe convaincue : Frida Kahlo a marqué l’art et son époque. Une partie de son œuvre est exposée au Musée national des Beaux-Arts du Québec, à Québec. Le musée fermé pendant la pandémie a rouvert ses portes ce 29 juin. L'exposition est prolongée jusqu'au 7 septembre. Visite guidée.
« L’art de Frida Kahlo est un ruban autour d’une bombe » a dit André Breton, qui a fréquenté l’artiste. Mais Frida Kahlo était, en soi, une bombe. On connait la vie tragique de cette Mexicaine née en 1907 : la polio qui l’attaque alors qu’elle n’a que 7 ans et qui lui laissera des séquelles importantes à la jambe droite, puis cet accident d’autobus qui va la blesser grièvement à 18 ans et la laisse alitée pendant des mois. C’est là que Frida va découvrir la peinture et cette passion ne la quittera plus.
L’exposition, issue de la collection de Jacques et Natasha Gelman, un couple d’amis de Kahlo et Rivera, présente 20 des 143 œuvres de la peintre : 10 huiles et 10 dessins sur papier. Mais c’est Frida qui est au centre des trois salles du musée consacrées à l’exposition, notamment grâce aux extraordinaires photos que l’on découvre d’elle et de son mari Diego Rivera (85 photographies sont présentées).
On peut aussi y voir un document assez exceptionnel, une vidéo de quelques deux minutes d’elle et de Diego dans la fameuse « Casa Azul » (la Maison bleue) où vivait le couple à Coyoacan, une vidéo réalisée par son amant photographe, Nickolas Muray. Les mœurs étaient d’ailleurs très libres dans cette maison, les maitresses de Diego et les amants de Frida s’y côtoyaient, ainsi que ses amantes, car Frida aimait aussi les femmes.
Diego et Frida se marient en 1929, même si la mère de Frida était contre ce mariage qu’elle qualifiera de l’union « d’un éléphant à une colombe ». Il faut dire que le couple est vraiment dépareillé : il a le double de son âge (il a 42 ans, elle a 21 ans), il est loin d’être beau (elle le surnomme d’ailleurs « mon crapaud »), elle rayonne d’une beauté lumineuse. Il est un artiste accompli et reconnu sur la scène internationale, arrive d’un séjour de plusieurs années à Paris où il a fréquenté les cubistes et les artistes d’avant-garde, elle est encore inconnue sur la scène artistique et n’a jamais voyagé. Il en est à son deuxième divorce et a des enfants en bas âge. Le couple va malgré tout vivre une grande et tumultueuse histoire d’amour pendant 25 ans remplie de trahisons, d’infidélités (il va notamment la tromper avec sa jeune sœur Cristina, et Frida ne le lui pardonnera jamais).
« J’ai subi deux graves accidents dans ma vie. L’un dans lequel un tramway m’a renversée. L’autre, ce fut Diego » a dit Frida. Mais elle écrit aussi dans son journal : « Diego = commencement, constructeur, mon enfant, mon fiancé, peintre, mon amant, mon mari, mon ami, ma mère, mon père, mon fils, moi, l’univers »,illustrant ainsi tout ce que cet homme a été pour elle…
L’histoire d’amour de ce couple mythique est aussi marquée par un engagement politique envers le communisme et les idées révolutionnaires : Diego va consacrer une partie de son œuvre à peindre la révolution mexicaine, notamment dans des fresques murales tout à fait exceptionnelles. Ils seront tous deux membres du Parti communiste. Et accueilleront Léon Trotski lors de son exil à la Maison bleue, il sera d’ailleurs l’un des amants de Frida. L’exposition retrace cet engagement politique à travers de magnifiques photos.
Frida va également embrasser fougueusement la cause des autochtones de son pays : après son mariage, elle va abandonner l’habit à l’occidental pour ne se parer que des robes colorées des paysannes et des tribus autochtones mexicaines, notamment les habits traditionnels des Tehuanas, branche des zapotèques, tribu d’origine de sa mère, Matilde (et son père était un Allemand d’origine). Dans la salle consacrée exclusivement à Frida, plusieurs de ces costumes sont présentés. Les Tehuanas sont une société matriarcale, les femmes y sont libres et indépendantes, elles représentent donc à l’époque un symbole de l’émancipation féminine. Une cause qu’endosse sans hésitation Frida, dont le féminisme a été révolutionnaire dans ce Mexique d’alors. Cette femme a été libre et elle a revendiqué cette liberté, tant dans sa vie que dans son art.
Et c’est dans ces costumes traditionnels que Frida Kahlo pose pour ses autoportraits : elle a été une des premières femmes artistes à se peindre et avait même, on peut le dire, une tendance à l’égocentrisme voire un certain culte d’elle-même. En tous cas, elle n’aurait pas dépareillé en cette ère d’égoportraits.
« Elle a réalisé une cinquantaine d’autoportraits, c’est plus du tiers de son œuvre, elle se prend comme modèle dans les moments les plus intimes, les plus critiques de son existence, souvent souffrante ou blessée, ce qui est nouveau à l’époque, elle est par exemple la toute première à se représenter en train de faire une fausse couche, c’était vraiment nouveau » explique André Gilbert, commissaire de l’exposition et Conservateur du Musée des Beaux-Arts du Québec.
Dans l’un de ses autoportraits les plus célèbres, que l’on retrouve dans l’exposition, on la voit entourée de 4 singes, des singes qui symbolisent quatre de ses étudiants préférés en peinture, qui venaient suivre ses cours chez elle quand elle ne pouvait se déplacer parce qu’elle était trop souffrante.
Justement… Frida Kahlo a beaucoup souffert dans sa vie, tant physiquement, à cause de son corps blessé qui la fera succomber à l’enfer de l’alcool et de la drogue, que moralement, avec cette relation passionnelle et dévastatrice avec l’homme de sa vie. Et c’est dans son art qu’elle a imprimé cette souffrance. C’est donc cette trame de souffrance et de douleur que l’on remonte au fil de l’exposition, avec des dessins notamment extrêmement troublants et d’une forte intensité pour illustrer la fausse couche et l’avortement. Car l’un des drames dans la vie de Frida est de ne pas avoir eu d’enfants : elle a essayé à plusieurs reprises, mais toutes ces tentatives se sont soldées par des fausses couches et des avortements. Des expériences traumatisantes qui ont marqué profondément cette femme.
L’exposition se termine sur les dernières années de la vie de Frida, marquées par des opérations à répétition à la jambe et dans la colonne vertébrale (quelque 30 chirurgies au total) qui vont faire sombrer l’artiste dans l’alcool et l’absorption abusive de médicaments. En 1953, elle doit se faire amputer d’une jambe sous le genou. Elle porte aussi un corset et ne peut plus se déplacer qu’en fauteuil roulant. Une déchéance physique terrible pour cette femme qui a été d’une telle beauté durant sa jeunesse.
A la mort de Frida en 1954 des suites d’une embolie pulmonaire, Diego, fou de douleur, fait sceller une salle de bain de la Maison bleue avec ordre de ne l’ouvrir que 50 ans plus tard. On y découvre donc en 2004 un véritable coffre aux trésors sur Frida Kahlo : des milliers de photographies, lettres, dessins mais aussi quelque 300 vêtements, chaussures, bijoux, médicaments, cosmétiques et autres objets ayant appartenu à l’artiste, dont ses corsets, ses béquilles, etc.
Depuis sa mort, au fil des décennies, Frida Kahlo est devenue un mythe : plus connue maintenant dans le monde que son mari, elle est même devenue une véritable marque de commerce, on recense quelque 4000 objets commerciaux liés à son image, du coussin en passant par des casse-tête, des sacs, des blocs-notes et autres. On peut parler de « Fridamania » et dans le sud des États-Unis, des immigrants mexicains vénèrent même la peintre comme une sainte, « Santa Frida », patronne des mères célibataires et des sans-papiers.
Frida Kalho n’a vécu que 47 ans : mais elle a marqué l’art d’une façon indélébile et elle est actuellement l’une des artistes les plus connues dans le monde entier.