Ecologie

Genre et environnement : les hommes polluent-ils plus ?

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Paris sans voiture

Des personnes marchent sur l'avenue des Champs-Élysées, à Paris, lors de la "journée sans voiture", avec l'Arc de Triomphe en arrière-plan, dimanche 19 septembre 2021. La ville organise une journée sans voiture pour tenter de réduire le trafic et la pollution de l'air depuis 2015. 

© AP Photo/Lewis Joly
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Les femmes ont une empreinte carbone 26 % moins élevée que les hommes dans les domaines de l’alimentation et des transports, selon une étude. Menée en France par deux chercheuses, cette enquête est parmi les premières à explorer l’influence du genre sur les contributions individuelles au réchauffement climatique.

A la question : les hommes sont-ils plus gros pollueurs que les femmes ? La réponse est oui, en tout cas en matière d'empreinte carbone. 

C'est ce que met en lumière cette étude menée par Marion Leroutier, enseignante-chercheuse au CREST-ENSAE Paris, et Ondine Berland, chercheuse en économie de l’environnement au Grantham Research Institute de la London School of Economics and Political Science, portant sur 15 000 personnes. Selon leur enquête, ces écarts sont particulièrement significatifs dans les secteurs de l’alimentation et des transports. Ces derniers représentent à eux seuls près de la moitié de l’empreinte carbone d’un individu moyen. 

Pollution et trafic routier à Paris

Sur cette photo du 8 décembre 2016, des véhicules circulent sur le périphérique parisien lors d'un pic de pollution. Mercredi 3 février 2021, un tribunal a jugé que l'État français n'avait pas pris de mesures suffisantes pour lutter contre le changement climatique dans une affaire portée par un groupe d'organisations non gouvernementales qui ont qualifié cette action d'"affaire du siècle". 

© AP Photo/Michel Euler

Viande rouge et voiture : symboles d'une virilité pollueuse

En s’appuyant sur les dernières enquêtes disponibles représentatives de la population française (2015 pour l’alimentation, 2019 pour les transports), l’étude révèle que les femmes émettent en moyenne 26 % de CO₂ en moins que les hommes pour ces deux postes de consommation. 

Des recherches antérieures menées en Suède ont montré que les dépenses des hommes en biens provoquent 16 % d'émissions de chaleur climatique de plus que celles des femmes, rappelle de son côté The Guardian.

Nos résultats suggèrent que les normes de genre traditionnelles, notamment celles qui associent la virilité à la consommation de viande rouge et à la conduite automobile, peuvent jouer un rôle dans la formation des empreintes individuelles. Ondine Berland, chercheuse en économie de l’environnement 

Après ajustement pour les écarts de quantités de nourriture consommée, de distances parcourues ou encore les facteurs socio-démographiques, l’écart restant s’explique en grande partie par une consommation moindre de viande rouge et un usage réduit de la voiture pour les femmes. Ces deux comportements sont à la fois fortement émetteurs et associés à la masculinité traditionnelle.

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"Nos résultats suggèrent que les normes de genre traditionnelles, notamment celles qui associent la virilité à la consommation de viande rouge et à la conduite automobile, peuvent jouer un rôle dans la formation des empreintes individuelles, explique Ondine Berland. Cela ouvre des pistes pour des politiques d’information visant à remettre en cause ces normes — par exemple en valorisant les régimes végétaux comme compatibles avec la force et la performance". 

"À l’inverse, certaines tendances culturelles émergentes encourageant les régimes exclusivement carnés — souvent accompagnées d’un discours dénigrant les alternatives végétales — risquent d’encourager des comportements plus polluants", estime-t-elle. 

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Même analyse chez la co-autrice de cette étude, Marion Leroutier, "les nouvelles tendances culturelles qui promeuvent la viande crue ou les régimes 'tout viande' - souvent accompagnées d'une rhétorique méprisant les options à base de plantes - risquent de renforcer ces normes et d'accroître les comportements à forte intensité de carbone". D'ailleurs, comme le souligne The Guardian, "Le terme 'soy boy' (garçon soja) a été utilisé par des personnalités d'extrême droite, dont le vice-président américain JD Vance et l'influenceur misogyne Andrew Tate, pour présenter les hommes progressistes comme des faibles".

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Ce qui semble apparaitre pour l'utilisation de la voiture ne se retrouve pas dans les déplacements en avion : "Il est intéressant de noter que nous ne constatons pas d'écart entre les sexes en matière d'empreinte carbone pour l'avion, un mode de transport considéré comme plus neutre que la voiture. Cela suggère que l'écart s'explique par des différences de préférences entre les sexes antérieures aux préoccupations climatiques".

Polluer en couple

Les personnes vivant en couple tendent à adopter des habitudes alimentaires similaires, les femmes en couple ayant une alimentation plus émettrice que les femmes seules, conclut l'étude.

© AP Photo/Lewis Joly


De la "mauvaise" influence du couple

La structure du foyer joue également un rôle important : les personnes vivant en couple tendent à adopter des habitudes alimentaires similaires, les femmes en couple ayant une alimentation plus émettrice que les femmes seules. 

Les différences entre femmes et hommes dans les émissions liées au transport, notamment venant des déplacements professionnels, sont particulièrement marquées dans les couples avec enfants, les rôles semblent se spécialiser au sein du foyer, précise l'étude.

Pollution à Paris

Un panneau affiché à la Porte Dorée à Paris sur lequel on peut lire "véhicule ancien interdit pour cause de pollution" le jeudi 25 juillet 2019 alors qu'une nouvelle température record de 42,6 degrés Celsius (108,7 F) a frappé la capitale française. 

© AP Photo/Rafael Yaghobzadeh

Politiques climatiques et genre 

Les politiques climatiques pourraient avoir un coût différencié selon le genre, avancent les chercheuses. Les femmes, ayant en moyenne une empreinte carbone plus faible, pourraient être moins affectées par ces mesures, ce qui expliquerait en partie pourquoi elles se déclarent plus souvent préoccupées par le changement climatique que les hommes, même à orientation politique donnée.

Une étude du Pew Research Center dans onze pays dits développés (parmi lesquels l'Allemagne, la Corée du Sud, les États-Unis ou encore le Canada) en 2015 montrait que les femmes sont plus préoccupées et se sentent plus directement concernées par le changement climatique, inquiètes que ces bouleversements leur nuisent personnellement.

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"Nos résultats suggèrent que les différences d’empreinte carbone s’expliquent en partie par des préférences et spécialisations genrées antérieures aux préoccupations environnementales. Il reste à déterminer dans quelle mesure ces différences traduisent également une plus grande sensibilité des femmes au changement climatique et une propension accrue à adopter des comportements écologiques.", précise encore Marion Leroutier.

Changement climatique et santé des femmes

Dans un rapport intitulé « Femmes, santé et environnement : la vulnérabilité des populations féminines » (novembre 2020), le Comité d’éthique de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) rappelle que les données genrées sont rares dans les études en santé environnementale. Des recherches ciblées sur certains types de pathologies montrent cependant que la santé des femmes devrait constituer un enjeu majeur. 

Selon l'ONG Climate Central, le changement climatique accroît les risques liés à la grossesse dans le monde entier en raison de la chaleur extrême. Selon une étude publiée en 2024 dans la revue Nature Medicine, les fortes températures accroissent de multiples risques, qui vont des naissances prématurées au décès du nouveau-né en passant par des malformations congénitales.

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En conclusion, la chercheuse plaide pour des recherches supplémentaires "pour comprendre si ces différences dans les empreintes carbone sont également dues en partie à la plus grande préoccupation des femmes à l'égard du changement climatique et à leur plus grande probabilité d'adopter des comportements respectueux du climat dans la vie de tous les jours".

Circulation alternée

Mercredi 1er octobre 1997, des automobilistes parisiens ont été contraints de laisser leur voiture à la maison et d'emprunter gratuitement les transports en commun après que la France a imposé pour la première fois des restrictions à la conduite automobile dans le cadre d'un ensemble de mesures antipollution visant à lutter contre le smog. 

© AP Photo/Jerome Delay

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