Germaine Berton, anarchiste jusqu'au bout du canon

Le 22 janvier 1923, Germaine Berton, à peine âgée de 20 ans, abattit de quatre coups de pistolet Marius Plateau, dans les murs du journal ultra-conservateur et royaliste L’Action Française. L'affaire fit grand bruit et déchaîna la presse de l'époque. Jugée, la meurtrière fut finalement acquittée. Qui était cette jeune ouvrière, jusque-là inconnue, et pourquoi ce geste ? C'est ce que nous raconte le journaliste Frédéric Lavignette dans Germaine Berton, une anarchiste passe à l'action, aux éditions L’Echappée.
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Née le 7  juin 1902, morte suicidée à 40 ans, Germaine Berton est une ouvrière métallurgiste, militante syndicaliste et anarchiste, célèbre pour le meurtre de Marius Plateau directeur de la Ligue d'Action française, pour lequel elle fut finalement acquittée. (Photo de police)
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©L'Echappée/éditions

Après avoir enquêté sur Bonnot et sa bande, Fréderic Lavignette se penche sur un autre personnage, moins connu, du mouvement anarchiste français : Germaine Berton, celle qui assassina Marius Plateau, l'une des personnalités les plus en vue de l'extrême droite du début du XXe siècle.

Le parti-pris choisi consiste à éplucher les archives de la police, et surtout les quotidiens contemporains de l’affaire. 48 titres de presse participent de cette aventure inédite, et leurs articles nourrissent le récit, au jour le jour, depuis l’attentat perpétré par Germaine Berton le 22 janvier 1923, jusqu’à son procès, et au-delà.

Pour certains historiens, cette femme fut la seule militante française du XXe siècle à avoir mis en œuvre la "propagande par le fait". Pour d’autres, elle n'était qu'une exaltée.

La France de l'après-guerre

La France peine à se relever de la guerre 14-18. Des emprunts à rembourser, des pensions d’invalidité à payer, une économie à relancer qui s'ajoutent à un terrible bilan humain : 1,3 million de morts, 300 000 mutilés, 760 000 veuves et orphelins.
 

C'est dans cette France morose que la toute jeune Germaine Berton, habitée par le souvenir de Jean Jaurès pour avoir assisté avec son père à plusieurs de ses meetings décide de "monter" à la capitale. Elle y vit de petits boulots. On la dit ouvrière dans le secteur de la métallurgie, parallèlement, elle collabore au journal Le Réveil, écrivant sur le thème "A bas la France militariste". Ses ami.e.s, ses amants sont pour la plupart anarchistes ou libertaires. Les poètes surréalistes ne sont pas loin, parmi lesquels André Breton.

A l'opposé de l'échiquier politique : les animateurs du mouvement d’ultra-droite, royalistes, anti-dreyfusards, antisémites de l’Action Française. Soit principalement Léon Daudet, député de Paris, et l’écrivain Charles Maurras, ainsi que Marius Plateau, le secrétaire général de la milice les "Camelots du roi", spécialisés en règlements de compte physiques et expéditions punitives à coup de cannes plombées, jets d’encre ou ingestion forcée d’huile de ricin.

Parmi les nombreuses victimes de l’Action Française, de plus en plus populaire au lendemain de la Première guerre mondiale, le dramaturge Henri Bernstein, traité de "juif déserteur". Sa pièce sera d'ailleurs privée de scène à la Comédie Française. L’Action Française, qui fondera en 1925 son Cercle de Dames et Jeunes Filles royalistes, aligne, dès ses débuts, de nombreuses sympathisantes "contre-féministes", pour reprendre la terminologie de Marthe Borély, journaliste antisémite à L’Ordre et adepte du culte de la sphère domestique.

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De la conviction politique au passage à l'acte

C'est décidé. Germaine Berton veut faire disparaître un des hauts dignitaires de l’Action Française. Les circonstances feront que ce sera Marius Plateau. Il n’est pas le plus prestigieux, mais figure finalement comme le plus emblématique de la capacité de nuisance de son clan. Il sera abattu dans le dos après être tombé dans le piège ourdi par la jeune anarchiste. Près de 6000 sympathisants suivront ses obsèques.

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Les obsèques de Marius Plateau, avec les principales personnalités de l'Action française à l'entrée du cimetière de Vaugirard, à Paris.
©Agence Rol/gallica/BNF

Germaine Berton sera jugée lors d'un procès retentissant. Au final, et sans doute grâce à son avocat Maître Torres, la meurtrière sera acquittée, le 23 décembre 1923. Un verdict qui interpelle, à un moment de l’histoire où la justice est prompte à brider la liberté d’expression, à procéder à des perquisitions et à jeter en prison tout ce qui contrevient à l’ordre public.

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Germaine Berton, au centre, au cours de son procès.
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Germaine Berton a-t-elle été acquittée parce qu'elle était une femme ? Les jurés populaires ont-ils vu en Germaine Berton un salutaire modèle de désobéissance civique ?

Germaine Berton, nous l’aimons bien fort parce que son geste est la seule réponse logique que l’on puisse faire aux rugissements de haine des chacals de la réaction.
Le Libertaire

Les soutiens de l’Action Française sont en tout cas désavoués. Eux qui, tout au long du procès, ont titré, avec leur sens légendaire de la mesure, La grue a tué le héros ou Une balle allemande a tué Marius Plateau, fustigeant la "main germano-bolchévique" derrière la "Femme Berton", ne pouvaient voir dans le dénouement final que la preuve de leur intime conviction : "la République est morte".

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Toujours prête à en découdre, l’Action Française avait tout fait pour accréditer le complot collectif. Comment cette jeune souffreteuse aurait-elle pu ourdir de sang froid l’assassinat d’un des leurs ?
 
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Portrait de Germaine Berton entouré des membres du mouvement surréaliste, paru dans le numéro 1 de la Révolution surréaliste.

 
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Les communistes avaient joué la prudence, les anarchistes commencent par désapprouver l’acte solitaire, allant jusqu’à évoquer l’"exaltation propre aux féministes". Une semaine plus tard, volte-face : le meurtre de Marius Plateau est légitimé, la solidarité s’est mise en place. Germaine Berton devient l’héroïne qui manquait au mouvement. 

Quant aux organisations féministes, elles restent convaincues que la jeune anarchiste aiderait les femmes "à briser toutes les chaînes".

O femmes ! O mères ! qui chaque jour buvez vos larmes (…) N’oubliez pas Germaine Berton. Elle vous a donné ses 20 ans
(Madame) Hauteclaire – Le Libertaire

La presse de gauche ne tarif pas de qualificatifs pour tirer le portrait de la victime et de ses chefs. Allant parfois jusqu’à comparer notre anarchiste à Charlotte Corday poignardant Marat.

Le tirage des journaux s’envole. Chaque rebondissement, chaque révélation, chaque interrogatoire fait l'objet d'un nouveau tirage. Mais les rédactions et les imprimeurs sont sur le pied de guerre, tant le risque de représailles est monté de plusieurs crans au fil de l’année 1923.

Au coeur des archives

C’est l’éditeur de l‘Echappée, Cédric Biagini, qui le dit : Frédéric Lavignette a inventé une véritable méthode narrative. Plongé - cinq ans durant - dans les collections de la BNF et dans celles des Archives de la Préfecture de Police, l'auteur en a ramené de véritables pépites.

A ces documents s'ajoute le récit des plaidoiries des avocats. La palme, ici, revient à Henry Torres, qui convaincra le jury des motivations de l’inculpée, mue par un idéal : venger l’assassinat de Jaurès et mettre un terme aux basses œuvres des milices de l’Action Française. L’avocat n'est pas avare de citations favorables à sa cliente : outre la journaliste, militante féministe, Séverine, la toute jeune avocate Suzanne Lévy, le député Léon Blum, il fit venir à la barre un défilé d’intellectuels et de notables molestés sans ménagement par les Camelots du Roi. Celui qui deviendra le champion de l’acquittement des anarchistes les plus acharnés, surnommera dans ses Mémoires, sa célèbre cliente, la "Mademoiselle Bovary de l’anarchie".