Fil d'Ariane
Germaine Cellier est l’une des premières parfumeuses françaises de renom, à l’avant-garde de la création olfactive. Diplômée de chimie dans les années 1930, elle s’impose dans une industrie à l’époque largement dominée par les hommes. Le roman graphique Germaine Cellier, l’audace d’une parfumeuse (éd. Nathan) retrace son inspirant parcours.
Surnommée "la chimiste de la beauté", Germaine Cellier naît à Bordeaux en 1909, un roman graphique Germaine Cellier, l’audace d’une parfumeuse (éd. Nathan) rend hommage à cette pionnière.
Rendre l’invisible visible. C’est ce qui inspire le plus Sandrine Revel, illustratrice et autrice de bande-dessinée engagée, avec Une Farouche liberté (éd. Grasset), sur les combats de l’avocate Gisèle Halimi ou Résurgences (éd. Boite A Bulles), qui suit des femmes au parcours cabossé vers la réinsertion professionnelle. Des obstacles, il y en a eu aussi sur le chemin de Germaine Cellier, à une époque où les Françaises n’avaient pas encore le droit de vote. Grâce à son parcours hors norme, ses parfums iconiques imprègnent encore l’air du temps.
Sandrine Revel, illustratrice et autrice de bande-dessinée.
Issue d’un milieu modeste, elle a fait preuve d’une grande détermination pour se faire un nom dans le milieu de la parfumerie. Sandrine Revel, illustratrice et autrice de bande-dessinée
"Issue d’un milieu modeste, elle a fait preuve d’une grande détermination pour se faire un nom dans le milieu de la parfumerie, insiste Sandrine Revel. En suivant aussi son instinct."
Lorsque les éditrices Paola Grieco et Karine Leclerc avec Béatrice Egémar, autrice et designer olfactif, lui proposent ce projet, illustrer un biopic sur la première femme nez française, "j’ai tout de suite dit oui, avant de me mettre au parfum sur sa vie" et de redonner des couleurs à son héritage.
Planche extraite du roman graphique Germaine Cellier, l’audace d’une parfumeuse (éd. Nathan).
Surnommée "la chimiste de la beauté", Germaine Cellier naît à Bordeaux en 1909. Elle a "du nez", dit-on. Et à quinze ans, l’adolescente annonce à ses parents : "Ce qui me plairait, ce serait de créer des parfums !". Le Paris des Années folles est la ville des avant-gardes. La garçonne danse, boit, fume, aime librement… et se parfume avec des fragrances lancées par une industrie en pleine effervescence. Germaine le sent, le sait, c’est là-bas que se jouera son destin. Diplômée de chimie, elle exécute - longtemps - les compositions mises au point en laboratoires par des hommes. Jusqu’à oser créer ses propres fragrances, non sans repousser un léger vent de conservatisme.
À quinze ans, Germaine annonce à ses parents : "Ce qui me plairait, ce serait de créer des parfums !"
"Germaine Cellier fumait comme un pompier, buvait du Johnnie Walker, parlait argot, lisait le Canard enchaîné… Elle était à la fois très belle et impérieuse. Avec une présence extraordinaire. Elle a surtout révolutionné le monde de la parfumerie de l’après-guerre", raconte dans le podcast La Voix du parfum, sa nièce, la journaliste Martine Azoulai.
`Et comment ? Avec une overdose de génie et une intuition affutée. En 1947, pour la maison Balmain, la parfumeuse créé Vent Vert, qui contient une surdose de galbanum. Du jamais vu ! Considéré comme le premier parfum "vert", le succès est immédiat. Son audace olfactive séduit d’autres créateurs de mode. En 1946, elle confectionne Cœur Joie pour Nina Ricci. Deux ans plus tard, elle créé Fracas pour Robert Piguet, à base de tubéreuse, une fleur au pouvoir entêtant. Aujourd’hui encore, il est célébré comme l’un des plus grands parfums floraux.
Germaine Cellier, créatrice de Vent vert, premier parfum "vert".
"Avant d'accepter ce projet, je n’avais jamais entendu parler de Germaine Cellier", avoue Sandrine Revel qui s’est référé aux recherches de Béatrice Egémar, auteure de l’ouvrage et passionnée de parfums.
Tous ceux qui l’ont connue s’accordent à dire qu’elle avait une forte personnalité et ne mâchait pas ses mots. Béatrice Egémar, autrice et designer olfactif
"Martine Azoulai m’a fourni de précieuses informations sur sa tante, mais Germaine Cellier garde une part de mystère, explique Béatrice Egémar. Tous ceux qui l’ont connue s’accordent à dire qu’elle avait une forte personnalité et ne mâchait pas ses mots. Mais que pensait-elle ? Comment a-t-elle vécu la guerre, par exemple ? C’est quand même extraordinaire d’avoir travaillé à la création d’un parfum comme Fracas à Paris, pendant l’occupation allemande ! Comment vivait-elle cela ?". Il faut l’imaginer, comme la fragrance de ses créations, accessibles en ligne, mais quasi introuvables sur les rayons des parfumeries.
Pour autant, dans le milieu de la parfumerie moderne, Germaine Cellier reste une source d’inspiration. Et pour cause, elle fut l’une des premières à défendre l’idée qu’un parfum de caractère ne se fait pas uniquement avec des extraits naturels, mais aussi à base de produits purs, concentrés, et synthétiques, élaborés en laboratoires.
"La maison Piguet nous a offert des échantillons de Fracas, Bandit, et d’autres de ses parfums, raconte Sandrine Revel. Pour m’imprégner de ce projet, exceptionnellement, je me suis parfumée. Porter du parfum, c’est comme porter un vêtement de haute-couture. Quelle sensation de fierté."
Et porter du Germaine Cellier ? "L’odeur évolue au fil de la journée mais reste permanente. Elle est très entêtante, très puissante ! Sa signature marque les esprits et pour longtemps."
Planche extraite du roman graphique Germaine Cellier, l’audace d’une parfumeuse (éd. Nathand)
Germaine Cellier a ouvert une voie aux femmes en parfumerie. Parmi ses héritières, Juliette Karagueuzoglou, le "nez" derrière les emblématiques Phantom de Paco Rabanne et L’Homme d’Yves Saint Laurent.
Juliette Karagueuzoglou, créatrice de parfums.
Terriennes : Le milieu de la parfumerie est-il encore masculin ?
Il l’est resté très longtemps… À l’époque, on devenait parfumeurs de père en fils ou bien on grimpait les échelons au sein des maisons de parfums. Les femmes se heurtaient souvent au plafond de verre. L’ouverture en 1970 par Guerlain de l’ISIPCA, la première école française d'études supérieures en parfumerie, fait véritablement entrer les filles dans le métier. Dès lors, la profession se féminise. Aujourd’hui, dans les maisons de compositions, les parfumeuses sont autant que les hommes, si ce n’est même plus.
Le nom de Germaine Cellier vous était-il familier ?
En cours d’Histoire du parfum, son nom est incontournable. Ma professeure de formulation a d’ailleurs travaillé avec elle. C’était une vraie tête dure ! A son époque, les molécules synthétiques font timidement leur entrée dans la parfumerie, on les utilise pour arrondir ou sophistiquer un parfum. Mais pas pour choquer ou provoquer les sens, comme Germaine a osé le faire. Ses créations ont mis le feu aux poudres d’une institution centenaire. Rappelons que Guerlain a commencé au 19e siècle dans les cours royales d’Europe, et François Coty (1874-1934), considéré comme le père de la parfumerie moderne, était avant tout un industriel et un homme politique.
"L’ouverture en 1970 par Guerlain de l’ISIPCA, la première école française d'études supérieures en parfumerie, fait véritablement entrer les filles dans le métier", estime Juliette Karagueuzoglo, "nez".
Que vous inspire-t-elle ?
De l’audace ! Germaine Cellier a créé de la bizarrerie dans un monde masculin et assez traditionnel. C’est une pionnière, elle a entrouvert les portes de la parfumerie. Mais il a fallu que d’autres poursuivent son entreprise, et ce jusque dans les années 1980-90, à l’instar des Américaines Joséphine Catapano et Sophia Grosjman, surnommée "la reine de la rose". Surtout, elle donne envie de bousculer les choses et de marquer une réflexion artistique, avec son propre style.