Fil d'Ariane
Germaine Krull est née en en Pologne peu avant l'avènement d'un XXème siècle dont elle allait boire à grands traits l'audace et la fécondité. De son père, un Allemand, athée et libertaire, elle hérite un goût du risque et de la liberté qui chez lui, frisent le dilettantiste, et qu'elle, sa fille, sublimera dans son art.
A son enfance chaotique succède une jeunesse engagée - encore un héritage parental - qui lui vaudra 9 mois de prison à Moscou, où elle a suivi son amant. Retour à Berlin en 1922. Place à la photographie, le domaine où, davantage pour gagner sa vie que par passion, elle fera sa véritable révolution. Elle commence par une série de nus dont les ombres et la sensualité préfigurent un Man Ray. Pourquoi des nus ? « Parce que c'est beau depuis toujours et qu'un matin d'été, ça m'a plu, » disait-elle.
Elle en rêve depuis toujours. Alors en 1926, Germaine Krull quitte tout pour s'installer à Paris. Encore un virage en épingle : elle s'installe comme photographe de mode pour le studio de l'artiste d'origine juive ukrainienne Sonia Delaunay, et s'essaye à la photo publicitaire. Chaleureuse, captivante et spirituelle, elle s'intègre dans les milieux artistiques et intellectuelles de l'entre-deux-guerres.
Autre innovation, autre monde. Germaine Krull se lance dans une nouvelle aventure : le roman photo, une grande nouveauté, à l'époque, cette fois tournée vers la culture de masse. Obéissant à ses intuitions, elle raconte La folle d’Iteville, un sombre polar de Simenon, au fil de clichés, évocateurs et inquiétants.
« Le vrai photographe, c’est le témoin de tous les jours, c’est le reporter, » affirmait-elle. En 1928, elle rencontre Lucien Vogel, l'homme de presse qui va lancer VU, un magazine d'actualité dans lequel il veut publier sur plusieurs pages des reportages alliant textes et images - elle en réalisera une trentaine. Son regard atypique et spontané, recherchant le contact et la proximité davantage que l'équilibre et la construction, représente un apport à la photographie de l'entre-deux-guerres.
Rebelle, aventureuse, indépendante, Germaine Krull aime la vitesse. Astucieuse, aussi, elle est approchée par le constructeur Peugeot pour réaliser les photos de la campagne publicitaire de la nouvelle '201'. En guise de rétribution, elle réclame une automobile rien que pour elle. Au volant, elle se lance avec audace dans les rues de Paris et sur les routes de France, et mitraille les sites et les gens depuis depuis le siège du conducteur. Ces parcours aussi esthétiques et mentaux se matérialiseront dans des livres photographiques intitulés La Route Paris-Biarritz ou Le Valois de Gérard de Nerval.
En 1940, Germaine Krull quitte la France pour les États-Unis, avant de rejoindre le Congo, où elle s'occupe de la propagande de la France libre, puis Alger. Elle accompagnera les alliés jusqu'à la fin de la guerre. Elle assistera à la libération d'un camp. Ses photos paraissent dans La Bataille d'Alsace. Après ce qu'elle a vu, comment rester en Europe ?
En 1946, elle part en Indochine comme correspondante de guerre, puis se lance dans un périple asiatique d'un pays, d'une langue, d'une culture à l'autre. Elle embrasse le bouddhisme, découvre la Birmanie, le Tibet, l'Inde et puis la Thaïlande. Elle s'installe à Bangkok, où elle tiendra un hôtel de luxe pendant vingt ans. A son retour en Allemagne, sans ressources, malade, elle a perdu la plupart de ses clichés. Germaine Krull s'éteint en 1985.
Germaine Krull (1897-1985)
Un destin de photographe
Jusqu'au 27 septembre 2015
Le Jeu de paume - Paris
http://www.jeudepaume.org/