Fil d'Ariane
Dans ma famille, le nom de Germaine Tillion était connu. Et respecté. Et admiré. Plus que l’universitaire, ce fut de la combattante dont j’entendais d’abord parler. Plus que de la résistante au nazisme, déportée à Ravensbrück, au Nord Est de Berlin, camp de concentration allemand, avant tout réservé aux femmes, durant la Seconde guerre mondiale, c’est la figure de l’intellectuelle rangée aux côtés des indépendantistes algériens qui émergeait du récit familial.
Germaine Tillion ne fut pas la seule à tendre un fil entre son engagement antifasciste et son soutien aux militants du FLN (même si d’autres accomplirent un chemin inverse, tel le funeste général Aussaresses, passés du gaullisme de guerre, à la torture et l’assassinat durant la guerre d’Algérie). Mais cette voie singulière s’appuyait sur une passion professionnelle, l’ethnologie, une discipline qui la mena en Algérie, auprès des Chaouias, berbères des Aurès. Dans les années 1930, les femmes étaient encore rares à s'engager dans cette voie...
La première fois que je rencontrais Germaine Tillion, ce ne fut pas « en vrai » comme disent les enfants, mais dans les souvenirs de Turkya O, juriste algérienne, installée à Washington. Elle avait combattu dans les rangs du FLN, avait été arrêtée, torturée par l’armée française. Elle racontait d’une voix douce comment on la laissait se souiller dans sa cellule au moment des menstruations mais aussi la voix si polie, le geste délicat de l’officier qui l’aidait à descendre de la table de tortures après action. Le pire, cependant, restait à venir. Face à son mutisme, ils décidèrent de la libérer, de faire croire à sa trahison, pour la briser plus sûrement.
Alors elle pensa à Germaine Tillion qui avait été sa professeure. Elle lui lança un appel au secours, et sans plus de formalité, l’universitaire la secourut. Et la sauva. De la même façon qu’elle avait fourni de vrais faux papiers à une famille juive dès les premières lois antisémites du gouvernement de Vichy.
Eliminer le nazisme
Avant de rejoindre la toute première cohorte de maquisards qui passera à la postérité sous le nom de « groupe du musée de l'Homme », constitué d’ethnologues et d’anthropologues.
Cette organisation démantelée, ses camarades arrêtés, Germaine Tillion rejoindra un autre réseau, lié aux Britanniques, et qui sera trahi par un prêtre au service de la gestapo. La plupart des membres de Gloria sont exécutés ou déportés. Comme Anise Postel Vinay et Geneviève de Gaulle-Anthonioz, elle arrive à Ravensbrück en octobre 1943. Ce camp n’était pas destiné, on a presque envie de dire heureusement, à l’extermination des juifs et des tsiganes, mais à y enfermer les combattantes .
Les détenues, pour la plupart des militantes politiques ou des épouses de juifs, y étaient battues, humiliées, maltraitées, mais leur horizon n’était pas la destruction. Sauf pour celles qui n’y passaient qu’en transit, une fois leur origine juive établie, avant de rejoindre les centres d’extermination installés en Pologne.
Mais dans la débâcle de la défaite annoncée, des prisonnières furent tuées par leurs geôliers. Ainsi est gazée Emilie Tillion en mars 1945, la mère de Germaine, résistante elle aussi. De cette expérience concentrationnaire, elle rapportera une opérette, écrite sur un cahier d’écolier, Le Verfügbar aux Enfers. Elle sera mise en scène pour la première fois, en 2007, au théâtre du Châtelet, à Paris. Quelques mois avant sa mort, le 18 avril à l’âge de 101 ans.
Féministe, le dernier combat
C’est en 1992, que j’eus l’occasion de rencontrer Germaine Tillion en chair et en os. Je préparais au sein de l’Ecole des hautes études en sciences sociales une thèse sur l’histoire des femmes révolutionnaires russes du XIXème siècle. C’était au temps où les études de genre ne mettaient pas la France à feu et à sang. Et cette personnalité exceptionnelle venait de s’engager dans un nouveau combat, celui de l’émancipation des femmes.
Les cendres de Germaine Tillion sont transférées au Panthéon en même temps que le cercueil (empli de terre) de sa compagne de camp Geneviève de Gaulle-Anthonioz, militante des droits de l'homme et de la lutte contre la pauvreté, présidente d'ATD Quart Monde de 1964 à 1998. Mais l'entrée seule de deux femmes dans ce symbole de la République française semblait impensable. Les dépouilles de Pierre Brossolette et Jean Zay, autres figures de la résistance au nazisme) y seront transférés aussi.
Les deux élues de cette promotion 2015 rejoindront Sophie Berthelot et Marie Curie, ces deux femmes qui eurent le droit, avant elles, d’être admises dans ce temple des « grands hommes » choisis par la « patrie reconnaissante ». La première au titre "d’épouse de", la deuxième physicienne, pour elle-même. Avec cette petite question : Marie aurait-elle eu droit aux honneurs de la République sans son mari Pierre ?
Des voix s'élèvent pour que d'autres figures féminines, constitutives de l'histoire de France, y entrent : la chanteuse et meneuse de revue Josephine Baker (choix défendu par l'écrivain Régis Debray), les auteures George Sand, Colette ou Simone de Beauvoir, les militantes Louise Michel, Maria Deraismes ou Lucie Aubrac. Et surtout Olympe de Gouges, féministe avant l'heure, révolutionnaire, guillotinée le 3 novembre 1793, rédactrice en 1791 de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne où elle écrivait : « La femme a le droit de monter sur l'échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune. »
Rendre leur place aux femmes dans la résistance
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