83% des françaises se maquillent et seulement 3% d’entre elles se trouvent belles. Pourtant, un revirement vers le « naturel » semble voir le jour via les stars, la publicité et les magazines beauté.... entre insoumission et stratégie de communication.
«
On voit nos mères se maquiller, on agit par mimétisme et on se persuade que sans maquillage, on n’est pas belles » lance Eleonore Stévenin-Morguet, porte parole d’Osez le féminisme. La beauté est-elle en train de sortir des canons ? C’est en tous cas vers cet objectif que certaines grandes marques de cosmétiques ou de vêtements, affirment aujourd'hui orienter leur communication. Les films publicitaires Dove de la
campagne « Real beauty », beauté naturelle, sont extrêmement populaires sur YouTube depuis en 2004. Le but affiché par la marque est de célébrer les variations naturelles du physique des femmes et de leur redonner confiance en elles. Desigual et Diesel ont fait de la mannequin canadienne Chantelle Brown Young, atteinte de vitiligo (tâches blanches sur la peau), leur égérie. Les marques American Eagle et Aerie ne retouchent plus leurs photographies. L’évolution vers l’antisexisme dans la publicité s’est même étendue au delà des marques du domaine de la beauté et de la mode, comme en témoigne la
campagne « Like a Girl » d’Always.
Le combat pour le droit à être imparfait est même porté par des stars, comme Alicia Keys qui refuse dorénavant de se maquiller, ou par des « anonymes » qui l’imitent sur les réseaux sociaux. Les marques de cosmétique sortent des gammes « nude » qui font un tabac et les magazines féminins font désormais la promotion du « makeup no make-up » (le maquillage sans maquillage) pour avoir l’air naturelle tout en étant maquillée.
La mode du naturel (re)lancée par Alicia Keys
Au mois de mai 2016, en sortant de la salle de sport et sans prendre le temps de se remaquiller, Alicia Keys, se rend à une séance photo pour la pochette de son nouvel album. A sa grande surprise, sa photographe Paola Kudacki lui demande de poser au naturel.
La star de la chanson ressort ravie du shooting. « Je me suis sentie puissante parce que mes désirs se réalisaient. Mon désir de m’écouter, de détruire ces murs que j’avais construits pendant toutes ces années, d’avoir un vrai but, et d’être moi-même» explique t-elle dans une tribune publiée dans la newsletter féministe Lenny le 31 mai 2016. Alicia Keys, sacrée « Chanteuse la plus sexy du monde » à plusieurs reprises par un magazine américain, renonce au maquillage et à la recherche de la perfection physique.
Je ne veux plus me couvrir à nouveau
Alicia Keys, chanteuse
Cette quête incessante de beauté idéale est selon elle imposée par la société, de l’école au monde de la musique. Elle raconte également que la maquillage lui a servi à se dissimuler pendant toutes ces années : « Je ne veux plus me couvrir à nouveau. Ni mon visage, ni mon esprit, ni mon âme, ni mes pensées, ni mes rêves, ni mes combats, ni mon essor émotionnel. Rien ». Elle est rejointe dans sa pensée par Eleonore Stévenin-Morguet, porte parole d’Osez le féminisme : « Le maquillage fait partie de tous les diktats et injonctions qui pèsent sur les femmes. Elles doivent s’épiler, s’habiller de la bonne manière, pas trop court, pas trop long, … Elles sont conditionnées depuis toutes petites. On attend d’elles qu’elles soient jolies, ressemblent aux femmes des magazines ou de la publicité. Une femme sans maquillage sera critiquée dans la rue, du "Tu as l’air fatiguée" au "Tu ne prends pas soin de toi" ».
Le geste de contestation d’Alicia Keys se propage dans la sphère d’Hollywood et s’affiche sur les réseaux sociaux à l’aide du hashtag
#NomakeUp. Cameron Diaz, Lady Gaga, Adèle puis des internautes « anonymes » reprennent la mode. Pourtant, la tendance au naturel n’est pas nouvelle.
Makeup – No makeup, un débat récurrent
Alicia Keys n’est bien évidemment pas la première star à vouloir s’affranchir de l’obligation de se maquiller. En janvier 2014, la vidéo de la conférence TEDx de la présentatrice de télévision australienne Tracey Spicer fait le tour du web. Sur scène, en direct, elle débarbouille son maquillage, se décoiffe, enlève sa robe et ses talons hauts. Si ce geste est significatif, c’est que pendant 30 ans, cette femme a dédié une heure par jour et 200 dollars par semaine au maquillage et autres produits de beauté. Elle s’est imposée ce rituel de préparation après une remarque de son patron, à l’époque de son premier emploi : «
Mon travail était impeccable, mais il m'a convoquée pour me dire que je devais être plus professionnelle et prendre soin de moi, mettre au moins un peu de maquillage ».
Depuis la conférence qu’elle a donnée, elle a progressivement réduit son investissement en maquillage : elle utilise le minimum à l’antenne et absolument rien hors plateaux, se réappropriant l’heure par jour qu’elle passait à se maquiller.
Tracey Spicer lors de la conférence TEDx de janvier 2014 ( vidéo en anglais )
Faux monosourcil et poudre invisible : le naturel à la mode en Grèce antique
Les critères de beauté ont fortement évolué au fil des siècles et selon les continents. Du maquillage des Egyptiens à celui d’aujourd’hui en passant par la geisha japonaise, observez les grandes tendances dans cette vidéo.
Le maquillage des femmes à travers l'Histoire ( vidéo en anglais )
Le paraître naturel pour les femmes « ordinaires » : un filon exploité par les marques
Pour Maïa Mazaurette,
auteure de "Belle toute crue", citée dans ChEEk : «
Quand on a passé six heures à poser dans des lumières parfaitement disposées pour effacer les rides et les ombres un peu dures, on ressemble toutes à des lapins de trois semaines. Et elles sont canons, payées pour ça, mais pas nous ! »
En effet, quid de la femme lambda qui ne peut/veut pas débourser des centaines d’euros pour des crèmes (celle de Rihana coûterait 260 euros et elle en achète 4 par semaine) ou des dermatologues disponibles 27/24, 7 jours sur 7 ?
Les magazines féminins, investis par la publicité pour de grandes marques de cosmétique ou de mode (40% du contenu de Marie-Claire et 50% de celui de Biba), ont l’impératif de faire la promotion de certains produits. Leurs lecteurs/trices sont avant tout des consommateurs/trices. Ainsi, ce type de presse explique aux femmes qu’il leur faut être naturelles, car c’est ainsi que « leurs » hommes les préfèrent.
Le paradoxe est épinglé avec justesse dans le sketch musical de l'Américaine Amy Schumeur. Dans la vidéo ci dessous, un Boys band l’encourage à se démaquiller… avant de se raviser. Voici la traduction de l’un des couplets : «
Je vais être franc avec toi. J’ai beaucoup de regrets dans ma vie. Je regrette d’avoir manqué les funérailles de mon père et avoir préféré auditionner pour The Voice. Je regrette d’avoir été défoncé quand mes nièces sont nées. Mais surtout, je regrette de t’avoir dit de ne plus porter de maquillage. C’est ma faute. C’est comme si j’arrachais de la moquette, mais qu’en fait en dessous il n’y avait que du lino moche. Ce ne sont que des métaphores, mais elles sont à propos de ton visage. »
Vidéo du Inside Amy Schumer - Girl you don't need makeup ( vidéo en anglais )
La morale : selon les magazines féminins et l'industrie cosmétique, n'essayez même pas d'être belles sans maquillage, vous n'y arriverez pas. Achetez plutôt.
Les pro maquillage s’insurgent contre la dictature du no make up
Depuis mai 2015, d’étranges photos ont déferlé sur les réseaux sociaux : des visages de femmes et d’hommes à moitié maquillés, accompagnés du hashtag
#ThepowerOfMakeup. Le mouvement a été lancé par Nikkie, une YouTubeuse américaine, pour protester contre le « makeup shaming », la culpabilisation de ceux et celles qui utilisent beaucoup de maquillage, et qui aiment ça. «
Je ne dis pas que tu ne peux pas t’aimer sans maquillage, mais se maquiller est drôle et il n’y a pas de règles. Si tu veux être super maquillée, fais le. Si tu veux sortir sans couvrir tes cernes, fais le ! » déclare t-elle dans la vidéo ci dessous.
The Power of Makeup par la YouTubeuse Nikkie
Pour certains psychanalystes, le maquillage, représente aussi un moyen de s’approprier son corps, d’être maître de son image et de ne pas être soumis à son naturel. Il permet un «
contrôle sur la représentation que nous donnons de nous mêmes » selon la psychanaliste Gisèle Harrus-Révidi qui
répondait aux questions de Psychologies.
Entre libre expression ou libre utilisation de son corps et soumission au diktat de la beauté, le maquillage, ou son absence sont bien des outils d’analyse sociologique de nos sociétés.
Maquillage, les hommes aussi :
Et les hommes dans tout ça ? Il y a quelques siècles, il était commun qu’ils se maquillent.
Déjà dans la Préhistoire, les hommes utilisaient une peinture à base de plantes et de terre pour s’enduire le corps. Les rois égyptiens se maquillaient, en insistant sur les yeux. Les Romains recouvraient leurs calvities avec de la peinture alors que les hommes du 17ème et 18ème siècle se poudraient le visage.
Et aujourd’hui ? Ils sont encore minoritaires en France mais les grandes marques de maquillage ont commercialisé des produits destinés aux hommes. Yves Saint Laurent a créé une touche éclat, de la poudre, du gel teinté pour cils/sourcils et même des baumes à lèvres colorés pour hommes. Comme pour les femmes, ce sont les stars qui lancent les tendances : Johnny Depp et Beckham assument complètement utiliser régulièrement des produits de beauté.