GIEC 2019 : donner le pouvoir aux femmes pour mieux nourrir le monde et protéger la planète

Les femmes sont en première ligne à la fois pour lutter contre les effets du changement climatique et pour en encaisser les conséquences. Il est donc urgent de leur donner les moyens d'agir. Voici l'une des conclusions du nouveau rapport Terres et changement climatique du GIEC, réuni cette semaine à Genève. L'éclairage de Clotilde Bato, à la tête d'une association oeuvrant pour l'agro-écologie.
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indienne rizière

Indiennes dans une rizière en périphérie de Gauhati, 22 juillet 2018.

©AP Photo/Anupam Nath
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Comment nourrir une population qui pourrait bientôt grimper à 10 milliards d'individus, tout en limitant le réchauffement climatique et la dégradation de la nature ? C'est à cette question que tente de répondre le rapport du Giec, réuni à Genève du 6 au 8 août 2019 pour plancher sur le changement climatique, l'usage des terres et l'accès de tous à une alimentation suffisante. 

Le rapport indique plusieurs mesures à prendre rapidement pour limiter les dégâts : changer nos habitudes alimentaires en mangeant moins de viande, reboiser, convertir les terres aux bioénergies et... donner davantage de pouvoir aux femmes, qui jouent déjà un rôle clé dans l'agriculture, alors que, le plus souvent, elles restent à l'écart du pouvoir et des décisions - y compris dans les pays développés, où elles sont si souvent cantonnées au rôle de "conjointes". Dans les pays en développement, indique l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO), les femmes représentent plus de 40 % de la main d'oeuvre agricole.
 

Ce sont les femmes qui nourrissent vos enfants, alors donnez-leur une terre et aidez-les.
Hindou Oumarou Ibrahim, coordinatrice de l'Association des femmes peules autochtones du Tchad

Il est urgent, insiste le rapport du GIEC, de leur donner les moyens de gérer leurs terres, décider ce qu'elles vont cultiver, transmettre à leurs enfants les bonnes pratiques alimentaires, s'associer pour  introduire des innovations durables... D'autant que les femmes, avec les enfants, les personnes âgées et les pauvres, restent les plus exposés aux conséquences du changement climatique

Où sont les propriétaires terriennes ?

Les inégalités homme-femme se reflètent d'abord dans l'accès à la propriété foncière. Dans 59% des 161 pays étudiés par le rapport, les lois, traditions ou pratiques religieuses empêchent les femmes de posséder des terres. "Moins de 20% des propriétaires terriens de ce monde sont des femmes", souligne la FAO. "Il y a un manque de reconnaissance des droits à la terre des femmes, officiellement et traditionnellement", constate Hindou Oumarou Ibrahim, coordinatrice de l'Association des femmes peules autochtones du Tchad. "Les hommes possèdent traditionnellement la terre et quand vient l'heure de la distribuer, ils la donnent aux garçons et pas aux filles... Ce sont les femmes qui nourrissent vos enfants, alors donnez-leur une terre et aidez-les", plaide-t-elle.

Les femmes ont "moins de chances qu'un homme d'être propriétaire d'un bien foncier ou de bétail, d'adopter de nouvelles technologies, d'avoir accès au crédit ou à d'autres services financiers, ou encore de bénéficier d'une formation", résume la FAO. Et de calculer : "si les femmes avaient le même accès que les hommes aux ressources productives, elles pourraient augmenter de 20 à 30% les rendements de leur exploitation... Des gains de production de cette ampleur pourraient réduire de 12 à 17%, le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde".

Népalaise tamis

Népalaise tamisant le blé en périphérie de Katmandou, 2 mai 2019. 

©AP Photo/Niranjan Shrestha

A défis différents, approches différentes

Empouvoirer les agricultrices, c'est avant tout reconnaître leurs spécificités, estime Teresa Anderson d'ActionAid. "Les dirigeants partent souvent du principe que l'homme est l'être humain par défaut et il en va de même pour les agriculteurs, ironise-t-elle. Mais les femmes font les choses différemment et font face à des défis spécifiques."

De fait, les femmes, le plus souvent, sont celles qui nourrissent la famille et qui cultivent en conséquence. Les hommes, eux, gèrent davantage les cultures dans une perspective de vente des produits. "Dans de nombreux pays en développement et dans les communautés rurales, les femmes conservent, traitent et cuisinent les aliments ; elles s'occupent de la basse-cour et du bétail, des provisions, du fourrage et du bois pour le foyer. Elles assument la plupart des activités post-récolte et gèrent aussi l'approvisionnement en eau potable, souligne Reyes Tirado, chercheuse auprès de Greenpeace. Et lorsque le réchauffement climatique complique l'accès à cette eau, femmes et filles sont directement impactées," précise-t-elle.

L'union fait la force

C'est avéré : les femmes regroupées en coopératives sont plus efficaces pour faire évoluer les pratiques agricoles et les adapter aux nouvelles conditions climatiques, pour atténuer les effets du réchauffement et assurer la sécurité alimentaire. Elles prennent la main, saisissent l'occasion qui leur est donnée de prendre leurs responsabilités et excellent à créer des synergies.

Dans l'ouest du Kenya, par exemple, les veuves, devenues soutiens de familles dont elles doivent assurer la subsistance, se sont unies pour investir dans des innovations durables, comme les systèmes de récolte des eaux de pluie ou agroforesterie - et se regroupent en structures constituées pour mener des actions collectives en vue d'assurer la sécurité alimentaire et de l'apport en eau.

Education, alimentation, consommation

Le rapport du GIEC souligne enfin le rôle que les femmes ont à jouer dans l'évolution des habitudes alimentaires, un levier essentiel pour lutter contre le réchauffement climatique et la dégradation des sols. Leur action s'exerce dans l'éducation des générations futures, puisque ce sont elles, souvent, qui élèvent les enfants. "Le Giec souligne que nous avons besoin de changements transformationnels dans le secteur alimentaire. Les femmes ont un rôle clé dans l'éducation (...) et dans les évolutions des habitudes de consommation", explique Fernanda Carvalho de WWF.

cueilleuse de fraises en palestine

Cueillette des fraises en Palestine, à Beit Lahiya, dans la bande de Gaza, le 15 janvier 2019.

©AP Photo/Khalil Hamra

Entretien avec Clotilde Bato, déléguée générale de l'association SOL, Alternatives agroécologiques et solidaires et présidente de Notre affaire à tous

 

D’un côté, les femmes sont les premières victimes du changement climatique. De l'autre, elles sont les détentrices d'un nouveau modèle agricole. Comment expliquer cette contradiction ?

C’est d’abord une question de droits fonciers et d'accès aux terres. Dans les pays du Sud, l'accès à la terre est particulièrement compliqué pour les femmes. Dans d’autres, elles n'y ont pas accès du tout car les droits de propriété sont aux mains des hommes. Alors elles ne peuvent que subir ce sur quoi elles n'ont pas de pouvoir. Par ailleurs, la femme gère son foyer et va se sacrifier en premier face à sa famille. 

En même temps, et c'est complètement contradictoire, les femmes sont très impliquées au sein de leur communauté de par leurs connaissances et leur expertise. Toutes les techniques mentionnées par le rapport du GIEC sont traditionnelles : elles nécessitent une connaissance approfondie de la nature. Et ces femmes sont extrêmement à l'écoute de la nature. Le rapport n'en parle pas mais la question de la sauvegarde des semences est extrêmement importante aujourd'hui. Comment développer des semences qui résistent au changement climatique : les femmes ont un rôle clé à jouer là dedans.

Selon la FAO, si les femmes occupaient des positions de pouvoir, la faim dans le monde diminuerait d'environ 15 %. Pourquoi ?

Clotilde Bato
Clotilde Bato, présidente de l'association SOL, qui travaille à la recherche et à la diffusion d'alternatives pour une agriculture durable.

Je peux donner un exemple très concret. Nous travaillons en Inde depuis 1980, et depuis 2008, on aide une association qui s'appelle Navdanya, co-créée et aujourd'hui présidée par Vandana Shiva, grande figure de l'écoféminisme. On appuie des groupements de femme à la fois dans la formation technique en agroécologie, mais aussi sur la question de la sauvegarde des semences. Car ce sont vraiment les femmes qui aujourd'hui en Inde sont détentrices du savoir-faire traditionnel. L'idée était qu'au sein de chaque communauté, ces groupements de femmes échangent leur savoir-faire entre elles, mais aussi pour qu’elles échangent sur leur vie dans le village, etc.

Le programme a commencé en 2010. Quelques années plus tard, nous avons évalué les premiers groupes pour voir comment ils avaient évolué. En l'espace de cinq ans, ce qui est généré par ces groupements est étonnant : au-delà du fait qu’elles sont chacunes propriétaires, avec leur mari, de terres, et qu’elles apprennent à améliorer leurs techniques, la première chose qu'elles ont faite a été de donner leur surplus aux voisins qui ne participaient pas au projet. C'est une chose qu'elles ont fait tout naturellement. Ca nous a vraiment étonné ! Ce n'était pas du tout un résultat auquel on s’attendait. Mais pour elles, c’était naturel.

La deuxième chose qu’on a constaté, au-delà du renforcement technique qui leur a permis de passer de trois variétés de légumes à plus de 27, c'était leur volonté de développer une autonomie villageoise pour pouvoir nourrir correctement l'ensemble de la communauté.

Est-ce un aspect de l'écoféminisme ?

Oui. Plusieurs écoféministes développent leurs théories en parlant de la nature au féminin. C'est comme s'il y avait un instinct naturel de défense et de protection de son village, et par conséquent un naturel pour aller vers l'autonomie le plus rapidement possible. 

Les femmes agissent en dialogue permanent avec leurs frères et leur mari, elles  ne sont pas du tout dans l'optique "nous contre eux".
Clotilde Bato

Les femmes seraient donc plus à même que les hommes de changer les pratiques agricoles et alimentaires climaticides ?

Ce qu'on oublie trop souvent, c'est que ce sont les femmes qui, depuis la nuit des temps, sont détentrices de savoirs extrêmement techniques. Sur les semences paysannes, mais aussi les plantes médicinales. Sorcières de Mona Chollet en parle très bien, d'ailleurs. Des milliers de femmes ont été brûlées en Europe, accusées de sorcellerie, parce qu’elles avaient ce savoir-faire ancestral.

Mais pour en revenir à l’exemple des groupements de femmes, il est important de souligner qu’elles agissent en dialogue permanent avec leurs frères et leur mari, elles  ne sont pas du tout dans l'optique "nous contre eux". En revanche, elles sont en capacité de rappeler aux hommes que ce sont elles qui ont ces connaissances-là, et de montrer qu’elles servent l’économie toute entière du village.

Au-delà de l'aspect agricole, ce qu’on peut constater quand on développe le leadership des femmes, c’est le phénomène de solidarité, très fort entre femmes. Cela influence forcément le système qui porte cette vision collective des choses. A l’échelle communautaire, dans des moments de catastrophes climatiques, cette manière de faire est ultra importante. Et ça, c’est peut-être effectivement du fait que les femmes  donnent la vie... Et donc, que l'on doit protéger nos enfants, et notre communauté toute entière.