Giorgia Meloni, le visage de l'extrême droite italienne devenu Première ministre

Giorgia Meloni a gagné son pari : devenir la première Première ministre d'Italie. Une victoire pour cette Romaine de 46 ans qui, jeune militante néofasciste, disait admirer Mussolini. Retour sur l'ascension de la première dirigeante d'extrême droite à prendre la présidence du Conseil italien.

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Giorgia Meloni en tournée européenne

Giorgia Meloni, Premier ministre italien, s'adresse aux médias alors qu'elle arrive pour le sommet de la Communauté politique européenne au château de Mimi à Bulboaca, en Moldavie, le jeudi 1er juin 2023.

©Carl Court/Piscine Photo via AP
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Giorgia Meloni est, depuis le 21 octobre 2022, cheffe du Conseil italien, l'équivalent de Première ministre et elle est la première femme à occuper cette fonction en Italie. 

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"Écrivons l'histoire ensemble !", ce slogan martelé tout au long de la campagne des législatives a pris tout son sens à l'annonce de la victoire de Fratelli d'Italia, le parti de Giorgia Meloni, fin septembre 2022 : les électeurs ont décidé d'écrire l'histoire avec elle. Ses efforts pour "dédiaboliser" "Les Frères italiens", mouvement néofasciste, ont payé.

Nous gouvernerons pour tous les Italiens.
Giorgia Meloni, cheffe du parti Fratelli d'Italia

"Les Italiens ont envoyé un message clair en faveur d'un gouvernement de droite dirigé par Fratelli d'Italia", a réagi la patronne du parti "Fratelli d'Italia", confirmant déjà son ambition de devenir Première ministre. "Nous gouvernerons pour tous les ItaliensNous le ferons dans l'objectif d'unir le peuple", promet-elle lors de son discours de rassemblement et d'apaisement, dans lequel elle a reconnu que la campagne électorale avait été "violente et agressive".

La droite, extrême, sort largement en tête du scrutin, et c'est avec le sourire de la victoire que son nouveau visage, celui d'une femme, a gagné son pari en prenant le fauteuil de Président-e du Conseil. La coalition qu'elle forme avec l'autre parti eurosceptique d'extrême droite, la Ligue de Matteo Salvini, et Forza Italia, le parti conservateur de Silvio Berlusconi, récolterait environ 43% des suffrages, ce qui lui assure la majorité absolue des sièges aussi bien à la Chambre des députés qu'au Sénat.

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Première Première ministre

Des résultats qui ne surprennent guère : pendant toute la campagne Giorgia Meloni a caracolé en tête dans les sondages. 

Fin juillet, Matteo Salvini et Silvio Berlusconi (décédé le 12 juin 2023) avaient dû accepter, à contrecœur, de laisser le parti le plus plébiscité de leur alliance désigner leur candidate à la présidence du Conseil. Dès lors, pour cette Romaine quadragénaire, se dessinait la perspective de devenir Première ministre de la troisième économie de l'eurozone.

Elle représente un point de référence pour la contestation, la protestation, la désaffection.
Sofia Ventura, professeure de sciences politiques à l'université de Bologne

Lors des législatives de 2018, Fratelli d'Italia, fondé en 2012, avait à peine dépassé la barre des 4% des voix. En dix ans, Giorgia Meloni est donc parvenue à rassembler les mécontentements et les aspirations d'Italiens au bout de leurs espoirs déçus, excédés par le diktat de Bruxelles, la vie chère, l'avenir bouché de leurs enfants.

"Je vote pour Meloni, elle ne m'a jamais trahie, je partage ses opinions à 100%, je la trouve cohérente", confie à l'AFP Giuli Ruggeri, une chômeuse de 53 ans, lors de l'unique meeting de la coalition, qui s'est tenu le 22 septembre Place du Peuple, en plein centre de Rome.

Dieu, patrie, famille (naturelle)

Giorgia Meloni
"Prête à relancer l'Italie" promet l'affiche électorale de Fratelli d'Italia (Rome, le 12 août 2022).
©AP Photo/Gregorio Borgia

Sa devise ? "Dieu, patrie, famille ('naturelle')". Ses priorités ? Fermer les frontières pour protéger l'Italie des clochers de "l'islamisation" – le 6 octobre 2016, Giorgia Meloni dénonçait sur Facebook "le remplacement ethnique en cours en Italie. 

Fin août 2022, elle lançait sa campagne éclair en diffusant la vidéo d’un viol d'une Ukrainienne par un demandeur d’asile en plein centre-ville de Plaisance, dans le nord du pays. Des images choquantes, partagées pour exploiter le thème de la sécurité.

Comme les autres partis populistes de droite de l'Union européenne, le FDI veut renégocier les traités européens pour que Rome reprenne le contrôle de son destin. Sa cheffe assure vouloir lutter contre les "lobbys LGBT" et "l'hiver démographique" de son pays, dont la moyenne d'âge est la plus élevée dans le monde industrialisé après le Japon. Et ce en encourageant la natalité tout en réduisant les naturalisations. Pour sa part, Giorgia Meloni, qui vit avec un journaliste de télévision, a une fille née en 2006.

A l'été 2022, Giorgia Meloni a pris la parole lors d'un meeting du parti espagnol d'extrême droite Vox. En termes sans équivoques, elle fustigeait "le lobby LGBT", les violences jihadistes, la bureaucratie européenne et l'immigration de masse.

"Meloni représente un point de référence pour la contestation, la protestation, la désaffection", constate Sofia Ventura, professeur de sciences politiques à l'université de Bologne. Le dégagisme, désormais, c'est elle : les antisystèmes du Mouvement 5 Etoiles ont intégré tous les gouvernements depuis 2018, de même que la Lega de Matteo Salvini, l'autre formation d'extrême droite.

Le visage volontariste de l'extrême droite

Fratelli d'Italia

Giorgia Meloni et son parti sont les héritiers du Mouvement social italien (MSI), parti néofasciste créé après la Seconde Guerre mondiale par des partisans de l'ex-dictateur fasciste Benito Mussolini. Repris du MSI, l'emblème de Fratelli d'Italia est la flamme tricolore vert-blanc-rouge, au dessin strictement identique à celui de l'ancien Front national en France. 

Pendant toute sa campagne électorale, Giorgia Meloni doit ménager une frange de sa base qui se réclame de ce passé-là, mais elle sait aussi que pour gagner, elle doit élargir son électorat, rassurer l'aile modérée de sa famille politique.

Elle se pose ainsi en garante de "l'émancipation idéologique par rapport aux principes et symboles fascistes", analyse La Repubblica, mais son récit est "contredit par les faits", selon le quotidien italien de centre-gauche, qui pointe du doigt une partie de l'entourage et de la base du parti restée sensible à ses racines.

"J'ai un rapport serein avec le fascisme", explique pour sa part Giorgia Meloni. Dans un exercice consommé d'équilibriste, elle reconnaît à Mussolini d'avoir "beaucoup accompli", sans l'exonérer de ses "erreurs" : les lois raciales, l'entrée en guerre, l'autoritarisme. Et de clarifier: dans ses rangs, "il n'y a pas de place pour les nostalgiques du fascisme, ni pour le racisme et l'antisémitisme".

Convaincre au-delà des frontières

Dans une vidéo trilingue diffusée à l'été 2022, Giorgia Meloni tentait de lisser son profil néofasciste pour rassurer les électeurs et les alliés de l’Italie face aux inquiétudes à la perspective d'un retour de l'extrême droite. Elle demandait aux commentateurs étrangers de la prendre au sérieux et assurait que Fratelli d'Italia s'est bien éloigné de ses racines néofascistes. Elle insistait : le fascisme fait partie du passé – une affirmation accueillie avec scepticisme, d'autant que son parti se présente à ces élections législatives de septembre 2022 en brandissant la fameuse flamme tricolore du MSI, héritier du fascisme mussolinien.

Italienne, mère, chrétienne : "Je suis Giorgia"

Née à Rome le 15 janvier 1977, Giorgia Meloni grandit avec sa soeur, élevée par une mère sicilienne, femme au foyer, de droite, après que ses parents se sont séparés. De cette rupture familiale, elle ne parle jamais, témoigne l'homme politique Maurizio Gasparri : "Je crois qu’elle a été profondément blessée et qu’elle s’est repliée sur elle-même avant de trouver une nouvelle dimension avec la politique."

Elle entre en militance, très jeune, à 16 ans, dans les associations étudiantes classées très à droite, tout en gardant des enfants ou travaillant comme serveuse. En 1996, alors étudiante en langues, elle devient la patronne du syndicat Azione Studentesca, dont l'emblème est la Croix celtique. En 2006, elle obtient sa carte de journaliste. La même année, elle devient députée et vice-présidente de la chambre. Deux ans plus tard, elle est nommée ministre de la Jeunesse dans le gouvernement Berlusconi.

Meloni et Berlusconi
Giorgia Meloni et l'ancien Premier ministre italien Silvio Berlusconi, à L'Aquila, en Italie, le 9 juillet 2009.
©AP Photo/Stefano Rellandini, Pool

Elle fréquente alors assidûment les plateaux de télévision. Sa jeunesse, sa témérité, ses formules font d'elle quelqu'un de très médiatique. Jusqu'alors très discrète sur sa vie privée, elle comprend que, au moins autant que les idées, la personnalité d'une jeune et jolie femme blonde dans une Italie encore très machiste séduit.

Elle l'expose aussi aux tirades les plus sexistes, comme celle de Guido Bertolaso, l'ancien directeur de la Protection civile italienne, qui lui lançait en substance, en 2009, qu'elle ferait mieux de se consacrer à son rôle de maman et de s'abstenir de participer à une campagne électorale sans merci qui l'obligerait à patauger dans la crasse pendant qu'elle allaite...

Qu'importe, Giorgia Meloni joue tous ses atouts : "Je suis Giorgia, je suis une femme, je suis une mère, je suis italienne, je suis chrétienne", lance-t-elle à ses supporteurs en 2019 à Rome, lors d'un fervent discours devenu célèbre.

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Opposition libre ?

Fin 2012, lasse des dissensions qui rongent la droite, Giorgia Meloni fonde Fratelli d'Italia avec d'autres dissidents du berlusconisme, restant toujours dans l'opposition.

On lui propose plusieurs portefeuilles, qu'elle décline. Y compris lorsque Mario Draghi, ancien gouverneur de la Banque centrale européenne – institution qu'elle exècre – forme en février 2021 un cabinet d'unité nationale pour sortir l'Italie de la crise sanitaire et économique. "L'Italie a besoin d'une opposition libre", affirme-t-elle alors. C'est au nom de cette liberté, synonyme de souveraineté, que cette atlantiste dénonce dès le premier jour l'agression de l'Ukraine par Moscou. Ses "meilleurs amis" politiques, au sein de l'Union européenne, ne viennent-ils pas d'ex-Républiques soviétiques : Viktor Orban en Hongrie, et Jaroslaw Kaczynski en Pologne ?