Longtemps promis, plusieurs fois reporté, un hommage national sera enfin rendu à Gisèle Halimi ce 8 mars au Palais de Justice de Paris. Le choix de cette date, qui intervient en pleine mobilisation contre un projet de réforme des retraites jugé injuste pour les femmes, suscite le débat. L'un de ses fils, le journaliste Serge Halimi n'assistera pas à la cérémonie. Tout comme la présidente de l'association fondée par l'avocate "Choisir la cause des femmes". D'autres féministes au contraire se réjouissent de ce moment "si attendu et mérité".
"Le 8 mars 2023, la meilleure façon d'honorer la mémoire et les combats de ma mère sera de manifester", écrit Serge Halimi, ancien directeur du journal
Le Monde diplomatique, dans une déclaration transmise à l’Agence France-Presse, en réponse à l'hommage national à Gisèle Halimi, annoncé par l'Elysée le 2 mars dernier. "
Je n’y participerai pas. La décision de l’Elysée intervient après plus de deux ans de tergiversations et alors que le pays est mobilisé contre une réforme des retraites extrêmement injuste dont les femmes qui occupent les métiers les plus difficiles seront les premières victimes", poursuit-il.
Le choix que vous opérez en organisant à la dernière minute cet hommage national à la féministe Gisèle Halimi, ce 8 mars 2023, nous semble relever d'une instrumentalisation politique.
Violaine Lucas, présidente de "Choisir la cause des femmes"
Même ton du côté de
"Choisir la cause des femmes", l'association fondée par Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir en 1971 au moment du combat pour le droit à l'avortement en France, en marge du
procès de Bobigny.
"Le choix que vous opérez en organisant en dernière minute cet hommage national à la féministe Gisèle Halimi, ce 8 mars 2023, nous semble relever d'une instrumentalisation politique. Elle ne trompera personne", écrit Violaine Lucas, sa présidente, dans une lettre adressée au président Macron publiée sur le site de l'association et sur les réseaux sociaux.
"Rendre hommage à l'occasion de la journée internationale des luttes pour les droits des femmes à l'une des plus grandes combattantes françaises pour la dignité des femmes et des peuples, serait une idée de bon sens si elle n'arrivait de façon aussi inattendue, après deux ans et demi d'atermoiements, et au moment d’un grand mouvement social auquel elle aurait, sans aucun doute possible, pris une part active", ajoute la militante,
"Gisèle Halimi n'est pas exactement une féministe consensuelle. Nous avions pris notre parti de vos états d'âme."Une position rejointe par le Planning familial, qui publie le 7 mars, un manifeste appelant à la grève féministe ce 8 mars et qui écrit ceci :"Le 8 mars ne doit pas être utilisé comme une journée de communication pour se donner bonne conscience, en demandant de surcroît des performances gratuites à nos associations féministes. Et l’organisation de l’hommage rendu à Gisèle Halimi, combattante féministe, anticaptitaliste et antiraciste, au plein coeur du mouvement social d’ampleur contre la réforme des retraites, nous semble relever d’une instrumentalisation manifeste. Raison pour laquelle nous ne nous rendrons pas à cet hommage, nous serons dans la rue aux côtés de celles et ceux qui militent pour la défense de leurs droits. "
Un "boycott politique" ?
L'Elysée n'a pas souhaité commenté ces décisions qui relèvent "de positions et de choix politiques". Les autorités précisent que l'autre fils de l'avocate, Jean-Yves Halimi, avocat également, se satisfait de cet hommage auquel il a participé en y prononçant un éloge. Son troisième fils, Emmanuel Faux, décédé l’été dernier, y était également favorable, rappelle l'Elysée.
Ce que confirme Sophie Couturier, ancienne secrétaire générale de l'association "Choisir", et co-scénariste de Une Farouche Liberté, roman graphique sur la vie de Gisèle Halimi, paru chez Steinkis Editions (Grasset), qui se réjouit de cet hommage. "Je suis ravie comme beaucoup d'autres féministes femmes et hommes qui sont heureux de cet hommage, même s'il est vrai que cela a un peu tardé", admet la militante féministe, jointe au téléphone par Terriennes. Elle insiste sur le fait qu'il s'agit bien de l'hommage de la Nation, de la République, d'un hommage mérité à une femme qui a fait bouger les lignes. "Est-ce que Gisèle serait sortie dans la rue pour manifester contre la réforme des retraites, je ne peux parler à sa place, je ne me le permettrais pas", lance-t-elle, "ce dont je suis sûre c'est qu'elle se serait exprimée sur la question des retraites pour les femmes, qu'elle se serait impliquée". L'essentiel selon Sophie Couturier est de célébrer une figure féministe telle que Gisèle Halimi, en 2023 "à l'heure où les femmes risquent leur vie pour leur liberté en Iran, en Afghanistan".
Un hommage de consensus, selon l'Elysée
Plusieurs étapes ont marqué le processus de cet hommage national. Tout d'abord prévu à l'automne 2020, puis au printemps 2021, à chaque fois reporté - en raison de déplacement présidentiel au Liban suite à l'explosion à Beyrouth puis aux restrictions liées à la crise Covid, précisent les autorités- il est vrai que l'annonce de cet événement, moins d'une semaine avant sa tenue a pu surprendre voire interpeller.
Il avait d'abord été question d'un hommage aux Invalides, comme la tradition républicaine le fait pour les grandes personnalités ayant joué un rôle majeur dans l'histoire du pays.
"Il a fallu un temps d'harmonisation", précise un conseiller proche du Président. Finalement, la cérémonie sera organisée au Palais de Justice de Paris dans la salle d'audience de la Première Chambre de la Cour d'Appel, un lieu
"chargé d'histoire", puisque c'est dans cette salle que des procès historiques se sont tenus et que les jeunes magistrats prêtent serment.
"Il me tarde d'y être, de voir toutes ces robes noires ensemble, j'en ai des frissons, car justement c'est très bien que cela se passe au Palais de Justice. Cela a un côté très solennel. Et puis 'la justice a été, disait Gisèle, la grande affaire de ma vie'", ajoute de son côté Sophie Couturier.
L'hommage s'est déroulé en deux temps, avec tout d'abord l'intervention de Jean-Yves Halimi, autre fils de Gisèle Halimi. Puis, c'est le chef de l'Etat qui a prononcé un discours saluant les principales luttes qui ont marqué la vie de l'avocate. Il s'agit de reconnaitre
"son combat contre la colonisation et la guerre d'Algérie, pour les droits des femmes et le droit à l'IVG, son engagement contre la peine de mort, et contre la loi Darlan sur le délit d'homosexualité de 1941 qui a été abolie en 1982", précise encore l'Elysée.
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À revoir, Gisèle Halimi dans l'Invitée en mars 2009 sur TV5monde.Un projet de loi pour inscrire l'IVG dans la Constitution
Cet hommage à Gisèle Halimi a été l'occasion pour le président Emmanuel Macron d'annoncer un projet de loi visant à inscrire l'IVG dans la Constitution.
La Fondation des Femmes salue une "victoire pour les associations féministes qui demandaient la constitutionnalisation de l'IVG depuis des années". Elle y voit "un signal fort pour toutes les femmes dans le monde", qui "montre que nous soutenons le combat des militantes partout dans le monde". Le Planning familial salue dans un tweet "une victoire des associations féministes en France". "Les féministes du monde entier regardent la France", affirme le mouvement pro-IVG.
Alyssa Ahrabare, porte-parole d'Osez le Féminisme, se félicie dans un tweet d'une "victoire féministe qui consacre un droit humain capital pour les #femmes" et qui "est le fruit de mobilisations féministes collectives depuis des mois, des années, des générations !" La Fédération nationale des Centres d'Information sur les Droits des Femmes et des Familles (FNDICFF) se réjouit, également dans un tweet, d'"une réelle avancée pour les droits des femmes".
A l'inverse, l'association anti-IVG Alliance Vita a "dénoncé l'instrumentalisation grossière et indécente de la douloureuse question de l'avortement", dans un communiqué. "Inscrire le droit à l'avortement dans la constitution serait la dernière étape vers la banalisation d'un acte qui met plusieurs vies en jeu" et empêcherait "la mise en place d'une véritable prévention de l'avortement", affirme-t-elle.
Gisèle n'appartient à personne et elle appartient à tout le monde. C'est un flambeau.
Sophie Couturier, militante féministe
C'est surtout le choix de la date de ce 8 mars 2023 qui, depuis son annonce, fait débat, dans le contexte actuel de mobilisation sociale, sachant que la veille est organisée la 6e journée de grève inter-syndicale contre le projet de réforme des retraites. Une date choisie il y a plusieurs semaines, selon les autorités.
"Le 8 mars, ce n'est pas une date par défaut, ce n'est pas pour calmer des féministes, non ! Gisèle n'appartient à personne et elle appartient à tout le monde. C'est un flambeau. Elle a une image internationalement reconnue, je trouve qu'envoyer ce signal ce 8 mars 2023 ça ne pouvait pas mieux tomber, bien au delà de l'Hexagone", renchérit Sophie Couturier.
Le Panthéon pour Gisèle Halimi ?
Impossible de connaitre par avance les détails du discours qui sera prononcé par le président français lors de cet hommage national. Certain-e-s disent attendre une annonce sur la constitutionnalisation du droit à l'IVG, après l'adoption récente d'un texte en ce sens par le Sénat. Pour le moment, rien n'a filtré pouvant confirmer cette direction.
Quant à la possibilité d'une entrée dans le temple des "Grands hommes" de la combattante et militante féministe, rien n'est perdu, contrairement à ce qu'on aurait pu penser. Les deux processus -hommage national et panthéonisation - sont totalement distincts, rappelle l'Elysée. Le transfert au Panthéon des cendres de Gisèle Halimi, dont la tombe se trouve au cimetière du Père Lachaise, fait partie des préconisations inscrites dans le rapport de l'historien Benjamin Stora sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, commandé par le président Macron en 2021. "C'est un processus de temps long qui prend des années", rappelle-t-on du côté de l'Elysée, précisant que le processus continue et sera mené à son terme.
Peut-être que tous les espoirs ne sont pas perdus pour toutes celles et ceux qui militent pour
la panthéonisation de Gisèle Halimi, décédée le 28 juillet 2020 à l'âge de 93 ans, même si on sait que cette décision, fortement symbolique, pourrait, elle aussi, susciter la polémique. En attendant le verdict, car d'autres femmes figurent sur la liste des "panthéonisables", (pour rappel, six femmes reposent au Panthéon aux côtés de 75 hommes, ndlr) voici l'occasion ici de reprendre le refrain suivant :
"Aux grandes femmes, la Matrie reconnaissante". #GisèleHalimiAuPanthéon