Fil d'Ariane
Gisèle Lullaby, native du Québec, elle a remporté la troisième saison de Drag Race Canada, cette artiste complète revendique un drag engagé et politique pour la cause des femmes et des LGBT.
Au cinéma, à la télévision, ou dans la rue lors des Gay Pride organisées à travers le monde, les drags queens occupent le devant de la scène. Entre art du spectacle et revendication, le phénomène drag est devenu populaire. Comment expliquer cet incroyable succès ? À l’occasion du mois des fiertés, Terriennes est allée à la rencontre de trois d'entre-elles. Entretien.
Politique et créatif. Tels sont les adjectifs qui caractérisent le mieux le drag.
Politique parce qu’à travers leur art, les drags queens questionnent le genre et les injonctions encore imposées aux femmes et aux hommes dans la société. Créatif parce que le drag additionne plusieurs arts pour former un « art total ».
Que ce soit en musique, au cinéma et au théâtre, les drags queens sont nombreuses à faire carrière dans différents domaines artistiques. Une revanche pour celles qui ont longtemps été invisibilisées dans la société, jusqu’au succès international de Rupaul Drag Race, l’émission de téléréalité créée par l’Américain Rupaul André Charles. En France comme dans le reste du monde, le succès de cette émission a permis à des millions de spectateurs de découvrir des artistes talentueuses aux parcours et aux récits inspirants.
La Grande Dame est de celles-ci. Sculpturale beauté dont la prestance rappelle celle des supermodèles des années 80/90, elle a conquis le public par sa créativité et son humour. Pour cette native de Nice devenue la muse de toute une génération de grands couturiers dont Kevin Germanier, Victor Weisanto et Windowsen, le drag est justement l’art qui lui permet d’allier artistiquement tout ce qu’elle aime faire. À savoir la mode, la peinture et la musique.
À l’issue de la diffusion de Drag France, La Grande Dame, qui a été finaliste aux côtés de la martiniquaise Soa de muse, a sillonné différentes villes de France pour rencontrer ses fans. « Une grande fierté » nous dit-elle notamment lorsque les familles viennent les voir pour leur dire le bonheur qu’elles ont ressenti durant le visionnage de l’émission, ayant permis de changer le paysage audiovisuel français.
Ce succès n’est pas sans conséquences pour les drags queens qui sont de plus en plus sujettes aux attaques et aux violences de personnes considérant qu’elles pourraient pervertir les enfants.
Ils veulent essayer d’utiliser la peur pour nous décrédibiliser. La Grande Dame
Interrogée sur ce sujet, La Grande Dame a un avis éclairant : « Ils essaient de faire croire que ce sont les drag queens qui font peur aux enfants pour oublier ou distraire le public du fait qu’il faut voter des lois contre les armes à feu parce que l'une des premières causes de mortalité chez les enfants aux États-Unis. En France, on n’a pas ce problème d’armes à feu, mais c’est pareil, ils veulent essayer d’utiliser la peur pour nous décrédibiliser. Moi, en tant que drag queen, ce n’est pas tant le fait de lire des histoires aux enfants qui m’intéresse donc ça m’embête un peu qu’on ne parle que de ça. (...) J’ai envie de dire aux gens qui font ces polémiques de s’occuper de leurs familles, et non de ça. Car ce sont des tactiques de diversion pour ne pas parler des choses dont il faut parler et c’est agaçant, puisque c'est nous qui en pâtissons ».
Qu’en est-il des autres pays où l’émission a été adaptée ? À l’occasion du mois des fiertés, Terriennes est allée à la rencontre d’autres candidates de Drag Race dont Gisèle Lullaby et Vanessa Van Cartier.
Native du Québec, Gisèle Lullaby a remporté la troisième saison de Drag Race Canada. Comédienne de talent, elle revendique un drag engagé et politique pour la cause des femmes et des LGBT. Autrice et performeuse, Vanessa Van Cartier a remporté la deuxième saison de Drag Race Holland. Première femme transgenre à avoir travaillé avec la compagnie Walt Disney, elle participe à de nombreuses émissions tv à travers le monde grâce aux sept langues qu’elle maîtrise. Entretien.
Terriennes : Qu’est-ce qui vous a décidé à faire du drag ?
Vanessa Van Cartier : Je vais être très honnête avec vous. Avant de faire du drag, j’habitais dans un petit village où je pensais que la vie devait être faite avec des garçons et des filles. Je ne connaissais rien du drag et ne savais même pas qu'un tel univers artistique existait. En revanche, ce que je savais, c’était le regard des gens sur moi à l'école. Les gens voyaient que j’étais différent et me maltraitaient. C'est à 18 ans que j'ai vu mon premier spectacle de drag à Milan. J'ai été très bouleversée. Ce que je voyais me donnait beaucoup de plaisir et d’amour. C’était comme de la magie. Je ne savais pas tout à fait ce que c’était, ni comment il fallait commencer, mais je voulais aussi le faire. Quelques semaines après, cet établissement où j'ai découvert le drag a organisé un concours. Je me suis inscrite et c’est ainsi que j’ai commencé.
Mes premiers pas dans le drag n’étaient pas vraiment faciles. Je faisais tout en cachette. Vanessa Van Cartier
Mes premiers pas dans le drag n’étaient pas vraiment faciles. Je faisais tout en cachette. J'avais seulement trois amis qui savaient ce que je faisais et l'acceptaient parce qu'ils m'aimaient. Du côté de mes parents, ça a duré six ans avant qu’ils ne le découvrent vraiment même si ma mère, qui a toujours été mon ange gardien, s'en doutait un peu.
Mon père en tant que sicilien avait du mal à accepter tout ce qui n’était pas normal à ses yeux. Mais grâce à ma mère, il y a eu une véritable évolution. Il a fini par le comprendre et l'accepter. Surtout que mon cas était vraiment différent : au départ, j'étais gay, ensuite, je suis devenue une drag-queen et après une femme. Ça a été un long chemin de souffrances pour lui et beaucoup de patience et de tristesses pour moi. Aujourd'hui, il adore ce que je fais.
Gisèle Lullaby : Dès le moment où j’ai découvert le métier, j’ai eu une attirance pour lui. Le drag regroupe plusieurs choses que j'aime beaucoup : les costumes, l’extravagance, les paillettes, la comédie... Il y a aussi le fait de jouer avec les genres. J'étais un enfant très efféminé qui voyait les genres imposés comme une prison plus qu'une structure. Je me souviens qu'au secondaire, j'avais fait une interview avec Mado Lamotte, qui est une icône de drag au Québec. Depuis, j'ai conservé cette passion d’incarner des personnages incroyables et il se trouve que la femme est un personnage incroyable.
Ça a été comme un coup de foudre. J’ai vraiment compris que c’était le travail de mes rêves. Gisèle Lullaby
Tout a commencé à l'époque où j'étais danseur au cabaret de Mado pour Rita Baga (finaliste de la première saison de Drag Race Canada et animatrice de Drag Race Belgique, ndlr), une amie d'enfance. Il y avait un anniversaire au club et on nous a demandé de monter un numéro avec la chanson Single ladies de Beyoncé. Après avoir monté le numéro, j'ai été choisi pour jouer une drag queen. Ça a vraiment fonctionné : j'étais très belle et le numéro avait plu. Après le spectacle, Mado Lamotte m'a dit : je t’engage quand tu veux. Voilà comment tout a commencé. Ça a été comme un coup de foudre. J’ai vraiment compris que c’était le travail de mes rêves. En tant qu'artiste drag, on a la plus grande liberté. On peut créer tout ce que l'on veut avec nos looks tout en étant nous-mêmes.
Vanessa Van Cartier, en tant que femme trans, comment avez-vous été accueillie dans la communauté drag ?
Vanessa Van Cartier : Avant ma transition, j’avais eu une très belle carrière. J’avais beaucoup de travail, et même eu neuf saisons à Mykonos. Quand j’ai fait ma transition et réalisé toutes les opérations, je suis passée de cette carrière avec beaucoup de spectacles à un spectacle par mois. C'était une période assez difficile, car je m'étais donné une nouvelle vie avec le cœur, mais je m'étais aussi tuée professionnellement. Le drag est la seule chose que je sais faire.
Quand j’étais un garçon, j’étais quelqu'un très timide. Le drag m’a aidé à voir tout en plus grand, c’est mon oxygène. Vanessa Van Cartier
Quand j’étais un garçon, j’étais quelqu'un très timide. Le drag m’a aidé à voir tout en plus grand, c’est mon oxygène. Ne plus avoir de travail était vraiment triste. À chaque fois que j’appelais mes clients, ils me disaient : on a pris quelqu’un d’autre puisque vous avez pris un nouveau chemin. À un moment, j'étais même devenue très dépressive et un peu addictive aux médicaments que je prenais suite à mon opération. Il y a eu des envies de suicide, mais je me suis battue.
Personne n'a le droit de dicter ce que l'on doit être pour faire du drag. J’ai rempli mon sac à dos avec l'amour et la passion que j’ai cultivés pour mon métier durant toutes ces années, et je suis allée toquer à toutes les portes en leur disant de regarder simplement ce que je pouvais faire avec ce nouveau corps. Là, l’univers m’a donné beaucoup de satisfactions et de force. J’ai commencé à postuler pour de nombreuses compétitions de drag que j’ai remportées : Continental Europe, Continental USA, Drag Race Holland. Ma vie a vraiment changé. Je suis toujours un peu émue quand j'en parle parce que j'ai failli tout abandonner. Ça veut dire qu’il ne faut jamais se décourager, il faut toujours se battre, toujours se relever.
Gisèle Lullaby : J’ai vraiment été accueilli à bras ouverts. J’ai 15 ans de carrière aujourd'hui : j’ai commencé le drag quand c’était beaucoup moins populaire et beaucoup moins sous le feu des critiques. L’évolution est gigantesque maintenant. Il y a une différence extrême, même dans notre communauté.
C’était presque un suicide amoureux d'être une drag queen. Les hommes gays ne voulaient pas sortir avec nous parce que c’était un métier méprisé au sein même de notre communauté. Gisèle Lullaby
C’était presque un suicide amoureux d'être une drag queen. Les hommes gays ne voulaient pas sortir avec nous parce que c’était un métier méprisé au sein même de notre communauté. Mais Grâce à Rupaul, c'est devenu quelque chose de reconnu, un produit fini, un métier qui n'est plus underground. Elle a fait un travail important.
Le drag est effectivement devenu un art populaire grâce au succès des différentes franchises de Drag Race. Comment l’expliquez-vous ? Quel est le changement introduit par Rupaul ?
Vanessa Van Cartier : Faire comprendre aux gens que le drag est un art et qu’on peut être qui l’on veut. C’est ce qu’a réalisé Rupaul. Le drag est devenu quelque chose de normal aux yeux de beaucoup. Certes, il y a toujours des villages et des lieux où on nous voit autrement, mais ce n’est pas grave, on est là pour éduquer et faire évoluer les gens.
Gisèle Lullaby : Il faut prendre note que Rupaul a peaufiné la drag queen. Elle a présenté une drag queen commerciale, accessible à tous. C'est cela sa plus grande force, son plus grand mérite. Il y a trente ans, la drag queen n’était pas un produit fini. Nous étions un peu underground pour le grand public. Rupaul a réussi à en faire un métier comme les autres.
Gisèle Lullaby, lors d'une séance photo à Montréal.
Comment expliquez-vous les attaques et accusations dont les drags queens sont de plus en plus sujettes ?
Vanessa Van Cartier : Drag Race a eu une grande popularité : de plus en plus, on voit des drag queens à la télévision, on entend parler d’elles à la radio et sur les réseaux sociaux. Ça dérange des personnes qui sont contre cela, car leur normalité ne correspond pas à la nôtre. Aujourd’hui, nous avons la capacité de raconter et de montrer ce que l’on fait aux gens. Ceux qui ne nous aiment pas sont mécontents parce qu’ils avaient jusqu’à présent le monopole de la parole et nous décrivaient comme étant des gens pervers, mal-intentionnés et dangereux. Le fait qu’on montre autre chose et que l’on vive de notre art ne leur plaît pas. Je pense qu’on doit continuer à faire ce que l’on fait et à ne pas donner trop d’attention à ces gens-là. On doit continuer à donner beaucoup plus de positivité, de bienveillance et d’amour aux jeunes, car ce sont eux le futur.
Gisèle Lullaby : Je pense que ces attaques et ces accusations sont liées à de la misogynie. Le fait qu’un homme assume d’être une femme forte plus qu’un homme gêne beaucoup de gens, notamment en France. Il faut que les gens se rendent compte que le plus important, c’est qu’une femme et un homme soient traités de la même manière et payés de la même façon. C'est pourquoi chaque drag-queen est politique, chaque drag-queen est engagée. Ça fait partie de notre rôle.
Chaque drag queen est une féministe qui montre du doigt les stéréotypes et les pressions qui pèsent sur les femmes. Gisèle Lullaby
Chaque drag queen est une féministe qui montre du doigt les stéréotypes et les pressions qui pèsent sur les femmes. La drag-queen va porter des perruques de 40 pouces de long, des fausses hanches, des fausses poitrines, des hauts talons pour montrer tout ce que la société attend des femmes. La femme est une icône pour nous. Que ce soient les gays ou les drags queens, toutes nos icônes sont des femmes. La femme est le sexe fort. Être une drag-queen, c’est aussi représenter tous les queers, c’est pourquoi il y a un mérite qui va à la drag queen. C'est un étendard de tous les combats que nous menons dans la société.
"La drag-queen va porter des perruques de 40 pouces de long, des fausses hanches, des fausses poitrines, des hauts talons pour montrer tout ce que la société attend des femmes", estime Gisèle Lullaby.
En ce moment, les critiques que l'on entend sur les drags queens ne sont que des prétextes pour s’en prendre aux femmes trans. La drag queen n’est qu’une préface. Car qu’est-ce qu’une drag-queen ? C’est un homme déguisé en femme. Qu’est-ce qu’une femme trans pour un homophobe ou une transphobe ? C'est caricaturalement un homme déguisé en femme. C’est très triste. On se demande toujours d’où vient cette haine et ce mépris de gens que l'on ne connaît pas. Ils me font de la peine… J'aime le drag parce qu’il est politique, et qu’on est toujours là pour défendre une communauté, notamment nos sœurs trans.
Avez-vous des projets en perspective ?
Vanessa Van Cartier : J’ai publié un livre l’année passée et nous sommes en train de voir pour la traduction dans plusieurs pays. Je travaille sur de nombreux programmes télés en Italie, en Hollande et en Belgique. Mon rêve serait de jouer dans un film et d’encourager à travers mon parcours tous ceux qui ont perdu espoir. Pas seulement les drags queens. Ça peut être une femme qui a subi des violences conjugales, une personne en état de dépression, des jeunes...
Gisèle Lullaby : J’ai sorti récemment un nouveau clip et je travaille sur ma prochaine tournée. J’ai très hâte que ça commence.
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