Gladys Kalema-Zikusoka : la vétérinaire qui se bat pour les gorilles

Première vétérinaire ougandaise spécialisée dans la protection de la faune, Gladys Kalema-Zikuzoka s'efforce aujourd'hui de sauver les gorilles de montagne. Elle prône une approche de santé publique durable qui protége aussi les humains.
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Gladys Kalema-Zikusoka
Image de profil Facebook de la docteure Gladys Kalema-Zikusoka.
 
 


 

 
 


 

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Gladys Kalema-Zikuzoka  est la première vétérinaire spécialisée dans la faune sauvage d'Ouganda. Depuis vingt-sept ans, elle s'emploie à protéger les gorilles des montagnes. Depuis le nombre de gorilles du parc nationale de Bwindi est passé de 300 à environ 500. S'ils sont désormais considérés comme une espèce en danger, ils ne sont plus, grâce à ses travaux, "en danger critique d'extinction".

Aujourd'hui, elle et son équipe font face à un nouveau défi :  le réchauffement climatique qui gagne l'impénétrable parc national de Bwindi et menace l'habitat des gorilles des montagnes. La raréfaction de l'eau et la recrudescence des maladies infectieuses dans la population locale met les gorilles en danger. La malaria, par exemple, touche de plus en plus d'humains et finit par gagner les primates qui sont en interaction permanente avec la population, dans le parc et à l'extérieur. 
 
Afin de prévenir ces épidémies zoonotiques, Gladys Kalema-Zikuzoka travaille en étroite collaboration avec les services de santé des communautés qui vivent à proximité du parc national : formation à la conservation de la faune, sensibilisation de la population à l'hygiène et aux conditions sanitaires. Chaque collaborateur est chargé de suivre une trentaine de foyers. Tous les mois, son équipe et elle analysent les déjections des 26 clans de gorilles du parc pour détecter d'éventuels parasites, virus ou bactéries venus de l'homme ou du bétail . En cas d'anomalies, ils lancent des observations cliniques poussées.

"La société n'encourage pas les femmes à entreprendre et à se mettre en danger", déclarait Gladys Kalema-Zikuzoka en introduction d'un reportage à la BBC, en 2023
Les femmes qui s'aventurent dans la brousse, avec un minimum d'équipements, sont mal vues." Et pourtant elle espère inspirer les femmes et que d'autres suivront son exemple. Qu'elles auront envie de protéger la biodiversité et diront comme elle : "Je vais le faire parce que j'en ai vraiment envie... Les femmes qui peuvent jouer le rôle de modèles sont finalement assez rares, dit-elle. "Mais elles sont de plus en plus nombreuses à s'engager pour la préservation de la faune. Et quand je perds courage, je pense aux gorilles".
Société zoologique d'Indianapolis

Gala du Prix Indianapolis 2023 de la Société zoologique : Anne Thompson, Gladys Kalema-Zikusoka, Karen Eckert, Joel Sartore, Pablo Borboroglu, Fanny M. Cornejo, Birute M.Galdikas, Gerardo Ceballos, Danni Washington, le 30 septembre 2023 à Indianapolis.
 

Matt Bowen/AP Images

Cofondatrice de l'association de la conservation par la santé publique, Gladys Kalema-Zikuzoka recevait, en 2021, le prix des champions de la Terre des Nations unies. Elle est la fondatrice et la directrice générale de Conservation Through Public Health, une ONG qui promeut la conservation de la biodiversité en permettant aux hommes, aux gorilles et à d'autres espèces sauvages de coexister sans mettre leur santé en péril. De passage en France à l'occasion de la sortie de son livre, sorti pour l'instant en version anglaise, le voyage d'un vétérinaire de la faune africaine, elle était l'invitée du 64' de TV5MONDE.

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Entretien avec Gladys Kalema-Zikuzoka

TV5MONDE : Comment se portent aujourd'hui les gorilles des montagnes du parc national de Bwindi ? 

Gladys Kalema-Zikuzoka : Les gorilles des montagnes se portent bien. Il y en a de plus en plus. Nous avons eu des naissances récemment et c'est merveilleux de les voir. Quand j'ai commencé à travailler avec les gorilles, il y a vingt-cinq ans, ils n'étaient que 650, et aujourd'hui, ils sont plus de 1000. C'est presque le double, et c'est grâce à nos efforts de protection : de meilleurs soins vétérinaires, et de meilleurs soins aussi pour la communauté qui bénéficie du tourisme et d'une meilleure santé, de façon à ne pas contaminer les gorilles malades.

Ils se portent mieux aussi car la loi est mieux appliquée grâce à l'argent du tourisme qui soutient les rangers qui protègent le parc. Donc les gorilles se portent beaucoup mieux.

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Pour autant, des menaces pèsent sur ces gorilles. Quelles sont-elles ? Sont-ils encore une espèce menacée d'extinction ? 

Oui, il y a encore des menaces, même si, au départ, ils étaient en danger critique d'extinction selon l'UICN (Union internationale pour la conservation de la nature, ndlr). A présent, ils restent en danger, mais plus en danger critique. Ce qui les menace, ce sont les maladies des humains qui leur sont proches. Quand des touristes viennent, ils peuvent les rendre malades. Et puis les gorilles vont dans les jardins pour chercher des bananes, par exemple. 

Nous garantissons aux cultivateurs autour du parc un bon prix pour leur café, de façon qu'ils n'aient pas à aller braconner dans le parc.Gladys Kalema-Zikusoka

Pourquoi vont-ils dans les jardins des humains ? Parce que leur habitat s'est considérablement réduit à cause de la croissance démocratique et parce que les forêts ont perdu du terrain. Maintenant, il y a des humains et des jardins et les gorilles peuvent tomber malades en touchant des vêtements sales, par exemple. Nous avons perdu un bébé gorille de la gale. 

Ils peuvent aussi attraper toutes sortes de maladies de leurs voisins humains. Il y a des déjections, à l'extérieur. Il y a aussi le braconnage. Les gorilles peuvent se prendre dans les pièges. Donc, les dangers, ce sont les maladies et la perte de l'habitat.

Vos recherches ont démontré que des parasites intestinaux peuvent être transmis de l'homme aux gorilles. Comment agissez-vous concrètement pour protéger les gorilles ? Qu'est-ce que l'approche de la santé globale ?

Cette approche de la santé globale vise à améliorer la santé des animaux, des humains et de l'environnement. Nous protégeons les gorilles en améliorant la santé des personnes autour, surtout là où ils vagabondent et sortent du parc.

Nous améliorons la santé des gorilles en protégeant la santé des humains et des animaux domestiques qui peuvent contaminer les gorilles. Gladys Kalema-Zikusoka

Si on trouve des parasites humains chez les gorilles, dans notre laboratoire de terrain, nous nous assurons que les humains ou leurs animaux d'élevage sont aussi soignés, et s'il le faut, on peut même soigner les gorilles. Ainsi nous améliorons la santé des gorilles en protégeant la santé des humains et des animaux domestiques qui peuvent rendre les gorilles malades. Voilà notre approche de santé globale.

Lorsque l'on protège la santé des humains, ils font davantage attention à la faune sauvage, parce qu'ils se rendent compte qu'on s'intéresse aussi à eux, et c'est un droit humain. 

Cela passe aussi par l'économie, par les richesses de votre pays, l'Ouganda. Vous nous avez apporté du café, Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela fait partie de votre projet ? 

Nous avons le café de protection des gorilles. Nous travaillons avec les cultivateurs autour du parc à qui nous garantissons un bon prix pour la culture du café, de façon qu'ils n'aient pas à aller braconner dans le parc. Quand ils ont faim, ils n'ont plus besoin de chasser, ils vendent du café et nous leur proposons un prix supérieur à celui du marché. L'argent sert à racheter du café et il y a une donation des banques pour soutenir la santé des humains, des gorilles et les efforts de notre association de conservation par la santé publique. Ainsi, c'est un financement durable. 

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Vous faites aussi partie de la société civile, en première ligne face au réchauffement climatique. L'Afrique de l'Est souffre en ce moment d'une sécheresse importante. Le Kenya a subi des inondations importantes voici quelques semaines. Ce sont des effets contre lesquels vous devez aussi lutter ?

La météo a beaucoup changé. La saison pluvieuse est plus humide, la saison sèche plus longue. Les cultures sont inondées. Nous apportons de bons plants, mais elles sont parfois emportées par les inondations.

Et avec le réchauffement, il y a aussi plus de maladies, y compris des maladies zoonotiques, qui peuvent se transmettre entre humains et gorilles, dans les deux sens. Nous suivons cela de près pour s'assurer que les gorilles n'attrapent pas davantage de maladies à cause du réchauffement climatique. Et on ne sait pas s'ils sortent du parc pour aller chercher à manger parce qu'ils manquent de nourriture dans leur forêt. C'est quelque chose que nous étudions. 

Je dois beaucoup à ma mère, l'une des premières femmes politiques et féministes en Ouganda.Gladys Kalema-Zikusoka

Votre approche de santé globale a-t-elle permis de réduire l'impact du Covid sur les gorilles des montagnes de votre parc naturel ?

Notre approche de santé globale a permis de réduire l'impact du Covid. Dès le début de l'épidémie, nous avons fait passer le message au gouvernement : il fallait mettre des masques pour aller voir les gorilles et les chimpanzés. Nous avons ainsi empêché les touristes et ceux qui travaillent dans les parcs, les voisins, de contaminer les gorilles. Ça a été très utile. Et puis pour nous assurer aussi que les personnes qui habitent près du parc se lavent les mains, nous avons mis en place des stations lave-mains, et ils mettent un masque si ils sont à moins de 10 mètres d'un gorille.

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Nous avons aussi apporté de l'aide aux personnes locales parce qu'il n'y avait plus de tourisme, donc plus d'économie. Il nous semblait important, donc, d'apporter notre soutien aux cultivateurs de café. On s'est assuré qu'ils avaient assez à manger en apportant notre soutien aux foyers vulnérables. 

Et puis nous avons réussi à vendre le café ougandais au Royaume-Uni et aux États-Unis. Et nous espérons que nous pourrons le vendre aussi en France. À un moment, nous vendions un petit peu en France. Et c'est vraiment utile, parce l'argent du café nous permet de soutenir les fermiers qui, ainsi, n'iront pas braconner dans la forêt. 

Malheureusement, nous avons quand même perdu un gorille pendant la pandémie parce qu'un braconnier affamé est allé chasser et il s'est fait attaquer par un gorille. C'est là qu'on s'est rendu compte qu'il fallait s'assurer que les gens autour du parc n'avaient pas trop faim.

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L'avant-propos de votre livre est signé Jane Goodall, primatologue britannique. Elle est la première scientifique à avoir observé et rapporté que les chimpanzés utilisent des outils pour s'alimenter. Ses travaux ont profondément transformé la compréhension des rapports entre les êtres humains et les animaux. J'aimerais parler non pas d'outils pour s'alimenter mais pour se soigner. Vous avez forcément entendu parler de cet orang-outan récemment blessé au visage, en Indonésie, qui a fabriqué tout seul un pansement de plante médicinale. C'est ce que rapportait la prestigieuse revue Scientific Reports

C'est très impressionnant, mais pas surprenant. Les orang-outans sont très intelligents, comme les chimpanzés et les gorilles. Nous avons plus de 98 % de gènes en commun. Et avec les orang-outans, plus de 97 %. Et ces grands singes – nous sommes tous des grands singes humains – savent se soigner. Les chimpanzés savent aussi se soigner. Les gorilles le font aussi, même si on ne l'a pas beaucoup observé. Ça m'intéresse beaucoup de l'étudier.

C'est merveilleux de voir qu'ils savent se soigner tout seuls et qu'ils ont des vétérinaires, comme nous. Peut-être que quelque chose dont ils se servent pourrait nous être utile ? Nous travaillons déjà avec les communautés locales, avec les guérisseurs, dans les villages, qui se servent des plantes locales. Peut-être que les gorilles, les chimpanzés, les orang-outans et les humains se servent des mêmes plantes médicinales. C'est vraiment une belle découverte. Cela montre leur intelligence, combien nous sommes proches et pourquoi on doit les protéger.

Vous rendez hommage dans votre livre à Frans de Waal, primatologue et éthologue néerlandais qui nous a quitté en mars 2024. Un livre qui évoque aussi Dian Fossey, primatologue américaine spécialisée dans l'étude du comportement des gorilles de l'Est de l'Afrique. Que représente cette femme pour vous ? Rappelons qu'elle a été assassinée à l'âge de 53 ans ; elle avait dit "Je veux être enterrée ici, dans le cimetière où reposent mes gorilles". 

Dian Fossey était une femme extraordinaire. J'aurais tellement aimé la connaître, mais quand elle est morte, j'étais encore adolescente, c'était avant que je ne travaille avec les gorilles. Elle m'a beaucoup inspirée. Et quand j'ai lu son livre, j'ai voulu poursuivre ses travaux et c'est toujours ce que je veux faire. Je suis heureuse d'avoir pu rencontrer le docteur Jane Goodall, qui était proche d'elle, et Biruté Galdikas, qui m'ont inspirée et je suis très honorée qu'elle ait pu écrire l'avant-propos de mon livre. Dian Fossey a fait comprendre que les gorilles sont de gentils géants que l'on doit protéger. 

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Ne sont-ils pas dangereux pour les êtres humains ?

Non, ils ne sont pas dangereux pour les êtres humains. À moins qu'on les provoque, les gorilles ne veulent pas nous laisser. S'ils chargent, c'est juste pour nous faire peur. Ils s'arrêtent. Ce sont de gentils géants pacifiques. Contrairement à King Kong dans les films d'Hollywood, ils sont très gentils. 

Que faire si l'on veut, par exemple, rester calme et dire à un gorille que l'on est son ami ? Vous communiquez par les sons avec eux ? 

Oui, on fait : (raclement de gorge). Pour montrer qu'on est un ami, qu'on ne les menace pas, qu'on vient en paix. Ce sont des sons "contents". 

Vous dites que vous devez beaucoup à votre maman. C'est une vocation pour vous qui est venue très tôt, ça, l'amour des gorilles ? 

Oui, ma mère m'a apporté son soutien. Elle m'a permis de faire ce que je voulais, même si elle s'inquiétait un petit peu de ce choix d'études. Elle avait peur que les gorilles me fassent mal. Les gens pensent qu'ils sont dangereux, mais je lui ai expliqué qu'ils ne le sont pas.

Il y a une photo qui nous montre la première fois que je l'ai emmenée voir les gorilles, et c'est là qu'elle a dit : ce sont de gentils vétérinaires qui habitent dans un grand saladier. Elle a écrit un livre, car c'est l'une des premières femmes politiques et féministe en Ouganda. Elle y a mis cette photo de quand je l'ai emmenée voir les gorilles. Elle a 95 ans.

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