Fil d'Ariane
Qu'est-ce qui peut inciter une presque centenaire à quitter sa ferme à l'ouest du Kenya pour s'inscrire à l'école primaire ? Pour Priscilha Sitienei, alias Gogo, un surnom qui signifie "grand-mère", c'est la volonté de prendre sa revanche sur une enfance amputée d'éducation et celle d'encourager les futures générations de filles à apprendre, à se cultiver, à ne pas s'enfermer au foyer.
Dans son enfance, comme toutes les autres fillettes à son époque, Priscilha Sitienei n'avait pas accès aux bancs de l'école. "Les garçons venaient dans les villages pour voir celles qui étaient mariables et les parents négociaient", se souvient-elle lors d'une rencontre relatée dans les colonnes du journal Le Parisien. Mariée à 12 ans, Priscilha Sitienei, mère de trois enfants, deviendra sage-femme.
J'étais frustrée de voir mes petites-filles ne plus y aller quand elles deviennent mères, j'ai décidé d'y aller pour leur montrer qu'on pouvait le faire.
Priscilha Sitienei, alias Gogo
Elle a vécu suffisamment longtemps pour le savoir : "quelqu’un d’éduqué a de la sagesse et comprend les choses mieux que quelqu’un qui n’est pas allé à l’école", explique-t-elle dans le quotidien. Lasse des regrets, elle a décidé, à 94 ans, d'apprendre à lire et à compter. Mais ce n'est pas tout, car derrière son initiative, il y a aussi la volonté de montrer l'exemple, d'encourager les jeunes et de faire des émules : "J'ai commencé à aller à l'école car j'étais frustrée de voir mes petites-filles ne plus y aller quand elles deviennent mères, j'ai décidé d'y aller pour leur montrer qu'on pouvait le faire", témoigne-t-elle.
Mission accomplie pour Gogo. Celle qui, entre-temps, est devenue une célébrité locale, motive toute une génération à partager son enthousiasme pour le tableau noir. "Quand elle a rejoint l'école, on avait entre 100 et 120 élèves. Aujourd'hui, on en a entre 450 et 500. Beaucoup d'entre eux sont venus grâce à Gogo," constate Sammy Kiplagat Chesiror, directeur de l'école Leaders' Vision au micro de France 3. Priscilha Sitienei partage aujourd'hui la salle de classe avec des maîtresses et des élèves qu’elle a fait naître, et a une soixantaine de petits-enfants et arrière-petits enfants, dont six sont dans la même classe qu'elle ! "Je suis fière de ma grand-mère", dit l'une de ses petites-filles.
Le réalisateur Pascal Plisson se passionne depuis toujours pour l'éducation. L'histoire de celle qu'il considère maintenant comme sa grand-mère, il l'a découverte dans un journal kenyan. Elle n'a pas été très difficile à convaincre, se souvient-il. "Elle a très vite compris que son histoire pouvait aider les petite filles. Elle a adhérer tout de suite. Elle ne pouvait pas refuser. C'était dans son ADN de faire ce film", explique Pascal Plisson.
En 2013, Pascal Plisson avait déjà signé Sur le chemin de l’école. Un film qui raconte les défis quotidiens que doivent relever les enfants dans les régions reculées de la planète pour aller à l'école. Il montre comment la petite Zahira, par exemple, traverse les monts de l’Atlas marocain pour accéder à l'éducation, clé d'un avenir meilleur.
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