A travail égal, salaire inégal… Voilà ce que révèlent, sans surprise, les premières listes de salaires publiées par les entreprises britanniques de plus de 250 employé.e.s, comme les y oblige une loi votée l'an dernier. A la BBC, cette transparence salariale a crevé l'écran. En 9ème position, la première femme du classement gagne 5 fois moins que le présentateur vedette de la chaîne.
«
WTF! » (
what the fuck), pourrait-on s'écrier à la mode de la rue londonienne, en découvrant ces premières listes de salaires, publiées en cet été 2017, conformément à la loi adoptée le vendredi 12 février 2016.
Portée par l’ex- ministre des Femmes et des Égalités Nicky Morgan, cette loi avait été initiée par l’ancien Premier ministre britannique
David Cameron. En juillet 2015, il avait promis «
de mettre fin à cet écart des salaires en une génération ».
Dans
sa première déclaration en tant que cheffe de gouvernement, le 13 juillet 2016, celle qui lui a succédé, Theresa May avait elle aussi souligné le fossé entre les gains des hommes et des femmes et avait promis de créer une «
Grande-Bretagne qui fonctionne pour tous ».
Une Grande-Bretagne qui fonctionne pour tous Theresa May, Première ministre britannique
Cette loi impose à toutes les sociétés et organismes publics employant plus de 250 personnes de publier, d'ici au mois d'avril 2018, plusieurs données permettant de mesurer les écarts : salaires horaires moyen et médian pour les hommes et les femmes, bonus moyen versé au cours des douze derniers mois et proportion d'hommes et de femmes ayant touché un bonus. Une fois transmises à l'administration, celle-ci les compilera et publiera les données par secteurs d'activité.
Parmi les groupes qui ont déjà appliqué cette directive : le groupe Shroders, gestionnaire de fonds. Résultat : l’écart révélé est de 31 %. Un écart très au-dessus de la moyenne nationale, que l’on doit à la sur-représentation des hommes dans les postes les plus élevés.
Une enquête récente de l’
Institute for Fiscal Studies (IFS) rapporte que l'écart de salaires moyen entre hommes et femmes au Royaume-Uni s'élève à 18 %.
D’après l’IFS, les femmes qui ont des enfants sont les plus concernées par cette disparité. Car, si la différence de rémunération avec les hommes du même âge s’élève à 10 %, elle se creuse ensuite. Pendant que le salaire des hommes augmente entre l'âge de 20 et 30 ans, celui des femmes, lui, stagne, puis baisse. Ainsi le salaire horaire moyen d'une femme dont le premier enfant a 12 ans est d'un tiers inférieur à celui d’un homme. Plus de quatre décennies après la loi sur l'égalité de rémunération (
Equal Pay Act 1970, Loi d'égalité de salaires, voir encadré), il y a malgré tout quelques progrès notables. L'écart a diminué, il était de 23% en 2003 et de 28% en 1993 et pour les moins de trente ans, l'écart a pratiquement disparu.
L'Equal Pay Act 1970 a été voté en décembre 1970. La loi visait à interdire la discrimination salariale entre hommes et femmes, ainsi que les autres différences dans les conditions de travail. Elle est intervenue 2 ans après la fameuse grève de 187 machinistes couturières de l'usine Ford de Dagenham. Ce mouvement de grève de trois semaines a donné lieu à d'autres actions similaires et à la formation du National Joint Action Campaign Committee for Women's Equal Rights, regroupant des individus de diverses organisations syndicales. L'Equal Pay Act 1970 entra en vigueur en 1975. La lutte des pionnières anglaises pour une reconnaissance de statut et une égalité salariale avait fait l'objet d'un film sorti en 2010 "Les dames de Dagenham". Pas de sanction pour les récalcitrants
Un bémol dans cette loi, et pas des moindres. Les entreprises qui rechignent à publier leur liste ne seront pas pour autant sanctionnées. Selon certains observateurs, la pression, notamment médiatique, devrait suffire à les convaincre malgré tout. Les grands groupes seront en tout cas poussés à se justifier. « La publication des données n'aura un impact que si les entreprises cherchent à identifier les causes des écarts constatés et agissent en conséquence lorsque c'est possible », estime une spécialiste de droit social sur le site des Echos.
Du côté des entreprises justement, parmi les 8 000 concernées, certaines ont critiqué cette mesure, estimant qu’elle possédait ses limites. « De nombreuses entreprises accusent le gouvernement de vouloir cacher derrière l'exigence de déclaration sa propre inaction. Un effort pour promouvoir le congé parental partagé du style islandais ou suédois ferait probablement davantage pour remédier aux déséquilibres de rémunération entre hommes et femmes que la création d'un site Web officiel lourd de données », peut-on lire dans un article du Guardian.
La transparence - même si elle est imparfaite - est en effet très bienvenue. La lumière du soleil est toujours un bon désinfectant
The Guardian
Si le patronat ne s'oppose pas frontalement à cette directive, il fait part de ses craintes. Toujours dans le Guardian, Carolyn Fairbairn, directrice générale de la principale organisation patronale du pays, la CBI, espère que la publication des classements ne sera « pas utilisée pour nommer et humilier des entreprises », soulignant que les données publiées seraient « partielles, particulièrement compte tenu du mélange entre temps partiel et temps plein et des différences sectorielles ».
« En 2011, un rapport de l'ancien ministre du Commerce Lord Davies avait souligné le manque de femmes dans les meilleurs postes et avait recommandé que les entreprises du FTSE 100 doublent la proportion de femmes dans les salles de réunion à 25% d'ici 2015. L'objectif a été dépassé. (…) Ce n'est que lorsque le problème est décrit en détail que ceux qui occupent des postes de pouvoir sont obligés de répondre. », ajoute le journaliste du quotidien cité plus haut, qui conclut par cette formule « la transparence - même si elle est imparfaite - est en effet très bienvenue. La lumière du soleil est toujours un bon désinfectant. »
Le scandale BBC
Une lumière d’autant plus éclairante sous les projecteurs de la BBC. L’historique groupe de radio et télévision du service public britannique, est contraint depuis 2016 à publier les salaires dépassant les 165 000 euros, (une somme qui correspond à la paie de la Première ministre, Theresa May qui a rendu obligatoire en 2016 ce classement des gros salaires dans un souci de "transparence", ndlr).
Le 19 juillet dernier 2017, la chaîne publie
sa liste. Gros coup de chaud médiatique. Sur les 96 salaires concernés, deux tiers sont masculins. En première position : une vedette du petit écran britannique, Chris Evans. Il affiche une paye de 2,2 millions de livres par an, soit environ 2,8 millions d'euros annuels. Derrière lui, sept hommes.
Claudia Winkleman, la première femme de ce classement n’arrive qu’après, en neuvième position. L'animatrice gagne entre 450 000 et 500 000 livres, soit environ entre 510 et 550 000 euros, c'est à dire 1/5e de ce qu'empoche son célèbrissime confrère. Ensuite, on ne retrouve que des hommes jusqu’à la 14ème place, celle occupée par Alex Jones, deuxième et dernière femme de la BBC à gagner plus de 450 000 euros par an.
« Je veux que les femmes soient payées autant que les hommes », réagit aussitôt la Première ministre Theresa May accusant le groupe de presse de sous-payer les femmes pour un travail équivalent à celui des hommes.
Même réaction fin août de la part de la Première ministre écossaise,
Nicola Sturgeon qui participait à un débat à la BBC :
« Le pacte de salaire égal a été adopté l'année où je suis née, ce qui, comme vous le savez probablement, ne date pas d’hier. Ces problèmes se sont déroulés totalement hors des radars depuis trop longtemps. Eh bien, ils ne sont plus hors des radars et il est temps de progresser » .
Dans une lettre adressée à leur grand patron, Tony Hall, publiée sur le
site du New York Times, quarante-deux employées de la BBC, lui demandent de régler cet écart « sans attendre ».
Comparées à de nombreux autres femmes et hommes, nous sommes très bien payées et plutôt chanceuses. Et pourtant, nous vivons une ère d'égalité et la BBC est une institution qui tient à ses valeurs Extrait lettre publiée au NYT
Pour sa défense, la BBC n’a pas manqué de souligner que cet écart salarial est de 10 % en moyenne, soit moins important que l’écart au niveau national, qui est de 18 %. Tony Hall, interrogé dans les médias a assuré que ces écarts seraient résorbés d'ici 2020. Une date trop lointaine pour les plaignantes.
«Si les femmes de la BBC sont payées moins, c'est qu'elles ont laissé faire ! »
, ces propos signés
de Sir Lionel Hampton, président d'un grand groupe financier et membre d'une commission gouvernementale chargé de la question de l'égalité des salaires ont alimenté la polémique, embrasant les réseaux sociaux, notamment chez les associations féministes.
« La direction de la BBC devrait être rouge de honte. (...) Les hommes gagnent beaucoup plus que les femmes, même s’ils sont assis l’un à côté de l’autre en train de faire ce qui est apparemment le même boulot », s'insurge le journal
The Guardian.
La presse écrite n'échappe pas non plus aux inégalités salariales. Les dirigeants syndicaux du Financial Times ont envoyé cet été un courrier électronique à près de 600 employés dans lequel ils accusent la direction de «
n’avoir pas pris ce sujet suffisamment au sérieux » ajoutant que le manque de transparence quant à la rémunération des cadres du journal «
n’inspirait pas confiance ». L'écart salarial entre hommes et femmes au sein du personnel éditorial du quotidien économique est de 13%.
Même salaire, même stade pour tou.t.e.s
C’est sur un terrain inattendu, celui d’un stade de football que le coup d’envoi du changement pourrait être donné. Le Lewes FC, un club semi-professionnel anglais, affirme vouloir devenir le premier club de foot britannique à rémunérer ses joueuses au même niveau que ses joueurs.
La section féminine (qui joue en 3e division) et la masculine (en 8e division), s'entraînent déjà sur le même terrain et partagent aussi le stade local lors des matches. La direction du club a décidé d’allouer les mêmes moyens pour les deux équipes, que ce soit au niveau des budgets, des équipements, du nombre de membres dans le staff, des technologies, ou des moyens de déplacement.
[
Imaginez un club qui paye les hommes et les femmes de la même façon. Arrêtez d’imaginer. Ce jour est arrivé.]Comme l’indique ce tweet posté sur le compte Twitter de l'un des sponsors du club @EqualityFC, parfois la réalité dépasse le rêve …
« Nous espérons susciter un changement, qui aidera à mettre fin aux différentes excuses concernant les disparités salariales hommes-femmes », a déclaré sur la
BBC, Jacquie Agnew, la présidente du club, une femme donc.
L'occasion qui sait aussi de s'interroger sur l'#egalitesalairesfemmeshommes @TV5Monde ?
Bientôt des amendes en France ?Lundi 28 août, lors d’
une émission télévisée, la secrétaire d’Etat à l’égalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, a annoncé travailler à la création d’un nouveau système permettant de
« prélever directement les amendes dans les entreprises » ne respectant pas l’égalité salariale. Une convention a été signée avec le Défenseur des droits, Jacques Toubon, permettant de
« multiplier les contrôles aléatoires auprès des entreprises, mais aussi d’aller vers plus d’information sur les droits des femmes au travail ».
Après le plafond de verre, le plafond de mèreSelon une étude effectuée à partir de données sur les dix premières années de vie active d’individus sortis du système éducatif en 1998, les inégalités de salaires entre hommes et femmes sont présentes dès le début de carrière. Après trois ans de vie active, les hommes ont un salaire moyen de
18 % supérieur à celui des femmes (1 292 €, contre 1 098 €).
Après dix ans, cet écart atteint 31 %.Un
père gagne en moyenne 40 % de plus qu’une mère après seulement trois ans de vie active, et 44 % de plus au bout de dix ans. De façon assez surprenante, la paternité constitue un net avantage salarial (les pères gagnent en moyenne davantage que les sans-enfant).
Les femmes qui travaillent dans des
professions féminisées sont
pénalisées par rapport à celles qui travaillent dans des métiers mixtes ou masculins.