Grèce : des femmes pour le prix d'une tarte ? Vraiment ?

En Grèce, de jeunes prostituées se vendraient pour 2 euros,  le prix d'un feuilleté au fromage. Boum médiatique ! La  presse mondiale s'emballe. La supposée déliquescence du pays tient sa pathétique illustration. Sauf que tout cela est bidon. Décryptage.
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Grèce prostitution
Titres accrocheurs, informations non vérifiées, la presse, parfois, commet des écarts dans le seul but d'accroître son audience. Parmi les sujets "vendeurs", le sexe et la prostitution. Ils occupent une place de choix. Gare au bidonnage !
(thinkstock photo)
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"En Grèce, une passe pour le prix d'un sandwich", "Du sexe pour le prix du pain", les titres sont accrocheurs. En quelques mots, voici donc résumée la faillite d'un pays en souffrance, la Grèce, saignée à blanc par 6 années d'une austérité atroce.

En parcourant les différents articles de la presse mondiale, de Libération au Washington Post, on apprend que cette info serait extraite d'une étude menée par Grigoris Lazios, professeur de sociologie  à l'université Panteion, à Athènes. Du sérieux, donc.
Et les journaux de relayer certaines précisions-chocs, histoire de frapper durablement les esprits : "Quand la crise économique a débuté en Grèce, le prix d'une passe était environ de 50€. Aujourd'hui, il serait aux alentours de... 2€."

 Tout de même, la crise...

Les titres dans les journaux sur les étudiants grecs qui se prostitueraient  pour une tarte au fromage ne révèlent rien sur la prostitution de rue à Athènes                                
Grégory Lazos

Selon cette étude, il y aurait 18500 prostituées "entre 17 et 20 ans" recensées dans la capitale.

Pauvre Grèce, désormais  incapable de nourrir ses enfants et qui les abandonne pour une misère, pensez donc, un morceau de tarte au fromage !

Révélations sexuelo-scandaleuses

Les chers confrères auraient dû vérifier leurs sources plutôt que faire du copié-collé-arrangé. Parce qu'à l'origine de l'affaire, de ces révélations sexuello-scandaleuse, il y a tout d'abord un article paru dans le quotidien britannique The Times.
The Times
L'article du Times/Europe signé Anthee Carassava paru le 27 novembre 2015
(capture d'écran)
C'est dans cet article que l'on retrouve tous les détails qui serviront de matrice aux autres articles qui paraîtront ensuite.Le professeur Gérgory Lazos semble stupéfait par le papier du Times.

Deux jours après sa publication,  dans themasnews.com, il affirme que la journaliste  aurait, en fait,  mal compris le contenu de son étude. Il précise : "Je ne nie pas que cela a pu arriver, mais je pense que nous parlons d'un pourcentage insignifiant".

Même incompréhension ahurie chez cet universitaire réputé quant à ce pourcentage de  "80%" de femmes grecques parmi ces prostituées affamées.
Idem pour ce prix de passe de 2 euros la prestation d'une demie-heure.
D'où viennent ces chiffres ? Pas de son étude, en tout cas.

Et le journal en ligne de rappeler certains épisodes professionnels fâcheux de la journaliste auteure de l'article,  et de mettre en doute la rigueur de son travail, quand il ne la soupçonne pas d'être carrément "anti-grecque".
Mais cela est une autre affaire.


Une invention journalistique sensationnelle


Oui ou non, les jeunes femmes grecques prostituées se vendent-elles pour un sandwich ? Et les prostituées dans le pays sont-elles grecques "à 80 %" comme l'affirment tous les articles en ligne publiés depuis ?
Pour le savoir, il faut simplement contacter l'auteur de l'étude, le professeur Grégory Lazos.

Ce que nous avons fait.

Voici sa réponse : "Oui , il s'agit d'une invention journalistique , sensationnelle et réussie. En présentant cette étude, j'ai essayé de découvrir avec un exemple concret les bas-fonds de la prostitution de la rue dans cette période de crise morale  culturelle et économique. Cette exploitation des femmes  démoralisées , épuisées , malades et affamées qui offrent leurs "services pornographiques"  pour un petit déjeuner... Est-ce fréquent ? Non. Est-ce statistiquement mesurables ? Non. Y a-t-il une relation avec des étudiants. Non. ( ou , pour être plus précis , nous n'avons pas trouvé de lien entre les étudiants et cette forme de prostitution en Grèce.) Les titres dans les journaux sur les étudiantes grecques qui se prostitueraient  pour une tarte au fromage ne ​​révèlent rien sur la prostitution de rue à Athènes . Il me semble qu'ils révèlent, par contre,  beaucoup de choses sur la façon dont nos partenaires dits européens évaluent la situation en Grèce aujourd'hui."

Pauvres femmes grecques ! Déjà confrontées à un quotidien arride, voici maintenant les prostituées malmenées par des articles  torrides... et bidons. 

On imagine certains touristes préparant leurs prochaines vacances et salivant, les pingres lubriques, rien qu'à l'idée de "faire la fête", oh,  pour trois fois rien... une bouchée de pain.
Raté.
Enfin, il y aurait beaucoup à dire sur ce suivisme journalistique, qui consiste à publier vite, avec des titres aguicheurs, en omettant de vérifier les infos. Rançon du "buzz" ?
Ni les Grecs ni les journalistes n'en sortent grandis.

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