Fil d'Ariane
Elles/ils tiennent le piquet de grève devant l'Holiday Inn de Clichy (Hauts-de-Seine) depuis le 19 octobre. 50 jours jeudi que 11 salariés du prestataire de nettoyage Héméra, employés depuis des années dans cet hôtel, s'opposent à des mutations et dénoncent leurs conditions de travail. Elles/ils restent installées vaillamment devant leur lieu de travail. Déjà le 14 novembre 2017, ils avaient tenté aussi une incursion dans les beaux quartiers de la capitale en manifestant devant le Grand hôtel Intercontinental, près de la place de l'Opéra, afin de se faire entendre. Mais leurs mots avaient comme résonner dans le désert.
.@sudposte92 à la manifestation des grévistes de l'hotel Holiday in de Clichy (27 jours de grève) pic.twitter.com/3u0vdd71pT
— FrontSocial (@FrontSocialUni) 14 novembre 2017
Pourtant les médias, audiovisuels ou écrits, leur ont donné la parole, mais plus d'un mois et demi après le début de leur action, les responsables, Héméra l'employeur sous traitant et cet hôtel en bordure de Paris, dans la banlieue ouest et plutôt bourgeoise de Clichy, vue imprenable sur le périphérique, restent sourds aux cris de leurs employés. Des employés qui travaillent selon eux "comme des esclaves", ont-ils dit à Elea Pommiers du quotidien Le Monde. Et cela pour un salaire maximum de "1100 euros à 1200 euros en comptant les week-ends et jours fériés, qui n’a jamais augmenté en dix ans." Alors que les chambres sont louées 450 euros la nuit.
« On nous demande de faire dix-sept chambres par jour, des fois vingt ou vingt-deux… Mais une chambre peut nous prendre une heure ! Le pire, c’est pour celles qui ont des contrats de quatre heures par jour. Elles sont payées encore moins, et elles font quand même sept ou huit heures de boulot. C’est de l’esclavage. » a ainsi confié à la journaliste Denise, 44 ans, qui fait partie de la quinzaine de femmes de chambre que compte l’hôtel.
« C’est de l’esclavage » : à l’Holiday Inn de Clichy, des salariés dénoncent leurs conditions de travail — via @lemondefr. L'esclavage Made in France !! https://t.co/VgvqKUgxOG
— Nuss Patricia (@nuss_patricia) 5 décembre 2017
Tandis que d'autres dénoncent le manque de respect, le harcèlement moral et les insultes : tortue, hippopotame, girafe… tout le bestiaire y passe.
Ce qu'elles/ils voudraient est pourtant simple "être embauché.es directement par l’hôtel et obtenir, comme les employés de l’Holiday Inn, des jours de repos fixes, des paniers repas et un treizième mois". "Cette position rend impossible le dialogue social", estime Héméra, en soulignant que la CNT "refuse d'entendre" ses propositions.
Leur ténacité pour y parvenir ne se dément pas : "Le moral est là, la détermination aussi", dit Mirabelle Nsang, 44 ans, gouvernante et représentante du syndicat CNT-Solidarité ouvrière, tout en déchirant consciencieusement des pages de magazine pour en faire des languettes formant tapis à l'entrée de l'hôtel de 260 chambres.
Assis autour d'elle sur des caisses de plastique, Blandine, dont la "mutation", la deuxième en six mois, a déclenché le mouvement, Donnise, Lassana, Bamba ou Ignace. Gouvernantes, femmes de chambres, équipiers et plongeurs : ils sont 11 sur 42 salariés de la société Héméra employés dans l'hôtel, pour la plupart depuis plus de dix ans, à tenir bon, soutenus par les syndicats CNT et CGT-HPE (Hôtels de prestige et économiques). Et montrer "à nos enfants que nous combattons", dit Bamba.
Leur pugnacité suscite les encouragements des passants et des automobilistes, nombreux à les saluer d'un coup de klaxon. Même des clients de l'hôtel déposent parfois un billet dans la caisse de solidarité. Mais Mirabelle sait qu'ils sont bien "moins visibles" ici qu'un "hôtel à Paris, dans le XVIème arrondissement". Voilà pourquoi, ils étaient partis défiler en ville…
Aléa de la sous-traitance hôtelière pourfendue par les syndicats CNT et CGT-HPE, ces anciens salariés de la société PEI ont été transférés chez Héméra quand la société a repris, pour un an à l'essai, le marché en décembre 2016. Un changement d'employeur qui s'est traduit, selon eux, par des conditions de travail dégradées, avec des modifications de planning intempestives, et une ambiance tendue avec "le nouveau chef de site".
Il y a six mois, la première mutation d'une gouvernante avait déjà failli déboucher sur une grève. "On a mal géré", regrette Mirabelle Nsang. Alors, quand Blandine a été informée qu'elle était mutée dans un hôtel de La Défense à compter du 20 octobre 2017, le mouvement est parti.
"Si on accepte, tout le monde sera muté", dit Mirabelle. C'est une "façon de casser le groupe, une stratégie", ajoute Blandine. Pour ensuite "faire venir des nouveaux (salarié.es) moins revendicatifs, des béni-oui-oui", reprend sa collègue.
Au fil de la grève, d'autres revendications se sont ajoutées à leur demande principale d'annulation des deux mutations et de suppression de leur clause de mobilité: le règlement des heures supplémentaires, une prime de panier "comme les salariés de l'hôtel", et une prime de 13ème mois. Elles veulent aussi que soient reconnues - et développées - leurs qualifications. Malgré une formation de gouvernante, Donnise est ainsi "toujours employée comme femme de chambre".
Le jeudi 7 décembre 2017, pour leur 50e jour de combat, un rassemblement s'est tenu, l'occasion de leur remettre les chèques de la caisse de grève, là où ils viennent tous les jours, devant l'hôtel où elles veulent "rester travailler".