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Irena Karpa est une écrivaine, scénariste et musicienne ukrainienne qui, avant de s’installer en France, il y a six ans, habitait à Kyiv. "Je suis ukrainophone, dit-elle, même si, en Ukraine, être russophone ne signifie pas être pro-russe", tient-elle à préciser. Ses parents, eux, sont restés au pays, dans un village des Carpathes où, depuis l'arrivée des forces russes, ils accueillent des réfugiés.
Les dossiers de la rédaction webinfo de TV5MONDE :
► UKRAINE, UN PAYS ÉCARTELÉ
►UKRAINE-RUSSIE : LA GUERRE
Irena Karpa coordonne l'aide aux réfugiés et aux volontaires de la défense territoriale depuis la France. Elle n’avait pas voté pour Volodymyr Zelensky, en 2019, lui préférant le politique professionnel Petro Porochenko, qui "comptait dans son équipe de fortes femmes", se souvient la quadragénaire, très attachée à la cause féministe. En cette période d'unité unique pour le peuple ukrainien, Irena Karpa reconnaît le rôle de chef et d’incarnation de la nation assumé par le président, devenu un modèle qui force le respect. A ses côtés, la première dame, qui, elle aussi, a choisi de rester en Ukraine. "
Olena Zelenska,First Lady a refusé l'asile politique américain: "Et aujourd’hui je ne vais pas paniquer et pleurer. Je serai calme et confiant.Mes enfants me regardent. Je serai à côté d’eux. Et à côté de mon mari. Et avec vous. Je vous aime!J’aime l’Ukraine!» via Instagram. pic.twitter.com/D0V6754yH2
— LAURENCE HAIM (@lauhaim) March 1, 2022
L’Ukraine est de facto un pays assez féministe, affirme Irena Karpa : "Dans le milieu culturel, celui que je connais le mieux, beaucoup de grandes sociétés de production sont dirigées par des femmes et sous le gouvernement Zelensky, des structures culturelles comme le cinéma d’Etat, les grands musées sont dirigés par des femmes." Un leg de la tradition soviétique d’égalité femmes/hommes ? Peut-être, mais pour l’heure, Irena Karpa a surtout envie d'oublier très vite tout ce qui touche à l’héritage soviétique. Son arrière-grand-père, un kulak défenseur de la cause et de l’enseignement ukrainiens a été déporté en Sibérie. Ses deux parents, ingénieurs, ont fait leurs études en Allemagne. "J’ai toujours été anti-soviétique. Je me souviens du putsch, en 1991, j’avais dix ans et je n’avais qu’une peur : que l’Ukraine ne parvienne pas à prendre son indépendance. Mais elle l’a prise, au prix de deux révolutions, et, maintenant, nous le payons."
Aujourd’hui, l'un des filles d'Irena Karpa a dix ans et elle essaie de lui expliquer les événements : "Elle me pose les mêmes questions qu’autrefois, je posais à mes parents."
Depuis le 24 février, Irena Karpa est animée par la peur et la rage. "Pour les Ukrainiens, maintenant, c’est la liberté contre la dictature. Toutes celles et ceux qui menaient une vie tranquille défendent maintenant une valeur qu'ils placent au-desssus de leur propre sécurité. Les gens sont prêts à donner leur vie. A commencer par les femmes. C’est très impressionnant", confie-t-elle.
Si beaucoup de femmes sont parties se réfugier à l’ouest pour mettre leurs enfants à l'abri, beaucoup d'autres, aussi, sont restées : "Notre vie est ici, nous travaillons ici, nous ne bougeons pas, disent-elles, témoigne Irena Karpa. D'autres restent avec leurs parents très âgés ou parce qu'elle ne veulent pas laisser leur homme mobilisé. Elles pleurent, elles ont peur, mais je n’en connais aucune qui reste sans rien faire."
Celles qui le peuvent se sont engagées dans la résistance armée non militaire, la "défense territoriale civile", répondant à l'appel de la présidence ukrainienne au premier jour de la guerre. Un engagement que résume Ludmilla, députée indépendante au Parlement ukrainien, au micro de nos confrères de France Inter : "Poutine est la seule personne au monde qui peut me faire prendre les armes, car je suis une personne très pacifique et j'ai deux jeunes enfants."
Quant à celles qui ne savent pas manier les armes, elles s'activent en coulisses pour soigner les blessés, soutenir et approvisionner les forces armées ou organiser l'acheminement de l’aide humanitaire.
Fraîchement diplomée en relations internationales, Maria, jeune Kiévienne de 22 ans, s'est engagée dans la défense territoriale civile dès le deuxième jour de la guerre. "J'étais avec une amie dans la rue et autour de nous, c'était la panique. Les gens étaient terrorisés. Nous avons vite compris qu'il fallait faire quelque chose pour aider notre pays à retrouver sa liberté. Depuis, nous patrouillons dans les rues de Kyiv, à deux ou à trois, quatre heures le jour et deux heures la nuit", explique-t-elle au téléphone à Terriennes, alors que la tension est à son comble dans les faubourgs de la capitale.
Equipées d'armes automatiques fabriquées bien avant leur naissance, Maria et sa binôme Tamara tentent de repérer les personnes et les voitures suspectes dans les rues de Kyiv et contrôlent les activités des habitants pour identifier d'éventuels infiltrés. Une mission dangereuse, puisque "lorsque les sirènes retentissent, nous avons pour instruction de nous immobiliser et d'attendre au lieu de nous mettre à l'abri dans les caves ou le métro. Une fois, nous avons rencontré des Russes : ils ne représentaient pas de danger, mais il nous a fallu vérifier. Une autre fois, une bombe a explosé à moins d'un kilomètre de nous."
Quand elle n'est pas en patrouille, Maria s'occupe d'aller chercher les denrées mises à disposition par les magasins et les plats fournis par les restaurants pour alimenter les volontaires. Son message : "Toutes les femmes et les hommes doivent unir leurs efforts, en Ukraine et ailleurs, c'est le seul moyen de mettre fin à la guerre".
Iryna, elle, n'a pas pris les armes, mais elle a décidé de ne pas céder à la panique, de rester dans sa ville avec son mari et ses filles de 2 et 9 ans. Dès l'appel aux volontaires, aux premières heures de la guerre, cette entrepreneuse a rejoint les brigades de soutien à la défense territoriale. "C'est une décision très facile à prendre. A Kharkiv, nous connaissons bien les Russes, nous vivons près d'eux depuis longtemps. Et même si depuis des années, nous vivions en paix avec cette proximité, nous ne voulons pas de leur autorité."
Comme Iryna, de nombreuses femmes ont demandé à rejoindre la défense territoriale. Beaucoup ont été refusées, faute d'expérience du combat. "Elles étaient terriblement déçues", témoigne Iryna qui estime aujourd'hui à 5 % la part des femmes parmi les volontaires armés à Kharkiv.
Iryna s'occupe d'obtenir et de distribuer l'aide humanitaire aux personnes seules ou avec de jeunes enfants, ainsi que le matériel nécessaire aux forces armées régulières aux volontaires de la protection civile territoriale dans une Kharkiv dévastée. "Les attaques aériennes n'ont pas cessé pendant deux jours. Aujourd'hui, le centre de Kharkiv n'existe plus." Iryna a connu la peur à son comble le jour où elle a vu "tout mon appartement baigné des lumières rouges des avions russes. Alors nous nous sommes installés chez mes parents, dans un autre quartier de la ville," explique-t-elle.
"Au sol, nous sommes bien défendus, mais notre faiblesse, c'est le ciel : nous sommes exposés aux attaques aériennes," explique Iryna Minkovska.
Agente de voyage, Oleksandra ne sait pas manier une arme à feu. Elle évalue à 20 % la part des femmes dans les volontaires armés de la défense civile dans la capitale ukrainienne. Les autres femme sont mobilisées 24 heures sur 24, chaque jour, pour approvisionner les combattants en carburant, sang, médicament, vêtements, nourriture, etc., et pour coordonner ces approvisionnements. Chacune se voit attribuer une mission, qui change chaque jour en fonction des besoins. "Aujourd'hui, j'ai donné mon sang et cuisiné pour les forces armées d'Ukraine les produits apportés par les associations. Demain, je vais à l'armurerie chercher des gilets pare-balles et les apporter aux volontaires de la défense civile...", raconte la jeune femme de tout juste trente ans.
"Dans un premier temps, j'ai eu très peur, se souvient-elle, terrifiée d'être réveillée par des explosions en pleine nuit. Et puis au bout de quelques heures, je me suis dit que je n'avais rien à perdre. Il n'y pas d'autre endroit où je suis chez moi. Je ne suis pas désespérée, mais je veux qu'on me redonne ma vie, mon pays, mon appartement, mes amis, ma famille. Si les Russes gagnent, je ne retrouverai jamais ma vie d'avant."
Femme de militaire, la Kiévienne Mariana Jaglo se prépare depuis plusieurs mois à des affrontements avec l'armée russe. Fin janvier 2022, cette employée dans le marketing, inscrite comme réserviste il y a deux ans, se tenait prête avec son sac à dos militaire : uniforme, casque, gilet pare-balle, gants, genouillères... Au micro de l'AFP, elle prévenait froidement : "Nous ne les attendons pas ici, mais nous sommes prêts à leur assurer un accueil dont il se souviendront... Je ne suis pas seule, ajoutait-elle. Nous sommes nombreuses comme ça en Ukraine.... Aucun homme ne fera ce qu'une femme peut faire pour protéger sa famille, son enfant. C'est une force redoutable".
Mère de deux filles adultes et d'un fils de douze ans, elle a dépensé "deux à trois mille dollars" - une petite fortune dans l'un des pays les plus pauvres d'Europe - pour s'acheter un fusil de chasse ukrainien Zbroyar Z-15, et l'équiper pour l'adapter au combat : "Viseur mécanique, viseur optique, supports, silencieux", énumérait fièrement Mariana Jaglo, forte d'une formation de tireur d'élite. Avec d'autres réservistes, cette brune aux cheveux courts grisonnants s'entraîne régulièrement à tirer, patrouiller ou se mettre en embuscade. "Sans la guerre, jamais je n'aurais jamais pensé à ces questions militaires", dit-elle.
L'armée ukrainienne compte environ 35 000 femmes dont plus de 4000 officiers. Près de 14 00 Ukrainiennes combattent déjà depuis 2014 contre les séparatistes prorusses dans l'est du pays depuis le déclenchement de ce conflit armé.
Les femmes ukrainiennes prennent les armes.
La part des femmes dans les soldats ukrainiens était de 17% il y a quelques jours. Le chiffre a pu augmenter.#Ukraine #StandWithUkraine #UkraineWar #GuerreEnUkraine #SWIFT pic.twitter.com/Rn7RcGEFUX— Alexandre Guitakos (@AlexandreGTKS) February 26, 2022
Equiper les volontaires de la protection civile, réunir et redistribuer le matériel, est un véritable tonneau des Danaïdes. Comme Maria, chaque jour, dans chaque arrondissement de Kyiv, entre 500 et 1000 hommes et femmes demandent à s’engager dans la protection civile du territoire. Or ils n’ont rien. Pour les aider, les femmes de la diaspora ukrainienne aussi, s’engagent : "J’ai lancé un appel à mon réseau sur Telegram, insiste Irena Karpa. Et dans mon réseau, il n’y a que des femmes, des femmes très fortes. De la Pologne à l’Irlande, elles se sont mobilisées en deux jours autour d'une plate-forme pour organiser la collecte et l’acheminement de médicaments, lampes, casques, piles, gilets pare-balles, sacs de couchages... Toutes sont prêtes à accueillir les réfugiés chez elles."
A Kyiv, Valeria coordonne l'action des volontaires et, depuis Kyiv où elle travaillait dans une agence de communication, vérifie la véracité des informations qui fusent tous azimuts : "Je fais la guerre de l'information", dit-elle. C'est elle qui a mis Terriennes en contact avec Maria, Iryna et Oleksandra.
D'autres tiennent à exprimer ouvertement leur soutien à la résistance, à commencer par l'ancienne Première ministre d'Ukraine Ioulia Timochenko, qui s'affiche sur Instagram une arme à la main dans les rues de Kyiv.
L'ancienne Première ministre d'#Ukraine Ioulia #Timochenko a posté une photo sur #Instagram où elle pose une arme à la main dans les rues de #Kiev. #StandWithUkraine #GuerreEnUkraine #Ukraineunderattack pic.twitter.com/WTajVIe6v1
— Alexandre Guitakos (@AlexandreGTKS) February 27, 2022
A Kyiv et à Kharkiv, les Sœurs Carmélites ont fait savoir sur les réseaux sociaux qu'elles ne quitteraient par leurs couvents et viendraient en aide au peuple ukrainien.
The Carmelite Sisters of Kharkov and Kiev, staring in the face of war, have decided to remain in their monasteries. Please keep them in your worthy prayers. pic.twitter.com/i3FycyOMXH
— Father V (@father_rmv) February 26, 2022
Bien moins sereine que les religieuses, au premier jour de l'invasion, une dame interpellait un soldat russe avec véhémence, comme un mauvais garnement qui aurait piétiénné ses plates-bandes. Le soldat, lui, n'ose trop rien dire :
Depuis 2015, l’artiste ukrainienne Dariya Marchenko proteste d’une manière aussi éloquente que pacifiste avec un portrait géant du président russe Vladimir Poutine. Intitulé The Face of War, il est réalisé avec 5000 douilles de balles récupérées sur les champs de batailles entre l'armée ukrainienne et les séparatistes pro-russes, dans l'est du pays.
L’artiste ukrainienne Daria Marchenko utilise depuis des années des matériaux issus de la guerre et des conflits. En 2015, elle avait fait scandale en dévoilant un portrait de Vladimir Poutine réalisé avec les 5000 douilles récupérées directement du front de l’Est ukrainien. pic.twitter.com/iDNiZSeWrb
— ismaël Houdassine (@ismaelScribe) February 26, 2022
De part et d'autre de la ligne de front, les artistes affichent leur unité et leur attachement à la fin des hostilités. A Moscou, où les comédiens des théâtres d'Etat ont interdiction de commenter l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les services culturels de la municipalité ont averti : tout commentaire négatif sera considéré comme une trahison. Devant cette injonction, Elena Kovalskaya, directrice du théâtre d'État et du centre culturel Vsevolod Meyerhold de Moscou, a démissionné pour protester contre l'invasion de l'Ukraine. "Il est impossible de travailler pour un meurtrier et de toucher un salaire venant de lui," écrit-elle sur Twitter.
Il faut connaître son nom et son visage. Elena Kovalskaya, la directrice du théâtre d'État et du centre culturel Vsevolod Meyerhold de Moscou, démissionne.
La création est synonyme de liberté. Elena Kovalskaya en est la plus vibrante expression aujourd'hui ! #Ukraine #Moscou pic.twitter.com/NExOIUpmH4— Aurore Bergé (@auroreberge) February 25, 2022
A l'opéra aussi, la résistance s'affiche, comme le dimanche 27 février 2022 au théâtre San Carlo de Naples. A la fin d'une représentation d’Aïda, de Verdi, après avoir salué le public sous les ovations, la soprano ukrainienne Ludmila Monastirska et la mezzo soprano russe Ekaterina Gubanova se sont enlacées, exprimant les liens étroits qui unissent la majorité des Russes et des Ukrainiens.
En 2016, Jamala remportait le concours de l’Eurovision pour l'Ukraine avec "1944", une chanson sur la déportation des Tatars de Crimée. Aujourd'hui, elle appelle au soutien de l’Ukraine sur les réseaux sociaux et partage son aversion pour l'invasion russe avec Sergei Lazarev, son cofinaliste en 2016 et défenseur de la cause gay en Russie. Tous deux exhortent au retour à la paix et aux négociations. Entre-temps, Jamala s’est réfugiée en Roumanie avec ses deux jeunes enfants.
La chanteuse ukrainienne Jamala, qui a remporté l’Eurovision 2016, dans sa Story Instagram : « Cher·es ami·es de l’étranger, Poutine et l’armée russe ont commencé à [envahir] complètement l’Ukraine. S’il vous plaît, soutenez l’Ukraine autant que vous le pouvez ». pic.twitter.com/hW0p3w9dQB
— Fabien Randanne (@fabrandanne) February 24, 2022
La rappeuse ukrainienne Alyona Alyona, elle aussi, appelle tous ses fans hors d’Ukraine à faire pression sur leurs gouvernements pour soutenir son pays, attaqué par la Russie.
En 2021, Iryna Galay était la première Ukrainienne à vaincre le sommet de l’Everest. Aujourd'hui, elle publie une photo d'elle en tenue de combat sur Instagram, avec une video de huit de minutes appellant à défendre la souveraineté de l’Ukraine contre la dictature.
Elles sont nombreuses, explique Irena Karpa, ces blogueuses, youtubeuses ou instagrameuses suivies par des centaines de milliers, voire des millions d’abonnés, "des filles que l’on prenait pour des "minettes" superficielles et qui ont radicalement changé de ton depuis le 24 février pour afficher leur attachement à la résistance dans un incroyable mouvement de solidarité."
Sur son compte Instagram, Anastasiia Lenna, Miss Ukraine 2015, publie des photos d’elle armée. Certes, la photo a été postée avant l’invasion par les forces russes et l’arme qu’elle tient est factice, mais le contraste avec les photos glamour qu’elle diffusait voici encore quelques jours est éloquent. "C’est la posture qui compte et l’image symbolique qu'elle communique", confirme Irena Karpa.
Les influenceuses ukrainiennes mobilisent aussi leurs consoeurs russes pour les appeler à dire la vérité des combats dans leur pays. Celles qui sont installées à l’étranger n'ont pas hésité à s'adresser à leur public, qui compte parfois plusieurs millions d'abonnées. "Celles-là ne risquent rien et il est important que des Russes aussi s’expriment contre la propagande. Car contre la volonté de tout un peuple, Poutine lui-même ne peut rien", assure Irena Karpa.
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