Education, prise de parole, accès aux postes de pouvoir... Chacune à leur façon, elles luttent depuis leur adolescence pour les droits des enfants et en particulier des filles en Guinée (Afrique de l’Ouest). Rencontre avec ces deux activistes, Hadja 18 ans et Rabiatou 25 ans, toutes deux nommées ambassadrices de l’ONG Plan International à l’occasion de la Journée internationale des filles.
«
58 millions d’enfants en âge d’aller à l’école primaire ne prennent pas le chemin des classes. Des enfants sont exposés à des degrés effrayants de maltraitance – physique, sexuelle et émotionnelle », selon
l’Unicef, Fonds des nations unies pour l’enfance.
Conscientes de toutes ces problématiques dans le monde et dans leur pays, Hadja 18 ans* et Rabiatou 25* ans, se sont engagées très tôt dans la lutte pour les droits des enfants en Guinée.
Toutes deux se sont retrouvées à Paris, le 11 octobre 2017 à l’occasion de la 6
ème édition de
la journée internationale des filles après avoir été repérées pour leur activisme par
Plan International, une ONG qui agit en faveur «
de millions de filles victimes de discrimination dans le monde ». L’organisation humanitaire les a nommées ambassadrices en ce jour mondial de mobilisation pour prendre la parole et «
pour que toutes les petites filles aient le droit de devenir demain des femmes libres et accomplies ».
Hadja, présidente du Parlement des enfants de Guinée
A 18 ans, Hadja, aux allures et au discours de grande femme politique, est capable de dresser un état des lieux de la situation des enfants et en particuliers des fillettes et des jeunes filles dans son pays.
Il faut dire qu’elle a investi les institutions très tôt. Dès l’âge de 13 ans, elle a intégré le Parlement des enfants de Guinée (PEG), dont elle est désormais présidente. «
Une institution renommée» précise-t-elle, «
qui est sous la tutelle du Ministère de l’Action sociale, de la Promotion féminine et de l’Enfance et qui travaille avec Plan International ».
Il y a chez elle beaucoup de la regrettée Fatima Ahmed Ibrahim. Cette femme politique soudanaise féministe, musulmane, leader communiste et une des pionnières dans la lutte pour les droits des femmes. Nul doute qu'elle tracera une voie aussi brillante sinon plus.
L’idée de s’engager à l’adolescence lui vient lorsque son père lui raconte « son enfance. » «
Il était orphelin, un enfant des rue, confie-t-elle.
Je me suis dit que j’aimerais défendre les droits des autres enfants qui ont vécu comme lui, ou qui mendient dans les rues et qui sont déscolarisés. »
Je vais vraiment défendre la population guinéenne avec une ouverture de cœur.Hadja, militante pour les droits des filles
Dans ce combat elle est activement soutenue par ses parents, son école et sa commune. Ce soutien, couplé à sa créativité et son talent, lui vaudra d'être sélectionnée au Parlement des Enfants de Guinée. Il ne s'agit pas de la seule organisation qui lutte en faveur des petits. D’autres existent sur le territoire comme le Conseil Consultatif des Enfants et Jeunes de Guinée pour la lutte contre les violences faites aux enfants, le Mouvement des Enfants et Jeunes Travailleurs de Guinée, les gouvernements scolaires, et les clubs d’école et de quartiers.
Un pays « à la fois riche et pauvre »
En plus des ses fonctions au PEG, Hadja vient de créer une association
Le Club des jeunes filles leaders, qu’elle préside également. Elle veut à tout prix agir pour son pays qu’elle sait «
à la fois très riche et pauvre ».
La Guinée, par sa situation géographique, ouverte sur l’océan Atlantique, irriguée par ses immenses fleuves et grâce à ses minerais qui lui vaut le surnom de « château d’eau » dispose en effet de ressources naturelles considérables. Y regorge une abondance de « bauxite » (roche qui sert à produire l’aluminium) auquel il faut ajouter des richesses en or, en diamant et pétrole. Toutes faiblement exploitées.
De quoi créer un véritable contraste avec la paupérisation des populations dans ce pays d'Afrique de l'Ouest.
Selon une étude de l'UNICEF de 2014, la pauvreté ne cesse d’augmenter passant de 53 % en 2007 à 55, 2 % en 2012.
Une majorité écrasante d'enfants guinéens ont une activité professionnelle, alors qu’ils n’ont pas atteint encore l’âge minimum d’embauche. En outre, ils sont exposés à des risques liés à la prostitution, la discrimination, et la maltraitance.
Cette pauvreté entraîne des conséquences dramatiques en particulier pour les filles. «
Elles sont placées au second plan, déplore Hadja.
Et la société ne cherche pas à comprendre que leur place est à l’école et non dans un foyer ou dans la rue exploitées parfois comme source de revenus. »
Prise de pouvoirs des filles
Or, elle croit en l'autonomisation des filles et son objectif est de montrer qu'elles sont « capables » de prendre le pouvoir. Comme ces innombrables «
femmes influentes dans l’Histoire notamment en Afrique ». «
Ce sont elles, parfois enceintes ou avec un enfant porté sur le dos, qui se sont levées pour réclamer l’indépendance », assène-t-elle fièrement.
Déterminée, pugnace, elle sait déjà ce qu'elle fera les 20 prochaines années. Elle deviendra professeure de mathématiques au collège et au lycée. «
Parce que depuis la maternelle jusqu’à la Terminale, je n'ai eu que des professeurs homme. J
e veux montrer qu’une femme peut enseigner », explique la jeune fille qui a lu de nombreuses biographies de personnes illustres à travers le monde, et qui a remarqué que «
toutes ces grandes personnalités ont enseigné une partie de leur vie. »
Elle veut donc les imiter avant de s’engager dans la vie publique. «
Pour apporter un changement,
il faut que je m'engage en politique, affirme-t-elle, sûre de son destin.
Je vais vraiment défendre la population guinéenne avec une ouverture de cœur et là, je dirai tout ce que je ressens pour mon pays. Et ensemble, avec la population, nous allons apporter un changement. »
Rabiatou, journaliste et activiste guinéenne
Rabiatou, elle, est un peu plus âgée. A 25 ans, elle est à la fois journaliste et blogueuse et a également débuté son activisme très tôt.
«
J’ai commencé par être animatrice du magazine Tous les enfants de Guinée, qui donne la parole aux enfants, confie, la jeune guinéenne.
Le droit de participation des enfants est important. Quand les enfants parlent eux-mêmes de leurs droits, il y a beaucoup plus d’impact. Ils sont plus écoutés par leurs parents et par les autorités, ce qui peut entraîner des choses positives. »
Quand le magazine a fermé en février, elle a poursuivi ses actions en créant un blog et
une page Facebook Raby et les enfants. Elle est également contributrice sur le site
La Voix des Jeunes.En Guinée, ce sont les droits des filles qui sont les plus violés.
Rabiatou, militante des droits des filles
Education : inégalités entre filles et garçons
«
Je me bats de façon générale pour tous les enfants, garçons et filles, poursuit-elle
mais en Guinée, ce sont les droits des filles qui sont les plus violés. Les filles n’ont même pas le droit à l’éducation, même pour celles qui vont à l’école le maintien continu pose problème. Ce qui les empêchent de s’épanouir et d’être les jeunes femmes qu’elles doivent être dans la société. »
Consciente de la chance qu’elle a eue en allant à l’école, elle lutte pour que les filles de son pays bénéficient des même droits à l'éducation.
Le taux net de scolarisation (TNS) dans le primaire est passé de 57% en 2002 à 62% en 2008, et notamment de 52% à 57% pour les filles, selon
une étude publiée en 2011 par le Ministère de l’Economie et des Finances de Guinée.
Toutefois, il existe des disparités importantes entre les régions et milieux de résidence, «
avec un déséquilibre frappant entre le taux net de scolarisation en milieu urbain (81%) et celui en milieu rural (48,5%) ». «
Cette même enquête révèle par ailleurs que 60% des garçons étaient ou avaient été scolarisés dans le primaire, contre 54,1% des filles ».
Quant à la part du budget national consacré à l’Eduaction, il a sensiblement diminué depuis 2003, passant de 9,6 % à 5,7 % en 2006. Mais «
depuis 2007,
le Gouvernement déploie de gros efforts ; ce qui a permis d’atteindre le taux de 11,3% en 2009 », toujours selon cette étude.
L’excision et le mariage précoce
Toutes les deux parlent d’une seule voix sur les questions d’excision et de mariages précoces. «
Les droits des filles ne sont pas respectés, explique Hadja.
Aujourd’hui, tu peux voir une ado, une petite filles de 4 ou 5 ans, mutilées, et certaines meurent après une mutilation génitale mais il y a toujours une impunité. »
D’après
une infographie réalisée par RFI en février 2017, la Guinée fait en effet partie des pays avec le taux de prévalence le plus haut de cette pratique, qui s’élève à 97 %, juste derrière la Somalie (98%).
22,8% de filles sont déjà en union avant même d’atteindre l’âge de 15 ans.Sanaba Kaba, ministre guinéenne en charge de l'Enfance
Autre fléau : le mariage précoce. «
Je viens d’une communauté où les filles sont données à marier très tôt, avant l’âge de 18 ans », dénonce Rabiatou. En effet, «
22,8% de filles sont déjà en union avant même d’atteindre l’âge de 15 ans »,
déclarait le 16 juin 2017, Sanaba Kaba, ministre des Affaires Sociales, de la promotion féminine et de l’Enfance à l’occasion de la journée de l’Enfant africain. Ce jour-là, elle annonçait plusieurs mesures, visant à enrayer le phénomène notamment «
la réalisation d’une étude socio anthropologique sur le mariage des enfants, l’élaboration d’un plan quinquennal de lutte contre le mariage des enfants, et la révision de la loi portant code de l’enfant. »
Un programme planifié sur dix ans, en attendant, Rabiatou tient à faire passer un message : «
Aujourd’hui, il faut que tout le monde se pose la question de savoir, qu’est-ce que, moi, je fais concrètement pour les droits des filles ? »
*pour des raisons de sécurité, les noms de famille n'ont pas été communiqués Suivez Lynda Zerouk sur Twitter
@lylyzerouk