Fil d'Ariane
En examinant une correspondance entre George Sand et Dumas fils, Claude Schopp est surpris par une coquille dans la transcription datant de juin 1871.
Dumas fils écrit : "On ne peint pas de son pinceau le plus délicat et le plus sonore l'interview de Mlle Queniault (sic) de l'Opéra". "Interview? ça ne voulait rien dire", explique le chercheur à un journaliste de l'AFP. Ce n'est pas "interview" qu'il fallait lire mais "intérieur".
Le chercheur s'en ouvre à Sylvie Aubenas, directrice du département des estampes et de la photographie de la BnF. "Ce témoignage d'époque découvert par Claude me fait dire que nous avons la certitude à 99% que le modèle de Courbet était bien Constance Quéniaux", confirme la directrice à l'AFP.
Bon.
Mais qui était Constance Quéniaux ?
Il nous reste très peu de choses de cette femme.
Ses beaux yeux noirs et sa danse élégante et correcte.
Théophile Gautier
Née vers 1831, Constance commence sa carrière dans le corps de ballet de l'Opéra à 16 ans, en 1847. Théophile Gautier la remarque. "Ses beaux yeux noirs et sa danse élégante et correcte" écrit-il, admiratif.
On la retrouve dans un article de L'abeille impériale, "revue du grand monde des modes et de l'industrie". Constance Quéniaux "distinguée et gracieuse" y fait ses débuts en janvier 1854.
Sa beauté et son talent soulèvent des enthousiasmes, peut-être aussi des passions puisqu'un pastel représentant l'artiste est exposé au Grand Palais en 1867. Il est précisé "Constance Quéniaux, de l'Académie impériale de musique".
Dans quelles circonstances rencontre t-elle Gustave Courbet ?
Certainement par l'intermédiaire de Khalil-Bey (1831-1879), ce diplomate turc d'origine égyptienne, célèbre dans Tout-Paris pour sa collection de peintures qu'il expose dans son hôtel particulier du boulevard des Italiens.
Parmi les oeuvres qu'il possède, Le Bain turc d'Ingres mais aussi Le Sommeil du même Gustave Courbet. Ce dernier tableau représente deux femmes nues qui se reposent dans un même lit. Cette oeuvre, réalisée en 1866, déclenche déjà un formidable scandale.
Gustave Courbet est alors considéré comme "un pornographe".
Sa "Vénus et Psyché" n'a-t-elle pas été condamnée pour "indécence" ?
Un critique a même griffonné ces mots assassins : " En recherchant le hideux dans la réalité, Monsieur Courbet est parvenu à révolter le sens général".
Mais c'est précisément le scandale qui a piqué la curiosité de Khalil-Bey.
Au mois de juillet 1866, le diplomate se rend à l'atelier du peintre situé au 32 rue de Hautefeuille.
Et il lui passe commande.
A cette date, Constance Quéniaux a 34 ans. Elle ne danse plus depuis 1859 et elle est devenue l'une des maîtresses de Khalil-Bey, un homme que la presse décrit comme « lymphatique et voluptueux, sensuel et polygame, pittoresque et mystérieux ».
L'origine du monde sera longtemps caché derrière un voile vert dans la salle de bain.
Dès lors, en reconstituant le puzzle, tout semble concorder. Le sexe de Constance Quéniaux pourrait parfaitement être celui de L'origine du Monde.
Le secret du modèle aura traversé les époques... jusqu'à la coquille de Dumas fils et sa découverte par Claude Schopp, qui sort un livre début octobre.
Constance Quéniaux ne fit jamais la moindre publicité sur ces séances de pose particulières. Son élégance et ses toilettes continuèrent de charmer longtemps les journalistes.
Elle avait de la race (...) Une vraie femme du monde et du meilleur.
Extrait article Le Gaulois
Dans Le Gaulois du 5 août 1878, on peut lire : "Mlle Quéniaux, artiste de la danse, très élégante, très jolie, d'un goût exquis dans sa toilette, parisienne des pieds à la tête (...) D'où sortait-elle, avant de sortir du troisième dessous ? Je l'ignore, mais elle avait
de la race. Elle a dû hériter de quelque grosse fortune patrimoniale. Une vraie femme du monde - et du meilleur."
Fin de l'histoire ?
Non. Il reste un ultime rebondissement.
Savoureux.
Constance Quéniaux décède en 1908. Dans le catalogue de l'Hôtel Drouot où doit avoir lieu la vente de ses biens, le 11 juin 1908, les amateurs peuvent trouver des tapisseries, des bronzes et autres gravures mais aussi un tableau de Gustave Courbet intitulé sobrement "Fleurs". Il s'agit d'iris, de tulipes et de primevères. Etait-ce un cadeau de l'artiste... et un clin d'oeil ?
Dans cette savante composition florale, en son centre, figure une fleur avec une profonde corolle rouge épanouie et ouverte, tel un sexe de femme offert au regard des spectateurs...
Un ultime hommage du peintre ?