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Le bracelet anti-rapprochement, destiné à tenir éloignés les conjoints et les ex violents, est entré en vigueur en 2020 en France. Une mesure portée, entre autres, par une juge féministe et engagée. Portrait de Gwenola Joly-Coz, la haute magistrate qui fait avancer la cause des femmes.
Gwenola Joly-Coz préfère le qualificatif d'"engagée" à celui de "militante". Figure féministe de la magistrature, la première présidente de la cour d'appel de Poitiers, ancienne présidente du tribunal de Pontoise, est pourtant de toutes les luttes.
Plus connue du grand public pour son action contre les violences faites aux femmes, Gwenola Joly-Coz a fait en sorte que la magistrature se dote d’une boite à outils intellectuels pour comprendre les violences faites aux femmes et protéger les victimes. Cette juge opiniâtre et volubile a notamment initié la mise en oeuvre du bracelet électronique pour les hommes violents, qu'elle réclamait depuis des années, entré en vigueur le 25 septembre 2020 en France.
En avril 2019, démarche inhabituelle, Gwenola Joly-Coz prenait publiquement la parole avec le procureur de la République de Pontoise, Eric Corbaux, pour réclamer au gouvernement un "changement de réponse" face aux meurtres de femmes que la France "n'arrive pas à enrayer". Tous deux plaidaient depuis des mois, sans succès, pour expérimenter ce bracelet anti-rapprochement, après qu'il avait fait ses preuves ailleurs, notamment en Espagne.
"Nous savons que l'étape la plus dangereuse pour les femmes dans une relation avec un homme violent, c'est quand elles décident de partir, lorsqu'elles l'annoncent, expliquait Gwenola Joly-Coz lors d'une rencontre avec nos confrères du Point, fin 2019. La séparation est un moment refusé par le conjoint violent." C'est pour accompagner les femmes dans ce moment où elles ont le plus besoin d'attention qu'elle s'est battue pour faire accepter le bracelet anti-rapprochement.
En septembre 2019, le bracelet anti-rapprochement, enfin, est une promesse du Grenelle des violences conjugales. Un an plus tard, le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti se déplace dans son tribunal pour lancer le dispositif.
Violences conjugales: Eric Dupond-Moretti lance le "bracelet anti-rapprochement" #AFP pic.twitter.com/epKTwdLDOi
— Agence France-Presse (@afpfr) September 24, 2020
"Notre parole a eu un poids", disait sobrement Gwenola Joly-Coz, "heureuse" mais aussi "un peu triste de ne pouvoir mener cette expérimentation", puisqu'elle était alors sur le départ. Le 30 septebmre 2020, elle quittait le Val-d'Oise pour s'asseoir dans le fauteuil de première présidente de la Cour d'appel de Poitiers. Parmi les 24 candidats à ce poste prestigieux, 20 hommes, quatre femmes. "Etre nommée à seulement 52 ans, alors que tout le monde connaît mes engagements, c'est inhabituel", disait celle qui a conscience d'irriter. Pour le procureur de la République de Pontoise, Eric Corbaux, elle reste "une figure, une voix qui compte".
L'origine de l'engagement féministe de Gwenola Joly-Coz n'est pas idéologique, mais empirique, explique-t-elle. Juge d'instruction à seulement 24 ans, elle exerce d'abord à Nantes, puis à Cayenne, en Guyane, où elle assiste à "beaucoup d'horreurs : des viols, des meurtres, des incestes... Dossier après dossier, j'ai compris qu'il ne s'agissait pas de cas isolés mais d'un phénomène social", analyse-t-elle. Nommée ensuite juge aux affaires familiales, elle complète ses observations en "divorçant des milliers de couples".
Dossier après dossier, j'ai compris qu'il ne s'agissait pas de cas isolés mais d'un phénomène social.
Gwenola Joly-Coz
Elle insiste aussi sur la nécessaire conscientisation des violences subies par les enfants, victimes ou témoins de violences familiales : "Il faut prendre toute la mesure des violences faites aux enfants, insiste-t-elle : J'ai eu plusieurs cas de petits garçons ou de petites filles qui ont vu leur papa tuer leur maman, dans la cuisine, devant eux. Ce sont des traumatismes à vie," expliquait-elle lors d'une rencontre avec nos confrères du Point, fin 2019.
Elle retient également l'adoption du terme féminicide comme un pas important vers la conscientisation de ces meurtres de femmes parce qu'elles sont des femmes. Il est important, à son sens, de mettre des mots sur un phénomène pour pouvoir le combattre : "Le mot féminicide a cet intérêt qu'il aborde la question du côté des femmes : ce sont des femmes qui sont tuées et pas des hommes," explique-t-elle au Point.
Fille d'un commissaire de police, Gwenola Joly-Coz a le service public chevillé au corps. Son obsession, "une justice moderne, ancrée dans la société". "La magistrature est en train de changer", affirme celle qui a piloté le programme de formation continue sur les violences faites aux femmes au sein de l'Ecole nationale de la magistrature (ENM).
Dans son parcours, son passage à l'Inspection générale de la magistrature, où elle scrute son propre corps, très féminisé, sauf aux postes hiérarchiques, sera pour elle déterminant. Révoltée par l'"invisibilisation" des femmes dans sa profession, elle enquête pour exhumer l'histoire d'une inconnue, Charlotte Béquignon-Lagarde, première femme devenue magistrate en France, en 1946. Grâce à elle, et elle en est "très fière", la grande salle du nouveau Palais de justice de Paris porte son nom.
Pour promouvoir l'ascension de ses consœurs, elle a fondé en 2014 l'association Femmes de justice, avant de devenir directrice de cabinet de Pascale Boistard, secrétaire d'Etat aux Droits des femmes dans le gouvernement de Manuel Valls. Cette dernière se souvient d'une fonctionnaire "droite, curieuse, humaine et très facile d'accès". Ensemble, elles ont notamment lancé la première campagne contre le harcèlement dans les transports.
Mère de trois filles, "féministes, elles sont à bonne école", dit-elle, elle poursuit ses recherches sur les pionnières de la magistrature, auxquelles elle a consacré le livre Femmes de justice, paru en mars 2023. "Je travaille beaucoup trop, c'est un problème", sourit-elle.
Femmes de justice, paru en 2023 chez Enrick B Editions.
Avec ce livre, Gwenola Joly-Coz publie un travail historique inédit pour retrouver les juges pionnières et en dresser les portraits. Car les ignorer serait nier la révolution engendrée par la loi de 1946, permettant à "l’un et l’autre sexe" de rendre la justice. Pour les rendre visibles, elle rappelle la chronologie et fait découvrir les visages de celles qui ont changé la justice.
En novembre 2023, elle publie l’ouvrage Elle l’a bien cherché, la justice contre les violences faites aux femmes, dans lequel elle retrace les évolutions majeures de la justice française concernant les violences faites aux femmes, notamment dues à des mouvements sociaux.
La biographie de Gwenola Joly-Coz, cette figure emblématique de la lutte contre les violences faites aux femmes, paraît en novembre 2024, signée Frédéric Chauvaud. "Longtemps, la magistrature fut une 'citadelle masculine inexpugnable'" écrit la célèbre historienne, Michelle Perrot dans la préface. Rendre la Justice, dire le Droit, fondement du pouvoir, était nécessairement virils. Il fallut une loi promulguée le 11 avril 1946 pour autoriser les femmes à devenir magistrates. Depuis lors l'institution judiciaire a connu nombre de transformations, et Gwenola Joly-Coz y a joué un rôle majeur."
Les éditions Memoring publient une biographie de Gwenola Joly-Coz signé Frédéric Chauvaud et préfacé par Micelle Perrot.
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