La chanteuse Haja El Hamdaouia vient de s'éteindre à l'âge 91 ans. Véritable icône populaire, cette star du chaâbi marocain a marqué et bercé plusieurs générations. Aujourd'hui encore, ses célèbres refrains sont repris par de multiples artistes. En 2020, malade, elle léguait son répertoire à la jeune chanteuse marocaine Xena Aouita.
Une voix reconnaissable entre toutes, un chant au rythme à la fois langoureux et entrainant, Haja El Hamdaouia restera à jamais l'une des icônes de la chanson populaire marocaine.
Il est temps pour moi de me retirer. Je ne veux pas qu'on me voie tomber sur scène avec mon bendir, je tiens à ma dignité.
Haja Hamdaoui, août 2020
En 2020, souffrant d'un cancer, elle se retire de la scène artistique.
"Je suis fatiguée, je n’en peux plus", lance alors la diva de l'Aïta lors d'une conférence de presse.
"J'ai suffisamment donné à la scène musicale marocaine. Il est temps pour moi de me retirer. Je ne veux pas qu'on me voie tomber sur scène avec mon bendir, je tiens à ma dignité", explique-t-elle.
Mettant ainsi fin à une longue carrière de 70 ans, elle décide de céder les droits de son riche répertoire gracieusement à la chanteuse Xena Aouita, fille de l'athlète marocain Saïd Aouita.
"Mon patrimoine est ainsi entre les bonnes mains d’une jeune qui a à peine 20 ans et qui m’aime depuis son très jeune âge. J’ai donc décidé de lui offrir mes chansons. Elle peut d’ailleurs interpréter mes chansons en anglais ou toute autre langue... Xena est comme ma fille, je la connais depuis qu'elle est toute petite, et je lui disais que j'allais lui donner mes chansons une fois qu'elle serait grande. J'ai tenu ma promesse", tient à préciser Haja El Hamdaouia devant les journalistes.
La diva de l'Aïta, le blues à l'origine féminin
Née à Casablanca en 1930, Haja El Hamdaouia modernise la musique chaâbi. Avant-gardiste et féministe, elle sera l’une des premières Marocaines à jouer au théâtre dans ce pays. Et c'est grâce à son père mélomane qu'elle découvre la musique, un père qu'elle devra cependant défier pour pouvoir en faire son métier.
Ses débuts et ses premiers succès remontent aux années 1950, à l’époque où le chant de la "Aïta Marsaouiya ", sorte de blues des plaines côtières dans la région de Casablanca était surtout réservé aux femmes. "Un chant associé au divertissement et jugé parfois amoral, parce qu'évoquant l’érotisme et la sexualité", précise le site d'
El Watan. "Il est peut-être utile de rappeler qu’à l’origine, l’
aïta est un appel de ralliement, qu’il est en rapport avec les pleurs et les joies, et reflète une poésie digne de ce nom, un écho des joies et soucis du quotidien et du mektoub (destin) des êtres humains et de la mémoire collective du peuple", ajoute le quotidien algérien.
[Haja Hamdaouia est toujours sur ma playlist marocaine préférée, juste triste de voir cette icône culturelle partir... Une pierre angulaire du patrimoine musical post colonial marocain.]
En 1959, c'est elle qui a eu pour la première fois l’idée de chanter devant un véritable orchestre, mêlant des instruments comme le saxophone, l'orgue, la guitare, la batterie et le violon. Grâce à des paroles percutantes, la chanteuse exprime sa féminité et parle de sexe et d’amour ouvertement.
Daba Yji,
Jiti majiti,
Dada ou hiyani, ou encore
Hna mada bina sont ses titres les plus célèbres. Avec ses compositions, elle fera ensuite la renommée du prestigieux cabaret, le Coq d'Or, dans le quartier de Mâarif à Casablanca, aux côtés de Salim Hilali, surnommé "le Bécaud arabe".
Au fil des années, cette spécialiste du marsaoui, en référence à
marsa (port), s'impose sur la scène marocaine grâce à ses interprétations. Elle est la première femme à moderniser le chaâbi, une révolution alors que la télévision marocaine couvre ses débuts et participera à ce succès national.
Au cours des années 1980, la chanteuse passe de mode et tombe quelque peu dans l'oubli au point de se retrouver à vivre dans une modeste chambre de bonne à Paris. La lumière reviendra sur elle dans les années 2000, grâce aux festivals qui vont la remettre en scène. En 2017, pour sa 11ème édition, le festival international du Raï d’Oujda la met à l’honneur. Elle y interprète les chansons cultes de son répertoire. L'année suivante, elle partage la scène de la 15ème édition du festival des Andalousies Atlantiques d’Essaouira avec Raymonde El Bidaouia, une autre icône de la chanson marocaine.
Une combattante anti-coloniale
Haja El Hamdaouia est aussi une femme d'action sur la scène politique. Durant la colonisation, elle s’implique dans la résistance à l’occupation française. La légende raconte qu'elle traversait les villes, des armes cachées sous ses caftans. Elle passera d'ailleurs quelques jours en prison après avoir interprété une chanson politique contre les Français. Ce geste "spontané", comme elle le qualifiait elle-même, la force à vivre clandestinement dans son propre pays, avant de s'exiler en France, ce qui lui permettra également de devenir populaire auprès de la diaspora algérienne.
A l'annonce de sa disparition, nombreux.ses sont les internautes venu.e.s exprimer leur tristesse sur les réseaux sociaux, tenant à saluer le parcours de cette chanteuse unique, mais qui était aussi une femme engagée.
[La légende de la musique marocaine Aita est décédée aujourd'hui à 91 ans. El Haja El Hamdaouia était une diva de tous les temps et sa musique et sa personnalité artistique ont touché plusieurs générations. Véritable patriote, elle était personnellement engagée pour l'indépendance du Maroc. Reposez en paix Lalla.]
Le Roi du Maroc Mohammed VI a fait part de ses condoléances à la famille de l'artiste, rendant hommage à cette
"pionnière, celle qui a consacré sa vie au service de ce genre musical populaire ancestral qu’elle a consolidé au fil des décennies en tant que composante du patrimoine culturel national grâce à son excellente performance".
"Elle avait réussi cette synthèse dans le temps, l’espace et à travers les générations. Comme tous ses aficionados, je suis triste qu’elle nous ait quittés. Je pense à elle avec joie, plaisir, gourmandise, fierté parce qu’elle incarnait ce Maroc à la fois du talent, et pour elle je peux le dire, d’audace aussi, car elle n’a jamais été frileuse, à la fois dans le texte et sur la scène", a commenté André Azoulay, le conseiller du Roi, et président-fondateur de l’Association Essaouira-Mogador, organisatrice du festival des Andalousies Atlantiques d’Essaouira sur le site
bladi.net.
Avec une centaine de titres à son actif, Haja El Hamdaouia demeure la chanteuse de "marsaoui" la plus prolifique et sans aucun doute la plus célèbre ambassadrice de ce genre musical populaire au Maghreb, "et bien sûr en Algérie", comme tient à le souligner
El Watan. Celle qui se disait "émue" de voir des jeunes "chanter ses chansons", estimait que cela lui donnait l’impression d’avoir "réalisé quelque chose dans sa vie".
"Je t'aime Haja, repose en paix ", écrit
Xena Aouita, son héritière artistique désignée, sur son compte Instagram, en publiant sous forme d'adieux une courte vidéo. On les voit toutes les deux en voiture, dans un moment de joie et de complicité, comme une transmission de génération et d'amitié.
En 2016, Haja El Hamdaouia partageait ses souvenirs chez elle dans son intimité sur le site 360°. Retrouvez la vidéo ici >