Halimata Fofana, ou la résilience d'une écorchée vive

Avec ses origines au Sénégal, son éducation en France, ses premiers pas professionnels au Canada, Halimata Fofana est un condensé de francophonie à elle seule. Avec ses heures et ses malheurs, dont cette énergique et talentueuse jeune femme a fait fi grâce à l'écriture. Et à la colère. Halimata Fofana est et n'est pas Mariama, l'écorchée vive de son premier roman. Rencontre
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Halimata Fofana
Halimata Fofana devant TV5MONDE après l'entretien qu'elle a accordé à Terriennes
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Il lui a fallu de la rage pour se hisser au dessus de la mêlée. De l'obstination aussi. Halimata Fofana n'était pas née sous une bonne étoile. Vilaine petite canette d'une nombreuse fratrie, à peine née et déjà rebelle, dans une famille franco-sénégalaise où les filles étaient élevées dans la tradition. Les coups pleuvaient sur cette insoumise envoyée à l'âge de cinq ans au pays pour y être excisée. Le salut sera venu par l'école, l'exil au Canada, et l'écriture. 

Au Canada où elle vivait, où elle travaillait dans les services culturels d'une grande ambassade, Halimata s'est inventée un double de fiction, Mariama, par la voix de laquelle elle confessait ses douleurs, ses peurs, ses réussites aussi. Une voix qui lui permettait d'écrire à voix haute, ce qu'en société, il vaut mieux souvent taire. La rage de vivre permet à Mariama, dans le roman, de poursuivre ses études (littérature et arts du spectacle) - Halimata explique, elle, que c'est l'école qui lui a ouvert tant de possibilités. Apprendre, le chemin peut-être pas le plus sûr, mais indispensable pour s'émanciper.
 

Femme et noire, pour la vie

Lorsque Mariama entend un professeur lui dire au collège : "tu pars avec deux 'défauts', tu es femme et noire", l'adolescente réagit comme si elle avait reçu un électrochoc (la phrase a effectivement été prononcée par un enseignant à l'adresse d'Halimata). L'école, le collège, le lycée, l'université, lui offrent d'autres mondes, hors de la famille où elle étouffe, où on veut la contraindre à emprunter les chemins qui feront de Mariama une femme exemplaire : mariée, mère de famille, gardienne des traditions. Parmi lesquelles, l'excision.

 
Livre Halimata Fofana
Editions Karthala, 168 pages, 15 €

Le récit est articulé autour de ce moment fondateur insupportable, l'ablation du clitoris, à l'occasion d'un voyage au Sénégal, alors que la petite Mariama n'a que cinq ans. Un "viol", dit Mariama, sous la plume d'Halimata, elle aussi victime de cette tradition qui résiste à toutes les tentatives pour l'éradiquer. Un acte physique, mais aussi une amputation de soi-même qui peut conduire au désespoir lorsque le corps ne répond plus, lorsque l'intimité est ainsi anéantie. La lecture est éprouvante, la réalité l'est bien plus.

Sans tabou, Marima, dans le récit, évoque la tentative - vaine - de réparer les organes génitaux par la chirurgie. Puis la psychologie. Un combat au quotidien contre l'entourage qui refuse de comprendre.  Halimata Fofana raconte une mère enfermée dans la brutalité, des soeurs refusantes, des humiliations et des coups récurrents. Avec des accents de choses vécues. La romancière a fait de la lutte contre les mutilations sexuelles féminines, le socle de son combat de citoyenne menée à coups de conférences (comme ce 13 octobre 2016 à Paris - Excision : femmes traumatismes et force de vie, en compagnie de l’avocate Linda Weil Curiel, et de la psychiatre Catherine Bensaïd) pour sensibiliser mères et filles, et les conduire à y renoncer. Parce que le premier pas pour en finir avec l'excision, l'infibulation et autres incisions ou scarifications initiatiques, c'est d'en parler, insiste Halimata Fofana, dans l'entretien qu'elle nous a accordé (voire vidéo ci-dessous). De mettre les mots sur les maux. "Les mots pour le dire" écrivait marie Cardinal, une autre romancière, dans un autre temps.

Ces mots écrits et dits ont amorcer la cicatrisation des plaies à vif des écorchées Mariama/Halimata, un chemin que d'autres filles/femmes peuvent emprunter pour se réconcilier avec elle-même et avancer. Ils auront aussi permis à Halimata Fofana de pardonner aux siens et d'entendre sa mère lui confier "qu'elle regrettait tant".
Pour la jeune autrice, l'écriture aura été le moyen de la résilience, parce qu'elle aura su s'en emparer, se l'approprier. Contrairement à l'une des héroïnes de Divines de Houda Benyamina, film que Halimata Fofana a beaucoup aimé, par ses résonnances avec sa propre histooire, qui pressent que la danse pourrait être une porte de sortie mais qui ne l'ouvre pas...

Mariama est déchirée entre plusieurs mondes... Il lui faut sortir sa colère pour se dépasser.
Halimata Fofana

Dans l'entretien qu'elle nous a accordée, Halimata Fofana revient sur la difficulté à se construire, écartelée entre plusieurs cultures, sur la douleur indélébile de l'excision, sur l'importance de l'éducation, ou de la littérature et de l'art. Elle décortique les atouts différents de la réussite en France, au Sénégal et au Canada. Sur les écueils et les freins ici ou là-bas. Et conclut sur la réconciliation qu'elle a pu opérer avec elle-même.

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