Fil d'Ariane
Le récit est articulé autour de ce moment fondateur insupportable, l'ablation du clitoris, à l'occasion d'un voyage au Sénégal, alors que la petite Mariama n'a que cinq ans. Un "viol", dit Mariama, sous la plume d'Halimata, elle aussi victime de cette tradition qui résiste à toutes les tentatives pour l'éradiquer. Un acte physique, mais aussi une amputation de soi-même qui peut conduire au désespoir lorsque le corps ne répond plus, lorsque l'intimité est ainsi anéantie. La lecture est éprouvante, la réalité l'est bien plus.
Sans tabou, Marima, dans le récit, évoque la tentative - vaine - de réparer les organes génitaux par la chirurgie. Puis la psychologie. Un combat au quotidien contre l'entourage qui refuse de comprendre. Halimata Fofana raconte une mère enfermée dans la brutalité, des soeurs refusantes, des humiliations et des coups récurrents. Avec des accents de choses vécues. La romancière a fait de la lutte contre les mutilations sexuelles féminines, le socle de son combat de citoyenne menée à coups de conférences (comme ce 13 octobre 2016 à Paris - Excision : femmes traumatismes et force de vie, en compagnie de l’avocate Linda Weil Curiel, et de la psychiatre Catherine Bensaïd) pour sensibiliser mères et filles, et les conduire à y renoncer. Parce que le premier pas pour en finir avec l'excision, l'infibulation et autres incisions ou scarifications initiatiques, c'est d'en parler, insiste Halimata Fofana, dans l'entretien qu'elle nous a accordé (voire vidéo ci-dessous). De mettre les mots sur les maux. "Les mots pour le dire" écrivait marie Cardinal, une autre romancière, dans un autre temps.
Ces mots écrits et dits ont amorcer la cicatrisation des plaies à vif des écorchées Mariama/Halimata, un chemin que d'autres filles/femmes peuvent emprunter pour se réconcilier avec elle-même et avancer. Ils auront aussi permis à Halimata Fofana de pardonner aux siens et d'entendre sa mère lui confier "qu'elle regrettait tant".
Pour la jeune autrice, l'écriture aura été le moyen de la résilience, parce qu'elle aura su s'en emparer, se l'approprier. Contrairement à l'une des héroïnes de Divines de Houda Benyamina, film que Halimata Fofana a beaucoup aimé, par ses résonnances avec sa propre histooire, qui pressent que la danse pourrait être une porte de sortie mais qui ne l'ouvre pas...
A retrouver dans Terriennes :
> Avec « Divines » les filles prennent le pouvoir à l’écran
> Houda Benyamina, réjouissante Caméra d'Or au Festival de Cannes 2016
Mariama est déchirée entre plusieurs mondes... Il lui faut sortir sa colère pour se dépasser.
Halimata Fofana
Dans l'entretien qu'elle nous a accordée, Halimata Fofana revient sur la difficulté à se construire, écartelée entre plusieurs cultures, sur la douleur indélébile de l'excision, sur l'importance de l'éducation, ou de la littérature et de l'art. Elle décortique les atouts différents de la réussite en France, au Sénégal et au Canada. Sur les écueils et les freins ici ou là-bas. Et conclut sur la réconciliation qu'elle a pu opérer avec elle-même.