Harcèlement sexuel en France : le rapport qui change enfin la donne ?

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Une manifestante marche à Rio de Janeiro contre les agressions sexuelles

Aucun pays n'échappe au harcèlement de rue. Ici une manifestante marche à Rio de Janeiro, en août 2014, contre les agressions sexuelles continuelles sur la place de Copacabana, au Brésil. Crédit : AP Photo/Silvia Izquierdo

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Insultes, harcèlement, agressions, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a remis pour la première fois au gouvernement français un rapport contre les violences sexistes et sexuelles dans les transports publics, que subissent les femmes au quotidien. 
100% des utilisatrices ont été au moins une fois dans leur vie, victimes d'harcèlement sexiste ou d’agressions sexuelles dans les transports en commun français. C’est le constat effarant formulé dans le rapport du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) pour lutter contre « des manifestations du sexisme qui affectent le droit à la sécurité et limitent l’occupation de l’espace public par les femmes et leurs déplacements en son sein ». Six-cent femmes en banlieue parisienne ont été interrogées pour réaliser cette étude, à la demande de la ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, Marisol Touraine.
 
Enfin une prise de conscience des pouvoirs publics ? Pour Rima Achtouk, militante à « Osez le Féminisme » et auditionnée par le HCEfh, « tant que le gouvernement n’avait pas de preuves chiffrées de l’existence du phénomène, il était plus facile pour lui de fermer les yeux et plus difficile pour nous de lui demander d’agir ». C’est désormais chose faite. Dans son rapport, le HCEfh recommande aux décideurs nationaux et locaux de lancer un grand plan d’action sur le territoire contre le harcèlement afin de « mettre la société en mouvement pour permettre aux femmes, comme aux hommes, d’exercer sans entraves et en toute sécurité leur liberté de circuler ».

Campagne "Stop au harcèlement de rue"
L'association "Stop au harcèlement de rue" détourne les affiches de la RATP pour dénoncer les violences envers les femmes dans les transports en commun. Crédit image : Stop au harcèlement de rue

Pas de quoi rire

 
Marie* a accepté de raconter sa « pire expérience » de harcèlement dans les transports publics : « À l’arrêt de bus, un homme s’est approché de moi. Très vite, il a commencé à me harceler, puis à me toucher. Lorsque le bus est arrivé, le chauffeur a ouvert la porte, mais au lieu de m’aider, il a préféré regarder la scène… et en rire ».
 
En 2014, Rima Achtouk était à l’origine d’une campagne avec « Osez le Féminisme », pour dénoncer ces violences  dans les transports en commun : «#TakeBackTheMetro ». La militante féministe se dit désormais « très satisfaite de l’existence d’un rapport qui institutionnalise pour la première fois le harcèlement dans l’espace public », et que le HCEfh ait pris en compte certaines de leurs recommandations pour lutter contre ce phénomène. Que ce soit à court terme, par une communication multi-cibles pour sensibiliser les femmes, les témoins, les agresseurs et les agents. À moyen terme, par la formation de ces professionnels en leur donnant les moyens de venir en aide aux victimes. Et « à plus long terme, il faudra aussi revenir sur une éducation à l’égalité entre les femmes et les hommes dès le plus jeune âge. C’est une action plus difficile à mettre en place, mais qui est indispensable pour arrêter ces violences ».
 
D’autres associations ont profité de la semaine internationale contre le harcèlement de rue, du 13 au 19 avril 2015, pour dénoncer ce fléau. À l’image du collectif « Stop au harcèlement de rue », qui a parodié les affiches de la RATP. « Dans leur campagne contre les incivilités, il y a la grenouille qui fraude, le paresseux qui s’étale, le phacochère qui prend le métro pour sa mangeoire, la poule qui caquette au téléphone… Il y a surtout un grand absent : le macho, le harceleur, l’agresseur, le frotteur, bref le gros porc qui enquiquine le quotidien des femmes et des LGBT dans leurs déplacements », explique Héloïse Duché, présidente de l’association, au Huffington Post. Sur les affiches, pas de porc, mais un crocodile agresseur, clin d’œil à la bande dessinée en ligne « Projets crocodiles » de l’association, déja évoqué dans Terriennes, pour dénoncer un sexisme ordinaire, parfois inconscient chez les victimes.
 

« Plutôt sympa ! »

 
Depuis la remise du rapport, les réactions se sont multipliées… pas toujours unanimes. Ainsi, l’entrepreneuse, Sophie de Menthon, ancienne du Medef (l'organisation patronale française) a-t-elle réagi sur son compte Twitter le jour même, estimant qu’il ne faut « pas tout confondre et qu’être sifflée dans la rue est plutôt sympa ! ». Twitter, puis toute la toile, se sont très vite enflammés contre cette 'boutade'. Une vague de messages de femmes, mais aussi d’hommes, ont fustigé les paroles de la cheffe d’entreprise, qui a depuis publié une tribune pour expliquer son message « léger ». Et poser une question : « Faut-il inclure la "drague" même pénible dans ce qui peut être assimilé à une forme de délinquance et d'agression caractérisée ? »

Pour Rima Achtouk, la réponse est claire : « Nous n’avons jamais été anti-drague ! Et il n’est pas question de stopper les rapports entre les femmes et les hommes dans l’espace public. Le harcèlement n'a rien à voir. Notre idée est de dire qu’il faut vivre tous ensemble et bien dans ce même espace. Mais, aujourd’hui, ce n’est pas le cas pour les femmes ».

Selon une étude antérieure du collectif, 75% des femmes usent de stratégies d’évitement, comme le fait de baisser les yeux, de mettre des écouteurs, de changer de direction lorsqu’elles se sentent en danger… Une preuve de plus pour le collectif qui montre la nécessité de dénoncer ces actes de violences psychologiques et physiques du quotidien. D'ailleurs, l'association ne distingue pas le harcèlement des agressions« car toutes les agressions, quelle que soit leur niveau de gravité, commencent par du harcèlement. Il faut donc arrêter ces violences dès le début, qui oppriment la liberté des femmes dans l’espace public », conclut Rima Achtouk.
 
*Le prénom a été changé