Fil d'Ariane
Pour son "Qori Inti 75%", Hasnaâ Ferreira a reçu la plus haute distinction dans le monde du chocolat. Cette année, sa chocolaterie fête ses dix ans. A 41 ans, cette chocolatière franco-marocaine met en lumière tout ce que l’on peut faire de bon et de vertueux à partir d’une fève de cacao.
Hasnaâ Ferreira, guerrière du chocolat.
Dans son laboratoire à Canéjan, près de Bordeaux, le chocolat fondu coule à flot. "Nous préparons des milliers de coeurs guimauve à la vanille recouverts de chocolat grand cru. S’ils mettent du temps à la préparation, ils partent très vite à la dégustation", sourit Hasnaâ Ferreira, les yeux en amande, couleur marron chaud, tels deux fèves de cacao.
Quand on veut plaire au plus grand nombre, on n’a plus de personnalité.Hasnaâ Ferreira
Faire du chocolat est un travail long et minutieux qui commence avec le fruit du cacaoyer. Pour cette première étape, Hasnaâ peut compter sur Katrien Delaet, sa sourceuse belge. La mission de cette aventurière, doublée d'une femme d’affaires et d'une scientifique, est de parcourir le globe à la recherche des meilleures fèves du monde. Hasnaâ les reçoit ensuite dans son laboratoire dans d’énormes sacs de jute, dont l’un d’eux, estampillé "Qori Inti - variété unique de Vraem (vallée des rivières Apurimac, Ene et Mantaro, Pérou)", contient le Graal, le ticket d’or, qui se cache dans la tablette de chocolat noir "Qori Inti 75%".
"Je cherchais depuis longtemps des fèves aux notes florales. Mais elles sont subtiles et très rares. Katrien a mis la main dessus au Pérou, dans une région importante de la feuille de coca et gangrenée par le trafic de drogue. Je me souviens qu’en goûtant d’abord la liqueur de cacao, les notes de violette et de rose, la fleur de mon pays d’origine le Maroc, m’ont sauté au visage. Quelle surprise !", raconte-t-elle.
Conquise, la chocolatière achète le lot entier. A partir de ces graines, elle créé un chocolat noir unique, honoré de la médaille d'or de l'International Chocolate Award 2023. "Si on a gagné ce prix, ce n’est pas juste grâce à notre savoir-faire c’est-à-dire développer des arômes déjà présents dans les fèves de cacao. C’est aussi grâce au peuple autochtone de Ashaninka Yevanashi qui a cultivé les cacaoyers selon des techniques respectueuses de la biodiversité, sans déforestation, puis récolté et fermenté les fèves comme il faut pour obtenir ce produit de qualité. C’est le fruit d’un travail collectif."
Créations dans la boutique d’Hasnaâ Ferreira à Canejan, 10 juillet 2024.
Lassée d’une carrière dans la publicité, cette diplômée en communication décide de se reconvertir il y a dix ans, "pour donner un nouveau sens" à sa vie. Une chaussure lui donne aussi l’envie d’enfiler le tablier de chocolatière. "Quand j’étais petite, ma mère m’a offert une bottine en chocolat. Ce qui m'a fascinée, c'est que l'on pouvait transformer une matière végétale en un objet que j'aurais pu mettre au pied." Elle s’intéresse ensuite au goût, réalisant son ignorance. "Les chocolats que j’avais goûtés, la plupart achetés dans la grande distribution, étaient médiocres, car complètement biaisés pour pouvoir plaire au plus grand nombre : saturés de sucre, de vanilline et de beurre de cacao. Or quand on veut plaire au plus grand nombre, on n’a plus de personnalité."
Hasnaâ Ferreira nourrit un objectif : retrouver et faire découvrir la diversité du goût du chocolat. "La richesse de l’artisan par rapport à l’industriel, c’est de pouvoir offrir un produit haute couture à une clientèle qui désire quelque chose de pointu", précise-t-elle. Son CAP de chocolatière en poche, elle se forme au métier de "faiseur" de chocolat, et devient une disciple du mouvement Bean to Bar ("De la fève à la tablette", en français).
Créations dans la boutique d’Hasnaâ Ferreira à Canejan, 10 juillet 2024.
Le mouvement Bean to Bar est né aux Etats-Unis dans les années 2000 en réaction à l'industrialisation et la standardisation de ce délice sacré de l’antiquité, hérité des Mayas. Il consiste à fabriquer du chocolat à partir de la fève, en contrôlant chaque étape pour garantir qualité et traçabilité L’experte française en chocolat et autrice du livre à succès The Chocolate Connoisseur, Chloé D’Outre Roussel, en est l’une des pionnières. Tombé lui aussi dans la marmite de chocolat, le mari d’Hasnaâ, Vincent Ferreira, s’est formé auprès d’elle.
Je reçois de plus en plus de candidatures de femmes désireuses de se former à la chocolaterie. La profession se féminise, c’est certain. Hasnâa Ferreira
Aujourd’hui en France, 2% seulement des 3 000 chocolatiers sont estampillés Bean to Bar. Parmi eux, plusieurs femmes comme Hasnâa Ferreira, mais aussi Anne-Laure Hagnéré, créatrice de la chocolaterie Terre de Fèves, en Bretagne, ou Claire Tabbagh, créatrice de l’Officine du cacao, en Bourgogne-Franche-Comté.
Hasnaâ Ferreira dans son laboratoire à Canejan, 10 juillet 2024.
"Je reçois de plus en plus de candidatures de femmes désireuses de se former à la chocolaterie. La profession se féminise, c’est certain", assure Hasnâa Ferreira. La dernière recrue de son équipe de 15 salariés, c’est Catherine Kalfous, 30 ans. "Hasnaâ Chocolats Grands Crus, c’est ma boutique préférée depuis des années. Ses chocolats sont faits à base d’arômes naturels et bio. Ces valeurs me parlent", partage-t-elle, le sourire aux lèvres, les mains prises par un généreux pot de praliné noisette.
Quant à sa formation Bean to Bar, "c’est comme si on apprenait à un enfant à faire des briques et ensuite à construire des maisons. C’est ultra stimulant !" Ancienne cheffe dans une pâtisserie à Bordeaux, Catherine Kalfous s’identifie à sa mentor et ambitionne, comme elle, de créer sa propre entreprise. En dix ans, Hasnaâ Ferreira a ouvert quatre boutiques en France, remporté 70 récompenses et exporte désormais vers l’international.
Catherine Kalfous dans le laboratoire d’Hasnaâ Ferreira à Canejan, 10 juillet 2024.
Des portes se sont fermées au début pour Hasnaâ. Des gens lui ont dit : "Ce n’est pas un métier pour toi". Mais sa motivation n’a pas fondu. En écoutant son histoire lors d’un forum des métiers au Centre Information sur les Droits des Femmes et des Familles - CIDFF Gironde – dont Hasnaâ était la marraine, Sandra s'est dit : "Je veux travailler avec cette femme déterminée et je suis allée la voir pour lui demander un stage", raconte la jeune femme de 29 ans, employée en CDI depuis un an. Cette jeune mère de famille portugaise a fui son pays et une situation difficile, comme Marina, réfugiée ukrainienne, qui se tient à ses côtés.
Marina et Sandra dans le laboratoire d’Hasnaâ Ferreira à Canejan, 10 juillet 2024.
Dans leur tablier blanc, les cheveux recouverts d’une charlotte, les deux femmes moulent des tablettes de chocolat noir "Chiwa Chiwa 75%". C’est le nom du village en Tanzanie où les fèves de cacao sont cultivées par des religieuses qui tiennent un couvent et prennent soin de la communauté, surtout des femmes. "En tant qu’acheteurs, nous nous sommes engagés à reverser deux dollars supplémentaires par kilo afin de financer des bourses pour des jeunes filles et qu’elles puissent aller à l’école", explique Hasnaâ Ferreira, le coeur (en chocolat) sur la main.
Hasnaâ Ferreira dans son laboratoire à Canejan, 10 juillet 2024.
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