Soixante ans de rock français à travers le regard et les voix d'artistes femmes. C'est le parti pris du journaliste François Armanet qui signe Haut les filles, un documentaire dynamique... et éclectique. De Françoise Hardy en passant par l'inclassable Brigitte Fontaine, Vanessa Paradis ou Lou Doillon, ce film nous livre une série de portraits intimes tout en posant la question : la "rock-attitude" rime-t-elle avec féminisme ?
Oh les filles, oh les filles
Elles me rendent marteau
Oh les filles, oh les filles
Moi je les aime trop ...(
Au bonheur des dames, 1973)
Ce refrain, qui ne dira rien aux moins de quarante ans, a sans doute inspiré le titre de ce documentaire...
Haut les filles, un clin d'oeil destiné à porter haut la voie tracée par les chanteuses qui ont marqué l'histoire du rock français.
Haut Les Filles est une ode aux femmes, à la féminité et au féminisme.
François Armanet
A l'origine, ce documentaire n'avait rien de politique, ni de féministe. A en croire François Armanet, réalisateur et rédacteur en chef du magazine l'Obs,
Haut Les Filles part d'un raisonnement purement journalistique. Cette production devait être le fruit d'un angle original et peu traité. Selon lui, avec ce documentaire, il s'agit avant tout de
"feuilleter l'album du rock français, mais vu par les femmes". L'idée lui est venue il y a quatre ans, en compagnie de son camarade Bayon, avant la naissance du mouvement #MeToo. Car si le film n'érige pas spécialement d'ambition féministe, le résultat en donne néammoins l'impression. François Armanet l'énonce lui-même,
Haut Les Filles est
"une ode aux femmes, à la féminité et au féminisme".
Être rock, c'est être en accord avec soi.
Elli Medeiros
En 1h20, le documentaire explore 60 ans de rock français. La parole est donnée à dix femmes aux parcours très différents, mais toutes très connues du public francophone. François Hardy, Brigitte Fontaine, Vanessa Paradis, Camélia Jordana, Imany ou encore Charlotte Gainsbourg pour n'en citer que quelques unes, représentent à la fois différentes époques et différents genres musicaux. Si Imany semble assez loin, musicalement parlant, de l'inclassable Brigitte Fontaine, elles ne le sont pas tant que ça dans la définition du "rock" choisie par François Armanet.
"Il y a autant de définitions du rock que de personnes", précise-t-il en citant Elli Medeiros qui donne la sienne au début du film :
"être rock, c'est être en accord avec soi". Une attitude et un état d'esprit avant tout.
La voix off - féminine - est incarnée par Elisabeth Quin, journaliste présentatrice d'
Arte. Le cadre est posé, ponctué par de nécessaires rappels historiques ou contextuels, sans pour autant vouloir diriger le spectateur ou lui prendre la main. La trame est en réalité construite par les chanteuses, au fur et à mesure que l'on avance et à travers leurs récits, uniques et intimistes. Pour François Armanet,
"d'une certaine manière, c'est elles qui ont fait le film". Car à travers leurs témoignages,
"c'est la bande-son sociétale d'une époque" qui se manifeste, et
"la question du féminisme la parcourt".
L'un des premiers témoignages présenté à l'écran est celui de Françoise Hardy. Autrice-compositrice,
"ce qui n'est pas fréquent à l'époque" comme le souligne le réalisateur, elle n'a composé que quatre chansons lorsqu'elle gagne en notoriété dans les années 1960. Le film nous montre combien au début on s'intéressait à elle surtout pour son apparence. Hardy évoque ses voyages en Angleterre, où elle était perçue par les journalistes anglais comme
"représentante de la mode Française", plutôt qu'admirée pour ses chansons. Une manière de montrer qu'une femme était avant tout remarquée pour et par son physique dans ces années là ? Une longue séquence insiste en tout cas sur cet aspect "vestimentaire" jusqu'au jour où elle a
"pris conscience que c'était une chance finalement d'avoir des grandes jambes". A travers ce témoignage qui semble mettre de côté son talent d'artiste, la question du féminisme est posé :
"Les femmes étaient très innocentes à l'époque", lance-t-elle en se souvenant de France Gall qui n'aurait pas compris le sens caché des
Sucettes, chanson produite par Serge Gainsbourg.
Je pense que les hommes ont tenu pendant très longtemps les rênes en ayant un désir de protéger.
Lou Doillon
Au fil du documentaire, Lou Doillon reprend cette idée, en accentuant la force des femmes qui se sont libérées de la tutelle sociétale des hommes.
"Je pense que les hommes ont tenu pendant très longtemps les rênes en ayant un désir de protéger. On n'avait pas de droits mais c'était parce qu'on nous protégait. Et les premières femmes qui vont changer tout ça, c'est des femmes qui vont prendre un parti pris cinglé et dire, 'nous on prend le risque'". Chacune raconte à sa manière la rencontre douloureuse avec le machisme. Vanessa Paradis ou comment survivre aux remarques insultantes qu'elle entendait en se rendant à l'école en RER alors qu'elle n'avait que 14 ans, Brigitte Fontaine et la question de l'avortement (la chanteuse avait signé en 1971 la célèbre tribune des "
343 salopes")...
Mais l'image du rock dressée par le documentaire n'est pas sombre, au contraire : les chanteuses font volontiers part de leurs doutes, de leurs histoires de famille et de la passion qui les anime. Les interviews sont entrecoupées par de belles images d'archives, montrant ces artistes sur scène : la puissance qu'elles dégagent donne vie à leurs anecdotes et expose au premier plan leur personnalité.
En résulte une série de portraits intergénérationnels. Mais si ce documentaire évoque à la fois les thèmes de la féminité, du féminisme, de la musique ou encore... de la mode, il peine à les creuser en profondeur. Quand la chanteuse très engagée qu'est Jeanne Added déclare dans le film son féminisme, on aurait sans doute aimé en savoir plus, par exemple si cela influait sur sa carrière et comment... Toutefois, ce que le film montre bien, c'est la liberté qui relient toutes ces chanteuses entre elles, et leur contact avec le public. Vanessa Paradis le résume bien, sourire en coin :
"Faire un concert me donne l'impression d'être le capitaine d'un paquebot, une mer déchaînée qu'il faut maîtriser".Le réalisateur en a bien conscience et pour lui,
"ce sont des femmes pour lesquelles la scène est importante, qui ont cette énergie et cette intégrité là". Et cette énergie là,
"ça vous remue : autant aux tripes qu'à la tête". Une énergie scénique, voire une explosion scénique, qu'incarne sans nulle comparaison Brigitte Fontaine lorsqu'elle déclame face à la caméra ce slogan des premières heures :
"A bas le sexe fort, à bas, à bas, à bas, à mort ! Etc..."