Fil d'Ariane
Une semaine après ma dégustation au Bon Bon à chez le @chef Hardiquest un encas avant de retrouver bientôt racontée ds @TERRIENNESTV5 notre rencontre avec la cheffe Ana Ros meilleure chef du monde 2017pic.twitter.com/zGPCguNqc9
— isabelle mourgere (@IMourgere) July 11, 2018
#gastronomie sorbet granité à la Krieg la à la cerise au restaurant Le Bon bon avant notre rencontre @TERRIENNESTV5 avec deux chefs Ana Ros et Christophe Hardiquest pic.twitter.com/02EpJgOJfs
— isabelle mourgere (@IMourgere) July 11, 2018
Se succèdent ensuite les plats, comme autant de tableaux de maître aux couleurs chamarées, aux associations inattendues, de l'entrée fromagée abricotée de la chef Ros à la tête de veau revisitée et fleurie du chef Hardiquest. Puis vient l'ours, ramené de Slovénie, mijoté quatre heures, par les soins de la championne du monde 2017. Corsé et tendre à la fois, ce plat lui ressemble. Tout comme son dessert à la sauce aux pêches. Fort en goût et long en bouche. Une explosion papillaire. Depuis la table où elle dresse une à une les assiettes, dans une danse synchronisée avec le chef Hardiquest et ses hommes, Ana Ros cherche du regard notre approbation avec un hôchement de tête interrogatif. Sourires échangés. On en redemande.
Ana est une personne généreuse dans le partage, on a eu de merveilleux moments ensemble (...) On a rigolé, on a eu beaucoup de plaisir ce soir !
Chef Christophe Hardiquest
"Ana est une personne généreuse dans le partage, on a eu de merveilleux moments ensemble, travailler avec une femme ça ne change rien et en même temps c'est différent, il y a beaucoup de respect et de partage. Sinon, on est juste complémentaire comme dans un couple. Avec Ana, on a rigolé, on a eu beaucoup de plaisir ce soir", nous confie Christophe Hardiquest peu après la fin du dîner. "Parler de cuisine féminine ou masculine, ça ne veut plus rien dire aujourd'hui ! J'assume ma part de féminité, c'est selon les moments, l'humeur, des fois je peux avoir une cuisine plus masculine. Pour les femmes c'est la même chose, il y avait un plat d'Ana ce soir qui était vraiment corsé, il aurait aussi bien pu être préparé par un homme. Il avait de la profondeur et du caractère", ajoute-t-il.
Du caractère Ana Ros ? La cheffe venue de Slovénie revendique sa carte d'autodidacte et se démarque des consignes imposées par la cuisine dite classique. Son parcours marginal dans un secteur habituellement très cadré, école de cuisine, apprentissage dans les grandes maisons etc, aurait pu lui faire barrage. Bien au contraire. Rencontre d'après dessert.
Terriennes : votre parcours n'est pas habituel, est-ce que cela a été plus compliqué pour vous ?
Ana Ros : Il y a différentes routes pour arriver à un succès, les histoires ne sont jamais les mêmes ! Je suis autodidacte, je n’ai jamais étudié la gastronomie, je n’ai jamais fait de stage dans de grandes cuisines. C’est pour ça que ma cuisine est totalement différente. Quelques fois il y a des erreurs, mais elles peuvent être positives ! Les règles sont faites pour être transgressées comme on dit en anglais "the rules have to be broken ! "
Je n’ai jamais pensé que je serais chef ou que je ferai ce métier ! Quand je n’ai pas pu faire danseuse à cause de problèmes à mes jambes, je me suis lancée dans des études internationales en pensant devenir diplomate. Petite, je faisais beaucoup de sport et je n’avais jamais le temps de cuisiner avec ma mère. Quand j’étais étudiante, on se faisait des pâtes au thon ou à la tomate à cinq heures du matin !
Je vois beaucoup de chefs qui viennent dans mon restaurant, ma cuisine les amuse ! Ils me disent souvent : on garde tes plats en mémoire ! Ce qui compte à la fin c’est de faire une bonne cuisine, on peut prendre des risques, mais notre première motivation c’est surtout de bien faire à manger ! Il faut un peu de talent, beaucoup de motivation, de discipline et ça va !
Pourquoi voit-on encore aujourd'hui émerger moins de femmes que d’hommes dans ce métier?
La cuisine est un métier difficile surtout à cause des horaires, c’est sans doute une explication. La solution serait de faire de rendre ce milieu plus humain, avec des horaires peut-être moins longues et aussi aménagées, et puis il faudrait beaucoup d'autres petites choses ! Nous les femmes, nous restons malgré tout des mères. Il faut aussi s’occuper de la maison et je crois que faire carrière dans la gastronomie reste encore difficile pour les femmes.
Dans ma cuisine, je ne fais pas la différence. Cela change tout le temps, il y a encore un mois, il y avait plus de femmes. Il est vrai qu’à la suite de mon titre de meilleure chef du monde, il y a plus de femmes qui se sont automatiquement présentées pour travailler avec moi. Ce sont vraiment de grandes cuisinières, mais j’aime travailler avec les hommes aussi ! Ce soir par exemple, j’avais à mes côté Leonardo qui est Colombien, c’est un sous-chef incroyable, avec lui pas besoin de penser car il pense pour moi.
Existe-t-il une cuisine féminine ou masculine ?
A mon avis non, la cuisine n'a pas de genre. Par exemple ce soir, je trouve que les plats du chef Christophe étaient plus féminins que les miens, avec un gout super délicat. Moi il m’appelle l’orage, parce que j’ai un caractère plein d’émotions, et c’est pareil dans ma cuisine, je ne suis pas capable de faire trop équilibré.
Sur le site de votre restaurant, on vous présente comme une cheffe au fort caractère ...
(Rires) Vraiment, c'est écrit comme ça ? Bon, je crois que c’est indispensable, tous les chefs ont de fortes personnalités, et c’est ce que j’aime. Pour moi le plus important dans la cuisine, c’est justement de transmettre des émotions. Quand quelqu’un dîne à mon restaurant et me dit, "oui c’est bon", je me dis "ah oui, c'est tout, mais encore ?" Pour moi, lorsqu’on mange un plat, on devrait comprendre la personnalité du chef qui l’a conçu, son terroir, sa saison et en plus avoir de fortes émotions.
Comme lorsque vous proposez de l'ours ?
Il y a beaucoup d'ours en Slovénie, du coup il y a des quotas de chasse et c'est une viande assez commune dans les campagnes. C'est une viande pas très facile à préparer. Elle peut vite se durcir et devenir difficile à manger. Je suis contente que le plat que j’ai présenté ce soir ait plu, et qu’il ait surtout donné des émotions.
Comment réagit votre famille aujourd'hui face à votre succès ?
Mon père a eu besoin de force pour comprendre mon choix, mais il est allé plus vite que ma mère. Même avant mes grands succès, il était content pour moi. Ma mère, même encore aujourd’hui n’est pas totalement convaincue. Et je la comprend, elle vient d’une famille d’intellectuels. Pour les Slovènes, la gastronomie n’est pas un métier dont on rêve. Elle pense que j’ai abandonné un métier intellectuel pour un métier manuel, et elle a raison, mais j'espère lui montrer que la cuisine est aussi un métier qui demande de l’intelligence.
Comment vient votre inspiration ?
Mon inspiration vient souvent le matin, quand je vais courir dans la nature, je pense aux plats, puis j’en parle avec mon équipe, on fait une réunion et on cherche ensemble, c’est très différent aujourd’hui par rapport à il y a quelques années où j’étais seule, maintenant je travaille en équipe et ça change tout !
Avez-vous un modèle ?
Non, je ne crois pas aux héros ou héroïnes. Je crois qu’il faut chercher le héros ou l’héroïne qui est en chacun de nous. Je crois que j’y suis arrivée aujourd’hui, je suis en tout cas devenue l’héroïne de mes enfants. La semaine dernière je leur demandais, qu’est ce que vous pensez de moi? Maman, on te respecte et t’admire beaucoup, m'ont-ils répondu, et ça, c’est ce qui est le plus important pour moi.