Havrin Khalaf : une voix kurde pour les femmes et la paix assassinée

Elle s’appelait Havrin Khalaf. Elle avait 35 ans. Elle était kurde, ingénieure, à la tête du parti Avenir de la Syrie et engagée auprès des femmes dans le nord de la Syrie. Elle a été exécutée par des mercenaires islamistes en plein chaos provoqué par l'offensive turque. 
 
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harvin khalaf
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Havrin Khalaf était connue de toutes celles et ceux qui travaillent dans le nord de la Syrie : diplomates, journalistes, politiques... Tout le monde connaissait le visage et la détermination de cette militante pour la conciliation, la négociation, la paix. Coprésidente du parti Avenir de la Syrie et membre de la direction du Conseil démocratique syrien, le bras politique de l'alliance de forces kurdes et arabes alliées de Washington dans la lutte antijihadiste, elle multipliait les initiatives en faveur du pluralisme. Elle prônait le rapprochement pacifique entre Arabes, Kurdes et Turkmènes, musulmans, chrétiens et yézidis, qu’elle voulait réunir dans un même combat, à la fois contre le régime de Bachar El-Assad et l’Etat Islamique. 

Un modèle à défendre

Havrin Khalaf s'investissait auprès des femmes musulmanes dans le Rojava (Kurdistan occidental), auprès desquelles elle défendait le modèle d'égalité hommes- femmes et de coprésidence auquel elle adhérait - l'autre coprésident d'Avenir de la Syrie était un homme, arabe. Le mois dernier encore, elle assistait à un forum des femmes tribales à Tabqa, où elle disait sa fierté au vu des "progrès accomplis par les femmes dans le nord-est de la Syrie sous le gouvernement kurde". 

Ceux qu'elle dérangeait l'ont facilement identifiée et localisée ce samedi 12 octobre, entre les localités de Qamishli et Minjeb, dans le nord de la Syrie. Elle circulait en voiture avec son chauffeur - lui aussi exécuté - quand elle a été prise dans une embuscade sur la route M4, l’axe international qui relie le nord-est, dominé par les Kurdes, au nord-ouest de la Syrie, contrôlée par la rébellion.
 

Les images diffusées par Firat news agency, une agence de presse kurde basée à Amsterdam aux Pays-Bas, montrent sa voiture criblée de balles :

voiture harbin
Décès de la secrétaire générale du parti Avenir de la Syrie Havrin Khalaf lors d'une attaque menée par les islamistes turcs à Qamishli. Ces images nous sont parvenues de sa voiture criblée de balles.

Les témoignages recueillis par le quotidien Le Monde à Derik, sa ville d’origine, où ses funérailles et celles de son chauffeur ont eu lieu samedi, donnent à penser que les assassins se sont acharnés sur son corps. "Elle avait la jambe brisée, chair ouverte, les bras couverts de contusions, le corps et les vêtements couverts de terre comme s’ils l’avaient traînée sur le sol, constate l’une des personnes chargées de préparer les corps. La moitié de son visage était écrasée à l’intérieur de son crâne, l’autre était reconnaissable, a observé le camarade Hassan, affecté au même travail. Elle avait plusieurs impacts de balles dans la poitrine et dans le ventre, et des brûlures qui tendent à indiquer qu’ils lui ont tiré dessus de près…. Cela fait huit ans que je fais ce travail et je n’ai jamais vu rien de tel."

Selon le rapport du médecin légiste chargé d'examiner le corps à l'hôpital d'Al-Malikyah, elle a été "frappée à la tête avec un objet solide qui a provoqué de multiples fractures du crâne. Les coups qu'elle a reçus sur les jambes ont fracturé les deux os de la jambe gauche. Elle a aussi été frappée avec un objet tranchant sur la face postérieure des jambes. Ses cheveux et la peau du crâne arrachés témoignent qu'elle a été traînée par les cheveux. Elle a ensuite été abattue à bout portant avec une arme à feu de guerre dont les tirs ont fracassé la moitié droite de son visage et emporté une partie de la cervelle. Après sa mort, elle a encore essuyé plusieurs tirs dans le dos et les balles sont ressorties par l'abdomen."

funérailles harvin

En sortant de l'hôpital d'Al-Malikyah, la mère d'Havrin Khalaf, Suad, qui venait reconnaître le corps de sa fille, témoigne que la dépouille de sa fille n'était plus : "qu'une poupée de chiffon enveloppée dans des linges".

Crime de guerre 

L’assassinat d’Havrin Khalaf s’inscrit dans le chaos qui s’est emparé de la Djézireh, la partie nord-est de la Syrie, depuis le lancement de l’offensive turque. Une opération qui a provoqué un déchaînement de violences sans précédent dans la région et qui, selon l’ONU, a poussé 130 000 personnes à fuir la région. Dans la même journée de samedi, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme, huit autres civils ont assassinés par les supplétifs syriens qui participent à l'opération militaire turque ; certaines exécutions ont été filmées.

Ceux que l’on appelle "supplétifs" sont d’anciens combattants islamistes contre le régime syrien qui ont changé de camp, financés par les Turcs pour se battre contre les Kurdes. Pendant que l’armée turque installe sa zone dite de sécurité, ils sont chargés d’éliminer. Selon le quotidien allemand FAZ, entre autres, l'assassinat d'Havrin Khalaf serait le fait du groupe Ahrar al-Cham, composé de rebelles salafistes et apparu au cours de la guerre civile syrienne.

Une certaine presse turque 

À la suite d’une opération réussie, la secrétaire générale du Parti du Futur de la Syrie, liée au parti politique terroriste PYD, a été mise hors d’état de nuire” se félicite dimanche 13 octobre le quotidien turc islamo-nationaliste Yeni Safak. Dans l’après-midi, le tweet et l’article du journal sont supprimés, mais des journaux turcs reprennent l’information sur le même ton : “L’organisation terroriste en état de choc : une de leurs responsables exécutée titre Yeni Akit. Une vidéo diffusée sur internet et authentifiée montre sa voiture criblée d’impacts entourée d’hommes en armes, le corps du chauffeur mort à terre. A l’arrière-plan, on entend une voix féminine attribuée à Havrin Khalaf dire “c’est le chauffeur du parti”.
 

Dans une guerre, il y a des lignes de front, des règles et des hiérarchies... Cela n’empêche pas les bavures, mais l’assassinat de Harvin Khalaf n’est pas une bavure. C’est un crime de guerre, dénonce Monica Frassoni, vice-présidente du Parti vert européen, qui appelle la communauté internationale à agir pour mettre fin à l’offensive turque et à protéger les Kurdes, notamment en cessant sur-le-champ les livraisons d’armes à la Turquie.

Les Etats-Unis ont condamné "le plus fermement possible" l'exécution "extrajudiciaire" d’Havrin Khalaf : "Nous trouvons ces informations extrêmement préoccupantes, à l'instar de la déstabilisation générale du nord-est de la Syrie depuis le déclenchement des hostilités… Nous condamnons le plus fermement possible tout mauvais traitement et exécution extrajudiciaire de civils ou de prisonniers, et sommes en train d'étudier de plus près les circonstances de ces événements," déclare un responsable du département d'Etat américain. Cela alors que les agents américains chargés de participer à la "stabilisation" de ces régions contrôlées par les Kurdes ont été redéployés "hors de Syrie". Autrement dit après avoir de facto laissé le champ libre aux militaires turcs en retirant tous les soldats américains du nord-est de la Syrie.