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- Hélène Darroze, cinq étoiles au Michelin : "Ne m'a...
Folle de bonheur. C'est ce qu'a ressenti Hélène Darroze, 53 ans, en obtenant une troisième étoile pour son restaurant londonien Hélène Darroze at The Connaught et une seconde pour Marsan, son établissement parisien.
Un exploit jusqu'ici seulement atteint par une autre femme : sa compatriote Anne-Sophie Pic (à Valence), qui affiche, pardon du peu, huit étoiles au compteur.
Un exploit qu'elle partage aussi avec une autre femme distinguée cette année, son amie la Britannique Clare Smyth, du restaurant Core, auréolée d'une troisième étoile. Pour rappel, jusqu’ici, parmi les 130 chefs à posséder cette distinction, ne figuraient que cinq femmes : Anne-Sophie Pic, Elena Arzak (à Saint-Sébastien), Annie Féolde (à Florence), Nadia Santini (en Lombardie) et Dominique Crenn (à San Francisco).
"Deux femmes promues trois étoiles en même temps. C’est du jamais vu dans l’histoire du Michelin et le signe indéniable que la haute gastronomie – longtemps réservée à une élite masculine – est en profonde mutation", commente Le Monde pour saluer cet événement.
"Les femmes ne sont pas une catégorie à part dans le Michelin, il n’est pas question de quota. On récompense le talent", a tenu à rappeller le directeur international du guide, Gwendal Poullennec lors de l'annonce du palmarès 2021.
Mais bien sûr, beaucoup d'entre-nous verrons dans ce podium, inédit dans l'histoire du guide Michelin, le signe que le monde de la gastronomie, longtemps associé aux hommes, est en train de muter. La sauce féminine prend de plus en plus, et il était grand temps.
"Continuez à vivre votre passion en tant que femme... Ne cherchez pas à être quelqu'un d'autre qu'une femme", répète Hélène Darroze dans les médias. "On a une sensibilité différente, et obligatoirement, ça se voit dans l'assiette", affirme celle qui revendique une cuisine féminine, "plus émotive que technique". "Quand un homme cuisine, il veut d'abord montrer qu'il sait faire ci, ça, alors qu'une femme, j'ai l'impression qu'elle veut tout simplement faire plaisir (...)", explique-t-elle, tout en précisant qu'elle ne cherche pas à critiquer les hommes dont elle "respecte" le travail.
Interrogée sur France Inter, elle ajoute : "C'est le signe que tout est possible. Je revoyais Kamala Harris qui faisait un discours, qui disait qu'elle était vice-présidente des États-Unis, que tout était possible dans un milieu d'hommes. C'est pareil pour nous : tout est possible, il faut croire en ses rêves, en sa féminité (...) J'espère que ce qui arrive à Clare et à moi, en ayant trois étoiles, ça inspire beaucoup de jeunes femmes dans nos cuisines, que ça leur donne l'envie d'aller plus loin. Hélas, j'ai vu beaucoup de femmes décrocher dans les cuisines. alors qu'elles étaient talentueuses. Il faut oser, il faut y croire".
"J'ai des collègues qui ont souffert d'être des femmes dans des milieux plutôt d'hommes (...) Moi, j'ai toujours trouvé ma place", assure-t-elle. Dans les cuisines, elle impose sa vision du métier. "Je n'ai jamais voulu qu'on m'appelle cheffe, explique-t-elle. J'avais beau leur expliquer que ce n'est pas avec un titre qu'on se fait respecter, il y en a toujours qui n'y arrivent pas et me disent : 'je ne peux pas'".
Autre révolution, elle refuse d'élever la voix ou de crier sur ses collaborateurs lors des "coups de feu" en cuisine. "Quand il y a un problème, on doit savoir contenir ce stress. Ce n'est pas en criant ou en jetant une cuillère qu'on résout un problème".
D'ailleurs, comme celui de "cheffe", le mot de "brigade" est banni de son vocabulaire. "S’il y a vraiment une cuisine au monde dans lequel l’esprit militaire est banni, c’est chez moi.", confie-t-elle au Huffington.post.
Chez les Darroze, la cuisine est une histoire de famille. En 1895, son arrière grand-père ouvre Le Relais, un restaurant familial à Villeneuve-de-Marsan où elle a travaillé et qu'elle a rebaptisé Chez Darroze. Pourtant, c'est vers des études de commerce qu'elle s'est dirigée après son baccalauréat. Elle étudie à Sup de Co Bordeaux, dont elle est diplômée en 1990 dans l'optique de faire de la gestion d'hôtellerie.
"Il y a une place à prendre par une femme dans ce monde de la cuisine et vous êtes capable de la prendre ", ces mots prononcés par le célèbre chef Alain Ducasse alors qu'elle travaille dans son restaurant Louis XV, de Monte-Carlo, comme commis, puis à l'administration, finissent par la convaincre. En 1995, elle reprend l'auberge familiale et est élue en décembre "Jeune Chef de l'Année" par le Guide Champérard et "Grand chef de demain" en 1996 par Gault-Millau.
Ce fut le début de vingt années durant lesquelles elle admet avoir dû faire "des choix". Celle que certains en cuisine ont rebaptisée "Maman" l'est aussi dans sa vie privée."Je n'ai pu être maman qu'à 40 ans car, avant, j'avais choisi de me donner à fond pour ce métier", dit-elle, en évoquant l'adoption de ses deux filles.
En 2001, elle obtient sa première étoile puis, deux ans plus tard, sa seconde et devient la seule femme en activité avec Anne-Sophie Pic à détenir ces trophées. Les deux femmes chefs complices fondent le club "Les nouvelles mères cuisinières" pour trouver, former et promouvoir de nouvelles Mère Brazier, Mère Blanc ou Mère Poulard...
A quoi reconnaît-on sa cuisine ? De l'avis général, à sa générosité - sans doute liée à ses influences issues de la cuisine du Sud-Ouest et basque, diront les critiques. En 2015, Hélène Darroze se hisse au plus haut en recevant le prix Veuve Cliquot "meilleure femme chef du monde" ; elle succédait alors à la Brésilienne Helena Rizzo du Mani de Sao Paulo, dans le cadre des récompenses des "World's 50 Best restaurants"(organisé par la revue britannique Restaurants).
Pour la partie people, elle est aussi la marraine de Joy Smet, fille de Johnny et Laeticia Hallyday. Avec cette dernière, elle fonde en 2012 l'association La Bonne étoile, qui prend en charge des mineurs vietnamiens laissés-pour-compte.
Malgré une année catastrophique pour la gastronomie, marquée par la fermeture des restaurants pour cause de pandémie de Covid-19, Hélène Darroze l'assure : "la pandémie a changé (s)a façon de voir les choses".
Dorénavant, par exemple, elle refuse d'utiliser du caviar chinois, "pour tendre la main aux producteurs français qui souffrent plus que nous". Si la pandémie est loin d'être terminée, Hélène Darroze a déjà commencé à imaginer la cuisine du "monde de demain" : "on aura besoin d'une cuisine qui rassure, gourmande", esquisse-t-elle.
Depuis la fermeture contrainte de ses restaurants au public, elle s'est aussi adaptée aux nouveaux modes de vente, comme la commande en ligne et la vente à emporter. C'est ce qu'elle a instauré ces derniers mois à Paris, en proposant des plats en adéquation avec cette manière de consommer, par exemple un burger maison, bien sûr, accompagné de galettes de pommes de terre, qui refroidissent moins vite que les traditionnelles frites.