Fil d'Ariane
Cette histoire a été sortie des oubliettes, où l'histoire officielle l'avait enterrée, par une écrivaine, Margot Shetterly, elle même afro-américaine. Son père travaillait comme chercheur à la Nasa, et elle a grandi au milieu de toutes ces familles afro-américaines dont les parents travaillent pour la Nasa. Pourtant il lui a fallu des années avant qu'elle ne découvre l'histoire ignorée de ces héroïnes au détour d'une conversation avec son père, ce qui l'a poussée à faire des recherches et écrire ce livre sur quatre de ces femmes. Cet ouvrage Figures de l'ombre, ces afro-américaines qui ont aidé à gagner la course vers l'espace (William Morrow/HarperCollins, 2016) est "un livre révolutionnaire" écrit l'historienne des sciences et des techniques Marie Hicks (Université de l'Illinois) dans le Guardian. Et si le livre a été unanimement salué par la critique, le film est reçu plus diversement. Il en a même déçu certain-es...
Ces femmes se sentaient étrangères dans leur propre pays.
Marie Hicks, historienne des sciences
Marie Hicks juge ainsi que le film, aussitôt adapté du récit de Margot Lee Shetterly, ne met pas assez en valeur ces pionnières : "Dans les premières images du film surgit Dorothy Vaughan - jouée avec esprit par Octavia Spencer. On ne voit d’elle qu’une paire de jambes sortie d’un capot de voiture en panne. Un détail s’impose immédiatement. Les jambes de Vaughan sont beige clair et brillantes. Parce qu’elle porte des bas qui ne vont pas avec son grain de peau, sans doute parce que personne alors n’avait pensé qu’une femme noire pourrait acheter des bas. Cela nous incite à nous rappeler comment ces femmes se sentaient étrangères dans leur propre pays, dans les gestes du quotidien aussi, même si elle aidaient la nation à réussir dans un domaine essentiel et mondial. Lorsque l'on écrit l'histoire, le diable se cache toujours dans les détails. Margot Shetterly réoriente notre point de vue sur la conquête spatiale en racontant les trajectoires de ces femmes noires mathématiciennes de la Nasa. Elle en fait de vraies protagonistes, partie prenante du grand théâtre de l'histoire technologique américaine, et pas des détails de cette course. Malheureusement le film, lui, oscille en permanence entre faire de ces femmes les protagonistes de l'Histoire et de leurs vies, et les éloigner des projecteurs. (.../...)
Dans la plupart des scènes où elles sont à la Nasa, elles donnent l'impression de ne pas faire un travail réel. Tandis que les regards se focalisent sur leur chef, interprété par une star, Kevin Costner. (.../...) Malgré la première séquence, le film maintient le racisme à distance et ne pointe jamais les tensions qui traversent ces femmes : en pleine guerre froide, elles aident un pays à étendre son hégémonie sur le monde."
Dans le livre sur ces figures de l'ombre, il est écrit : "Tellement d’argent dépensé pour qu’une douzaine d’hommes blancs prennent le train express vers un monde sans vie. Les hommes et les femmes noirs pouvaient à peine se rendre d’un Etat à un autre sans craindre que la police les arrête, que les restaurants les rejettent, ou que les stations-services leur refusent de l’essence et les toilettes".
Margot Lee Shetterly a raconté que ces Afro-américaines n'avaient en apparence rien qui sortait de l'ordinaire. Elles étaient des Noires de la classe moyenne de Hampton, en Virginie, qui travaillaient au centre de recherche de la Nasa tout proche, comme son père, un ingénieur. Mais elles calculaient plus vite que leur ombre... L'une d'elles a par exemple calculé les trajectoires de la fusée d'Alan Shepard, qui a effectué le premier vol suborbital en 1961, puis pour John Glenn, premier Américain à voler en orbite en 1962. Des dizaines de Noirs des deux sexes travaillaient alors comme mathématiciens et physiciens pour le programme spatial, tout en étant victimes des lois ségrégationnistes.
C'est l'entrée des Etats-Unis dans la guerre en 1941 qui leur a ouvert la porte
Margot Lee Shetterly, écrivaine
Les quatre héroïnes du livre (pas du film où plusieurs des ces femmes sont condensées en une seul personne) Dorothy Vaughan, Katherine Johnson, Mary Jackson et Christine Darden, ont commencé pour certaines à travailler à Langley, le premier centre de recherche aéronautique américain, dès le début des années 1940. "C'est l'entrée des Etats-Unis dans la guerre en 1941 qui leur a ouvert la porte", rappelle Margot Lee Shetterly. A la fin de la guerre il y avait environ 25 Afro-américaines et deux responsables blancs dans leur unité de l'aile ouest.