Elle ne se voyait pas un jour devenir victime elle même, comme ces femmes malmenées partout dans le monde, en particulier les migrantes, ces damnées de la Terre. Hind Aleryani, journaliste et activiste yéménite, est une battante. Jour après jour, sur son blog, à la radio, dans des journaux du monde entier, elle parlait des femmes du Yémen, dans des chroniques, de courts textes sensibles, avec humour ou tendresse, dénonçant à travers ses expériences le sort réservé à ses concitoyennes, mais louant aussi leur force, leur résilience. Des instantanés d'histoires personnelles, ces petits riens quotidiens qui racontent la vie des autres, la nôtre aussi.
Dans l'horreur de la guerre si peu médiatisée qui ravage le Yémen, bombardé jour après jour par les pays du Golfe, Arabie saoudite en tête, elle parvenait à déceler des lueurs d'espoir auprès de ces tenaces combattantes de la vie, comme dans l'article qu'elle nous avait adressé en mai 2018 et qui commençait ainsi : "La guerre peut faire ressortir le pire de la haine en nous, mais elle peut aussi mettre en lumière des aspects éclatants, comme notre forte volonté et notre décision d'aider les autres."
A retrouver dans Terriennes, le dernier texte d'Hind Aleryani, mai 2018 :
> Lueur d'espoir dans le Yémen en guerre : Laila Anaam et Maryam s’accomplissent en aidant d'autres femmes
Et le premier en février 2013
> Pourquoi donc les hommes ne se voilent-ils pas ?
Un engagement qui avait valu à Hind Aleryani nombre de récompenses à travers le monde dont le prestigieux prix "Arab Women of the Year Awards in London" en 2017, pour "ses campagnes en faveur de la paix dans son pays". Elle même, outre son rôle de blogueuse, se définit comme "journaliste, activiste et par dessus tout comme rêveuse".
Une rêveuse qui a aussi mené d'autres combats, comme celui contre le khat, une drogue dure consommée lors de toutes les cérémonies yéménites. Elle s'était installée à Istanbul, après avoir vécu à Beyrouth, d'où elle travaillait pour Monte Carlo Doualiya, la BBC et plusieurs autres médias arabophones et anglophones. C'est sur les rives du Bosphore, dans une Turquie devenue théâtre de tous les dangers pour les journalistes, que l'Histoire l'a rattrapée, l'obligeant à déménager rapidement.
La passivité des autorités a détruit la vie de ma fille
Hind Aleryani
Le 8 novembre sur son compte twitter, elle postait cet appel : "Pendant un an, je suis restée silencieuse, je n'ai pas parlé de ce qui m'arrivait à moi et ma fille pendant le processus de demande d'asile, auprès du bureau de @Migrationsverk. J'espérais que les choses se règleraient sans qu'il soit nécessaire de parler, mais la passivité des autorités a détruit la vie de ma fille."
For a whole year I was silent,didnt talk about whats happening to me&my daughter during the asylum process w @Migrationsverk was hoping that things will be solved without the need to talk.But this passive act ruined my daughter’s life.I’m open to interviews Hindaleryani@gmail.com https://t.co/ilSh3rv1QO
— هند الإريانيHend (@HindAleryani) 8 novembre 2018
Puis le 11 novembre 2018, alors que le monde parlait de paix pour les célébrations du centenaire de l'armistice de la Première guerre mondiale, ce court message de Hind nous parvenait : "Je traverse une période difficile, je suis en Suède mais il semble que la Suède ait beaucoup changé. Pendant un an, j'ai pensé qu'ils tiendraient compte de ma fille et de ce qu'elle a vécu, mais ils ont totalement ignoré cela." Le mail était accompagné de liens qui racontaient ses déboires en Suède, pays où elle voulait s'établir avec sa fille, auprès de sa mère et de sa soeur qui y avaient déjà obtenu le statut de réfugiées.
A l'automne 2017 Hind Aleryani est victime de l'ire de Abdelwahab Al-Humaiqani, homme politique et religieux salafiste aujourd'hui exilé en Arabie Saoudite, qui l'accuse sur une chaîne de télévision yéménite d'être financée par des organisations internationales en vue de "diffamer l'Islam", accusations qu'Hind Aleryani dément bien entendu.
Dans un message sur Facebook, Humayqani avait déclaré que le hijab ne devrait pas être obligatoire pour les "femmes laides" et "les personnes âgées." En réponse, Aleryani avait posté une photo d'elle sans le hijab, avec légende : "Laide et fière de l'être".
Les menaces de mort ont suivi, au téléphone et via les réseaux sociaux, les attaquants allant jusqu'à citer le nom et l'adresse de l'école de la fille d'Hind Aleryani à Istanbul.
"J'avais déjà reçu des menaces auparavant, mais ce qui m'a choquée c'est qu'elles s'adressaient aussi à ma fille alors que je ne parle jamais d'elle sur les réseaux sociaux ; la plupart des gens ne savent même pas que j'ai une fille. Mais là, ils connaissaient l'adresse de son école. Je ferai tout pour la protéger", a expliqué la journaliste. Une ligne rouge était franchie pour celle qui n'en était pas aux premières intimidations reçues.
Direction la Suède, où vivent déjà sa mère et sa soeur. En passant par Prague grâce à un visa reçu pour participer à une conférence. Mais arrivées en Suède, elles se heurtent aux barrières érigées de plus en plus haut en Europe, en particulier dans les pays où les populistes creusent leur tanière. La généreuse Suède a elle aussi été contaminée, avec 17% d'électeurs pour l'extrême droite aux élections de septembre 2018.
On imagine naïvement qu'une telle personnalité, une intellectuelle, une militante des droits des femmes d'une telle envergure, serait accueillie à bras ouverts par les autorités suédoises, au pays champion de l'égalité femmes/hommes. Mais non. Au début, elle espérait travailler en Suède, toujours comme journaliste, mais aussi comme bénévole auprès des nouveaux arrivants. Mais les lois sur l'immigration lui imposent de demander cette possiblité au pays de l'espace Schengen par lequel elle est entrée dans l'Union européenne, c'est à dire par la République tchèque - et donc de repartir, en laissant sa fille ou en l'emmenant, alors que la jeune adolescente est victime de troubles psychiques dûs à l'anxiété, conséquences des menaces et de l'exil.
L'image d'une victime n'est pas celle que je veux donner.
Hind Aleryani
Commence alors le chemin kafkaïen de tout.e réfugié.e dans la florissante Europe. La présence de sa famille proche en Suède aurait dû faliciter son installation à Stockholm : le règlement suédois prévoit des exceptions en raison de liens familiaux étroits avec des personnes déjà établis dans le pays, "mais l'Agence des migrations a déclaré qu'elle ne considérait pas cela comme applicable dans le cas d'Aleryani car elle et sa fille n'étaient 'pas à la charge' de leur famille." Trop indépendantes donc... L'agence ajoute que la décision de transfèrement en République tchèque était conforme à "l'intérêt supérieur de l'enfant". Alors que des médecins ont constaté les symptômes de sa fille : troubles du sommeil et de l'alimentation, ainsi qu'une anxiété grave, en lien, selon eux, avec l'avis d'expulsion, les menaces et les traumatismes antérieurs. Ils ont également noté que son environnement scolaire et familial stable en Suède avait permis un début de rétablissement.
Au site suédois The Local, elle dit : "L'image d'une victime n'est pas celle que je veux donner. Je suis une personne productive et indépendante et je veux pouvoir offrir mes compétences à la Suède et travailler ici."
Le site Middle East Eye rapporte, le 9 novembre, un entretien avec la jeune femme habituellement peu encline à s'épancher : "C'est une Aleryani dévastée qui a parlé à Middle East Eye de son épreuve, rompant son silence après plus d'un an d'efforts pour obtenir le droit de rester en Suède, où elle dit se sentir en sécurité."
"En tant que journaliste, j'écris des choses qui mettent certaines personnes en colère" a-t-elle dit à la rédaction.
Des personnalités se mobilisent. Iyad El-Baghdady, écrivain palestinien et militant des droits humains, établi en Norvège, tweete le 8 novembre : "Et pourtant Hind Aleryani est une femme arabe forte, indépendante, un atout pour tout pays qui voudrait l'avoir. Elle a choisi la Suède pour des raisons liées au rétablissement de sa fille adolescente traumatisée. La Suède cite les 'règles' comme prétexte pour refuser l'asile et traumatiser ainsi davantage la jeune fille."
And @HindAleryani is a strong, independent Arab woman and an asset to any country that would have her. She chose Sweden for reasons concerning recovery for her traumatized teenage daughter. Sweden is citing "rules" as excuses to deny asylum and further traumatize the girl. https://t.co/Ko1YDtaWXd
— İyad el-Baghdadi | إياد البغدادي (@iyad_elbaghdadi) 8 novembre 2018
Une campagne sur les réseaux sociaux s'organise aussi pour la soutenir avec ce mot dièse #HindNotaNumber en écho à ce qu'elle avait lancé pour se défendre "je suis traitée comme un numéro de dossier".
#HindNotAnumber if we can’t defend ourselves, then we cannot defend others. Protection of women human rights defenders asylum seekers by granting them residency is the least you can do @Migrationsverk @Refugees @margotwallstrom https://t.co/kyGLETwFeO
— Rasha Jarhum رشا جرهوم (@RashaJarhum) 8 novembre 2018
"Si nous ne pouvons pas nous défendre, alors nous ne pouvons pas défendre les autres. La protection des femmes défenseures des droits humains et des demandeurs d'asile en leur accordant la résidence est le moins que vous puissiez faire" lance aux autorités suédoises Rasha Jahrum, autre activiste yéménite.
Karen Attiah, l'une des signatures du Washington post, a tweeté son incompréhension face au sort réservé par les autorités suédoises à Hind Aleryani : "Déçue que la Suède refuse d'accorder l'asile à une éminente journaliste Hind Aleryani et menace de l'expulser, ainsi que sa fille traumatisée".
Disappointed that Sweden is refusing to give prominent journalist @HindAleryani asylum and is threatening to deport her and her traumatized daughter
— Karen Attiah (@KarenAttiah) 10 novembre 2018
C'est le moins que l'on puisse dire...
Hind Aleryani est membre du "Pacte des femmes yéménites pour la paix et la sécurité", une initiative soutenue par ONU Femmes et financée par les gouvernements néerlandais et britannique, avec pour objectifs de mettre fin à la violence, d'améliorer les conditions de vie et de favoriser l'inclusion des femmes dans le processus de paix. Il va de soi que Terriennes se joint au soutien que ONU Femmes et Reporters sans frontières lui apportent.
Suivez Sylvie Braibant sur Twitter > @braibant1