En juillet à Paris, onze marques de lingerie française se sont regroupées pour présenter, le temps d'une exposition itinérante, tout le savoir-faire et la créativité des corsetiers français depuis la fin du XIXème siècle à nos jours. Cette rétrospective de dessous, imaginée par Catherine Ormen, historienne de la mode et commissaire de l’exposition, montre que le corps féminin est façonné par la lingerie. En troquant le corset contre le string, les femmes ont-elles gagné en émancipation ? Pas sûr…
Effeuillage holographique
C’est un petit film de quelques minutes, soutenu par une musique de cabaret, qui montre l'évolution de la silhouette et de la gestuelle féminine définie par la lingerie depuis la fin du XIXème siècle. On voit très bien qu’en 1900 la femme est contrainte par le corset, qu’elle ne peut pas se baisser. Puis l’amélioration va être amenée par la division du corset en deux parties, un soutien-gorge et une gaine. Dans les années 20 le corps est plat, on cherche à faire disparaître les seins, alors que dans les années 50, le corps exprime l'amour avec une gestuelle très mesurée, très posée, très féminine. Les années 60 jettent aux orties les bas et les porte jarretelles pour adopter le collant, puis brûler le soutien-gorge sur l’autel de l’émancipation dans les années 70. Les années 80 marquent le retour du glamour avec l'introduction de la fibre lycra et c'est sur cette lancée que vont continuer les années 90 et 2000 avec l’apparition de la lingerie gainante qui va façonner le corps féminin.
La fin du corps ceint dans le corset
Si toute l’histoire de la mode du 20ème siècle retrace la marche vers l’émancipation féminine, la lingerie joue un rôle tout à fait particulier dans cette lente évolution des mœurs et de la sensibilité. Aux alentours de 1910, lorsque la femme se libère du corset, c’est une véritable révolution, souligne Catherine Ormen : « Tout à coup la femme a pu bouger, faire du sport, commencer à mener une vie active. Elle a cessé d’être contrainte comme elle l’était pendant des siècles par ce corset qui la rendait improductive, passive. » Divisé en deux parties, le corset donnera naissance à la gaine (l’ancêtre de nos culottes) et au soutien-gorge, lesquels vont se moderniser, se perfectionner pour devenir de plus en plus confortables. La lingerie a évolué au gré des avancées techniques des matières, le tricot élastique au début du siècle, puis le nylon dans les années 50 (découvert et utilisé 20 ans avant pour faire des toiles de parachutes et des bas) et à partir des années 60 la fibre lycra. « La spécificité française est d’être à l’avant-garde du progrès technique, mais aussi d’être attentive à toutes les évolutions de style », résume Catherine Ormen.
Vers une tyrannie du corps sculpté
Dans le même temps, cette lingerie va aussi et surtout servir à coller à une image, à correspondre à un critère esthétique dominant. « Elle va servir à améliorer les formes du corps féminin, à les parfaire et à les mettre aux normes de la beauté de chaque époque », précise Catherine Ormen. Pour répondre aux critères de beauté du début de siècle – taille fine, hanches rondes… - les femmes portent le corset les aidant ainsi à promener une silhouette de rêve. S’ensuivit la guêpière, « un lointain héritage du corset qui oblige la femme à se tenir droite, à cambrer les reins, à sortir la poitrine et à marcher d’une certaine façon, c’est-à-dire en croisant les jambes pour ne pas faire craquer ses bas et ses porte-jarretelles », s’amuse Catherine Ormen. Puis les années 20 imposent aux femmes des silhouettes plates, les obligeant à dissimuler leurs formes avec, par exemple le « boyish form », un soutien-gorge aplatisseur inventé par Marguerite Cadolle. A l’ultra féminité des années 50 où les femmes vont faire pigeonner leurs seins façon pin-up, va succéder l’androgynie des années 60, puis le corps triomphant des années 80. Bref, « à chaque époque va correspondre une silhouette que la lingerie va façonner » résume Catherine Ormen. Dans cette lignée que peuvent attendre les femmes du XXIème siècle ? « Les choses ne peuvent qu’évoluer vers un plus grand éventail de possibles », avance l’historienne. « Les dernières créations vont vers une lingerie beaucoup plus structurée, plus glamour, qui reprend la notion de gainage pour aider les femmes à façonner leurs corps, à lisser leurs silhouettes, le tout sans effort. » Et Catherine Ormen de conclure : « En ce moment on est plutôt dans une tendance où le corps se recouvre pour mieux se faire deviner, pour mieux se faire désirer sans doute aussi, c’est un des paradoxes de la lingerie qui cache et révèle à la fois… »
Le paradoxe de la culotte
La lingerie émancipe donc les femmes autant qu’elle les contraint ? Toute l’histoire de la féminité à travers le sous-vêtement repose sur un paradoxe saisissant puisque finalement quand le dessous est libre, la femme est contrainte, et quand le dessous est contraignant, la femme est libérée. « Pendant des siècles, le sexe féminin a été à disposition, puisque les femmes ne portaient pas de culotte », explique Catherine Ormen. « Elles portaient une multitude de jupons qui le cachaient, puis par-dessus une crinoline… des choses qui étaient encombrantes, mais laissaient son sexe ouvert, contrairement à l’homme dont le sexe est, dès le XIVème siècle, enfermé dans un pantalon. La marche vers l’émancipation a conduit la femme à porter une culotte sous le second empire, à cause de l’ampleur de la crinoline, puis petit à petit cette culotte s’est imposée à partir des années 1920. Et au moment où la femme obtient enfin le droit à la contraception, en 1967, elle met un panty, par-dessus des collants (qui sont sortis en 1965) et par-dessus un pantalon », s’amuse l’historienne. Une triple fermeture donc, au moment même où elle est enfin libre de procréer, de disposer de son corps comme elle l’entend ! Et Catherine Ormen de conclure : « Ce paradoxe-là est assez drôle ! »
En un peu plus de 100 ans d’histoire de la lingerie, la femme s’est dégagée du corset qui faisait d’elle un bel objet improductif. Mais si le corps a gagné en liberté de mouvement, il reste néanmoins tributaire, esclave parfois, d’une image imposée par une société prônant un corps toujours plus sportif, parfait, sculpté... D’où l’arrivée dans nos tiroirs, de toute une lingerie « gainante », qui par la magie des nouveaux matériaux, remonte les fesses et aplatit le ventre. Tyrannie de la beauté ? Probablement, mais plus assumée, plus amusée...
Catherine Ormen
Diplômée de l’École du Louvre et de l’École du Patrimoine, ancienne élève du Studio Berçot (stylisme), Catherine ÖRMEN en tant que conservateur du Patrimoine, a été chargée de la création du Musée de la Mode de Marseille avant d’être responsable du fonds XXe siècle au Musée de la Mode et du Textile – Arts Décoratifs. Elle a ensuite mené une carrière indépendante comme commissaire d’expositions tout en enseignant et en écrivant plusieurs ouvrages de référence sur l’histoire de la mode.
A lire
Il était une fois la "lingerie française XIXe - XXIe siècle" (ed. Plon) par Catherine Ormen, historienne de la mode. Découvrez 100 ans d'innovations, de savoir-faire, de luxe et de séduction ! Photographies de Gilles Berquet.
L'exposition
A Paris l'exposition est terminée mais rendez-vous à Londres du 2 au 7 octobre (au London Film Musuem), à Shanghai du 21 octobre au 5 novembre (au Citic Square) puis à Dubaï du 23 novembre au 6 décembre (à confirmer).
Petit lexique
CORSET : Sous-vêtement de tissu résistant, le plus souvent baleiné et s’ajustant au moyen d’un laçage, destiné à mouler le corps depuis le buste jusqu’aux bas des hanches. Souvent munit de jarretelles pour retenir les bas.
CRINOLINE : Cerclage de baleines ou de fils de métal sur fond de tissu crin qui permet de faire bouffer les jupes. Employée au XIXème siècle.
GAINE : Article de maintien souple fait de matière extensible, de forme plus ou moins tubulaire, souvent pourvu de jarretelles et d’un plastron abdominal. Elle est destinée à galber la taille et les hanches.
GUÊPIÈRE : Article cintrant tout le buste comme une "guêpe". Guêpière porte jarretelles : le même pourvu de jarretelles.
VERTUGADIN : D’abord appelé vertugade au XVIème siècle, ce jupon cerclé est l’ancêtre des crinolines du XIXème siècle.