Hoda Charaoui Pacha appuya sa pensée féministe sur les traditions orientales, en particulier sur la législation qu'elle trouvait plus progressiste, à juste titre, que les lois occidentales. Son combat portait avant tout sur les changements de société et dès les années vingt, le voile s'imposa comme pierre angulaire de ses écrits ou conférences, comme celle qu'elle prononça devant l'Université américaine du Caire, le 12 novembre 1929.
Née en 1879 (décédée en 1947) dans une riche famille musulmane de Minya, ville de moyenne Égypte au sud du Caire, Hoda Charaoui Pacha fonda le féminisme égyptien et oriental, par un geste spectaculaire : en 1922, elle se dévoila sur le bateau qui descendait le Nil vers Alexandrie d'où elle devait embarquer pour Rome, où elle était attendue à un Congrès international de femmes. Elle fonda L'Égyptienne, revue féministe mensuelle.
Lever le voile
Hoda Charaoui Pacha, dévoilée, au congrès international de Rome de 1923.
C’est à notre prophète, que revient en premier l’honneur d’avoir depuis plus de treize siècles confié à la femme le pouvoir de légiférer. N’a-t-il pas dit : "Apprenez la moitié de votre religion de cette femme issue de Homayar", en visant son épouse Aîcha ? Et cela veut dire que la parole de Aïcha était prépondérante en ce qui a trait soit à la "commentation" des textes de la loi musulmane ou à la vérification de ces textes. Depuis, les temps se sont succédés et à chaque époque, il y a eu des hommes sages et équitables qui ont pris à coeur de défendre les intérêts de la femme et qui ont cherché à la mettre en possession des droits à elle octroyés par la loi et approuvés par les principes d’équité et d'égalité.
De notre temps, un juge intègre: Kassem Emine a élevé la voix depuis un quart de siècle environ, réclamant la libération de la femme des chaînes où l’avaient tenue attachée de vieilles traditions, incompatibles avec la civilisation actuelle. Nous nous rappelons encore le grand tollé qui l’a accueilli ainsi que les attaques personnelles adressées tant à lui qu’à sa doctrine. Il a tout enduré avec le stoïcisme des grands réformateurs et le courage de ceux voués au sacrifice pour l’intérêt public. Il était convaincu que la semence jetée par lui finirait tôt ou tard par fleurir et fructifier. Les faits ont donné raison à Kassem ; les germes jetés par lui ont fleuri, non seulement en Égypte, mais dans la plupart des pays du monde islamique. La Turquie, où la femme avait une liberté relative, a, grâce à son grand libérateur le Ghazi Moustapha Kemal, rompu toute relation avec son vieux passé. La femme turque jouit aujourd'hui du privilège de sa liberté. Il n’est pas étrange qu'un peuple dont la langue n'établit aucune distinction de texte entre ses prénoms que par l’adjonction d’un membre de phrase, accorde, aux femmes, dans un avenir très proche, tous leurs droits politiques.
Messieurs, L’attitude de la femme d'Occident à l'égard de l'homme en ce qui concerne le mouvement féministe est toute autre que celle de la femme d'Orient. La femme occidentale en réclamant son indépendance se heurte à beaucoup de difficultés dont la plus grande partie découle des textes des lois. En luttant, elle semble chercher à amoindrir les droits conférés à l’homme. II n'en est pas de même pour la femme orientale. Celle-ci ne demande à l’homme que d'ouvrir devant elle la voie pour s’instruire et avoir l’expérience voulue pour mieux diriger des affaires et exploiter des droits accordés par la religion musulmane et qui égalent presque les droits dévolus à L’homme. C’est pourquoi la femme d’Orient, dans la voie des réalisations de ses droits a rencontré moins d’obstacles que sa soeur d’Occident. Cependant celle-ci nous a de beaucoup devancées. La raison en est que l’homme d’Orient a attribué à la liberté de la femme un tout autre sens que sa signification véritable qui est d’exercer ses droits naturels, exercice dont la femme d'Occident se trouve privée parce que son mari a pleinement le droit de disposer de sa fortune et de son gain et de la priver de la garde de ses enfants.
Tandis que la femme d'Orient, et tout particulièrement la femme musulmane, jouit de tout cela. L’homme d’Orient a compris ainsi que la liberté de la femme consiste à se montrer découverte. Influencé par les traditions il croit que l’abolition du voile doit conduire la femme à mal employer sa liberté. En réalité le voile ne préserve nullement la femme si elle ne trouve en elle-même son propre censeur. Mais il est une barrière élevée entre la femme et l’instruction comme il constitue une barrière entre elle et les expériences de la vie. Par ailleurs, il prive la société de bénéficier de ses dons et de les exploiter pour le bien être de l’humanité.
Il n’est pas possible à la femme ignorante de bien diriger son foyer ni de prendre soin de ses enfants, comme elle ne peut se rendre compte de l’étendue de la responsabilité lui incombant. Le voile ne l’empêchera pas de quitter sa maison .. Lorsqu’elle sort ce n’est ni pour gagner son pain ni pour rendre service à la Société, mais pour passer inutilement la plus grande partie de son temps.