Hommage aux femmes esclaves, héroïnes méconnues

A l'occasion du 2 décembre, Journée internationale pour l'abolition de l'esclavage, mise en lumière de ces oubliées de l'histoire, ces femmes esclaves qui ont lutté pour la liberté, et dont on ne sait pas grand chose. Solitude, Sanite, Heva, Claire : portraits de quatre héroïnes ayant combattu contre la France de la colonisation.

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4 femmes esclaves
La Guadeloupéenne Solitude (en haut à gauche), Sanite Belair lieutenante haïtienne, (en haut à droite), la marronne Heva de la Réunion (en bas à gauche), et Claire, ici monument rendant hommage aux marrons de la Guyane française (en bas à droite).
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On les appelle les femmes debout, ou femmes-courage, mais sont-elles, pour autant, des femmes sans histoire ? Car d'elles, on ne sait finalement pas grand chose, en tout cas moins encore que leurs alter-ego masculins, eux aussi peu reconnus dans l'Histoire française, hormis peut-être l'icône de l'indépendance haïtienne, Toussaint Louverture.

Elles, ce sont ces héroïnes, esclaves qui au nom de la liberté se sont levées face à l'oppresseur, face au système esclavagiste. Avec si peu d'archives et de documents les concernant, il est bien difficile d'aller à leur rencontre. Tout de même,  donnons-leur un peu de cette lumière historique. Elles le méritent. Voici donc quatre d'entre-elles : Heva, de la Réunion, Claire de Guyane française, Sanité Belair d'Haïti, et Solitude la Mulâtresse, de Guadeloupe.

Un tiers des personnes déportées d'Afrique étaient des femmes

Sur les 15 millions de personnes déportées d'Afrique lors de la traite esclavagiste transatlantique, entre le XVIe siècle et le XIXe siècle, plus d'un tiers étaient des femmes. "Les navires négriers amènent deux hommes pour une femme", peut-on lire dans le rapport Les esclaves femmes du Nouveau Monde (signé Arlette Gautier et publié à l'issue du colloque Femmes et esclavage, novembre 2001, ndlr).
Pour ces millions de femmes, ce fut la triple peine. Outre les travaux forcés et les conditions cruelles dans lesquelles vivaient ces populations esclaves, elles ont subi de multiples discriminations en raison de leur sexe et de leur couleur de peau.

femmes esclaves
Les femmes esclaves pendant la traite négrière, du statut d'objet meuble, comme le définissait alors le Code noir de 1685, à celui d'objet sexuel de leur maître.
(c) Schomburg Center for Research in Black Culture, New York

Non seulement violées et abusées par les maîtres, elles représentent aussi une forte valeur économique pour leur ventre. Utilisées pour leur reproductivité, elles vont permettre la repopulation dite "naturelle" de la main d'oeuvre dans les plantations. Toujours ce même ventre, instrument de pouvoir et de domination masculine dont parle Françoise Verges, dans son livre "Le ventre des femmes" (Editions Albin Michel), qui raconte le scandale de l'avortement et de la stérilisation forcée de milliers de femmes "noires et racisées" dans les années 70 à la Réunion.

Dans le Code noir de 1685, en vigueur dans les colonies françaises, les esclaves sont réduit.es au statut d’objets-meubles, sans distinction entre les sexes. En réalité, des différences existent, la situation des esclaves femmes variant d’une colonie à l’autre, et d’un siècle à l’autre.
 

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Le Code noir préparé par le ministre Jean-Baptiste Colbert (1616 - 1683) fut promulgué en mars 1685 par Louis XIV. La seconde version fut promulguée par Louis XV en 1724. Il sera définitivement abrogé lors de l'abolition de l'esclavage par la France, à la traîne d'autres nations, en 1848.
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Des formes de résistance tous azimuts 

femme pendue
La maternité revêtait pour la femme esclave une dimension d’une rare violence, parfois cela donnait lieu à des infanticides, pour lesquels elles étaient durement punies.
(c)unesco

Dans les plantations, elles ont les mêmes taches que les hommes.
Enceintes, elles doivent travailler jusqu'à l'accouchement et revenir dès le lendemain, sous peine d'être sévèrement châtiées. Par manque de nourriture pendant leur grossesse, beaucoup y laissent leur vie. Pour celles qui parviennent au bout, certaines préfèreront avorter pour que leurs enfants échappent à leur sort, ce qui a donné lieu dans certaines colonies à de forts taux d'infanticides. Une fois mères, elles ont aussi la charge d'élever leur famille tout en étant au service de la maison des maîtres. Souvent maltraitées voire torturées par les maîtres ou leurs épouses, d'objets meubles, elles peuvent aussi devenir objets sexuels de leurs propriétaires blancs. Sur les marchés d'esclaves, femmes et enfants étaient vendus à part des hommes, ce qui a donné lieu à la séparation des familles d'esclaves à travers les colonies.

De la survie à la résistance, beaucoup s'organisent malgré tout, en développant leurs  compétences, leurs talents (couturières, cuisinières, sages-femmes...), elles arrivent à construire un foyer, et certaines vont tenir des étals au marché ou de petites boutiques pour les maîtres.

esclaves lait
Esclaves productrices et vendeuses de lait. Surinam.1839
(c)Capture écran/Grioo.com

 Pour certaines, la voie du salut se présente sous la forme d'un mariage avec un esclave affranchi, avec l'espoir d'obtenir leur liberté et celle de leurs enfants. Dans le même espoir, d'autres choisissent, si on peut parler vraiment de choix, de devenir la concubine du maître.

Parfois, les plus fortes d'entre-elles vont endosser le rôle de chef spirituel de leur communauté, un engagement allant parfois jusqu'aux armes, faisant d'elles des combattantes de première ligne lors de révoltes.
Autre arme de lutte, la loi.
Exemple aux Antilles françaises, plusieurs femmes esclaves intentent des procès pour faire appliquer l’article du Code Noir qui fait de leurs enfants des personnes libres si elles-mêmes le deviennent, démontrant ainsi leur capacité d’agir et d’être actrices de leur destin.

vente d'esclaves
Les esclaves femmes, au pouvoir reproducteur, deviennent valeur économique pour repeupler les colonies.
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Si aux Etats-Unis, des esclaves femmes ont laissé des ouvrages, des recueils de poèmes ou de textes, rien du côté des esclaves françaises, ou francophones. Aucune biographie n’existe à ce jour.

HÉVA, à l'ombre d'Anchaing, son héros de compagnon

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Heva, héroïne marrone.
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Heva fait partie de ces héroïnes, indissociables de leur héros de mari ou compagnon. Elle est donc connue comme la compagne d'un certain Anchaing, célèbre marron qui a laissé son nom à un piton dans le cirque de Salazie dans l'île de la Réunion. Ce couple a donné lieu à l'une des plus mythiques légendes de l'île. Légende aux multiples versions, car sur le papier, difficile d'en écrire l'histoire avec précision. Les informations laissées par les  autorités coloniales concernant l’état civil des esclaves sont très insuffisantes.

Les marrons, ce sont les esclaves, en majorité d'origine malgache, qui, pour fuir les propriétés des colons français, se refugient dans les montagnes réunionnaises. Pendant des années, ils se cachent, résistent et subsistent en vivant de pêche, chasse, cueillette et petites cultures. Colonisée définitivement à partir de 1665 par la France, la traite se développe vers l’île à partir de 1725. Entre  1730 et 1770, les colons français s’organisent militairement et mènent une véritable chasse aux marrons. Parmi ceux et celles qui sont capturé.e.s, il y a entre 24% et 39% de femmes.

C'est dans la plantation où elle est jeune esclave qu'Héva rencontre Anchaing. Ils tombent amoureux. Un jour, Anchaing assiste aux coups de fouet qu'elle reçoit pour avoir brisé un vase, punition qui vient s'ajouter à de multiples maltraitances. Le couple décide de s'échapper la nuit même, pour rejoindre un piton réputé inaccessible (et qui porte aujourd'hui le nom d'Anchaing). Pendant des années, ils réussissent à échapper aux chasses à l'homme menées par les soldats français. Ils auront entre 7 et 8 enfants.

Dans les ouvrages évoquant la légende du marron Anchaing, Heva n'est que peu citée.
Comme le montre cet extrait de l’ouvrage de Louis Hery, (Le Piton d’Anchaing, Album de La Réunion, Louis Hery,  édité par Louis Antoine Roussin, 1860), « Il gravit le piton presque inaccessible qui s’élève à une hauteur de dix-huit cents pieds au-dessus des forêts environnantes, et, suivi de sa femme, il y planta sa tente. »
 

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Le couple légendaire de la résistance des marrons à la Réunion, Heva et Anchaing.
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Le poète réunionnais Auguste Vinson prête à Heva un cauchemar qu’elle aurait fait avant leur capture : « Je suis triste depuis quelques jours. J’ai eu un songe : je dormais près de toi avec nos enfants ; j’ai cru voir, sur un sommet, au milieu des branches amassées, un nid de colombes. Le père et la mère étaient avec leurs petits, ceux d’une première et ceux d’une seconde couvée. Ils étaient quatre d’une inégale grandeur comme nos enfants, joyeux et bien portants comme eux. Tout à coup j’ai vu de l’horizon venir un oiseau de proie, la papangue aux pieds jaunes ; qui s’est abattu sur le nid, en un instant le père, la mère et les petits étaient sous sa serre… Alors je me suis reveillée avec effroi. » (Salazie ou le Piton d’Anchaine, légende créole, Auguste Vinson, 1888.)

Sur le blog réunionpassion, on trouve aussi ces quelques lignes évoquant la situation d'Héva, esclave : « Héva, il ne l'aimait pas. Il la trouvait trop jolie pour une esclave, de plus elle était intelligente. Quelquefois il reconnaissait que si elle n'était pas noire ; il aurait peut être tenté une aventure avec elle. Mais l'affaire se corsait du fait qu'Héva était au service de Madame, qu'elle ne quittait jamais. Et puis ce qui l'énervait davantage, c'est qu'Héva avait un amoureux depuis quelques temps, un certain Anchaing, un cafre de belle allure, musclé et sachant bien réfléchir. ( …) Si un jour vous passez près du piton d'Anchaing, écoutez bien, peut-être entendrez vous Héva et Anchaing qui tout là haut défrichent un autre carré de terre pour planter... »

Les versions diffèrent sur la date et la manière dont Heva et Anchaing sont morts. On notera que ce sont dans des oeuvres plus contemporaines qu'Heva voit sa stature légendaire s’affirmer pour devenir à l’égal d’Anchaing, une grande figure de femme libre. Des batiments publics portent son nom, et de nombreuses statues peuplent les montagnes réunionnaises.

CLAIRE, marronne guyanaise, étranglée puis pendue

monument guyane esclave
La statue « Marrons de la liberté » en Guyane.
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Autre héroïne marronne, Claire est une esclave fugitive, morte en se battant pour conserver sa liberté dans le courant du 18ème siècle en Guyane française.

La traite négrière vers la Guyane commence en 1660. Elle aussi, comme à la Réunion, est marquée par le marronnage et les récits d’esclaves fugitifs. Ceux qui réussissent à s’échapper forment des groupes, pour survivre en forêt et se défendre contre les expéditions menées par les autorités. Leurs campements prennent la forme de véritables villages où les activités de subsistance (chasse, pêche, agriculture) se développent. Le Code Noir prévoit déjà des punitions sévères pour les marrons, mais les colons obtiennent plus dans sa nouvelle version en 1724, où l'article 35 les autorise à tirer à vue sur eux.

Sur le site LaMontagnePlon, dans un rapport baptisé La montagne plomb : une histoire exemplaire de femmes et de territoire (1742-1767) on peut lire le témoignage de Louis, un jeune marron capturé en 1748, permettant de reconstituer la vie d’une communauté d’esclaves en Guyane. Les femmes y sont nombreuses, quasi-la moitié, et participent activement à la vie du camp. Cette forte présence de femmes, toujours selon le récit de Louis, confirme que l’aspiration à la liberté existait chez les femmes comme les hommes. Le nombre important d’enfants dans le camp cité dans ce témoignage montre aussi que malgré un environnement hostile, elles n’hésitent pas à marronner avec leurs enfants comme l’a fait Claire, la compagne de Copena. "Cette forte présence féminine représente à n’en pas douter un facteur de pacification à l’intérieur du groupe, les conflits générés par la pénurie de femmes n’ont pas lieu d’être. Cette configuration renforce la sécurité du camp puisqu’il n’est pas nécessaire de prendre des risques avec des « opérations coup de poing » pour s’approvisionner en femmes dans les habitations limitrophes", apprend-on.

C'est courant septembre 1749, qu'un détachement de soldats français, d’Amérindiens et de colons lance l'attaque sur la Montagne Plomb. Ils parviennent à capturer au fin fond de la forêt épaisse amazonienne, le "Grand bois" comme l'appellent les Guyanais, un couple de marrons. Claire et Copéna. Ce dernier, jugé comme récidiviste, est accusé de pillage et d’incitation au marronnage, il est condamné au supplice de la roue jusqu’à ce que mort s’ensuive. Claire, elle, est étranglée puis pendue. Une double exécution qui se déroule en place publique à Cayenne à laquelle sont contraints d'assister les deux enfants du couple.

Le 10  juin 1848, le décret du 27 avril 1848 abolissant l’esclavage est promulgué et appliqué le 15 juillet. 12 500 esclaves sont touchés par le décret.

SANITE BELAIR, rebelle et soldate haïtienne

sanite belair portrait couleur
Portrait de Sanite Bélair par le peintre haïtien Mackenley Darius.
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Elle porte le nom de son officier de mari, Charles Belair, mais elle a su se faire un prénom, par les armes. Sanité Belair fait partie de ces nombreuses esclaves qui se sont soulevées, et qui ont participé à l'insurrection sur le front haïtien.

L'origine de la révolte remonte à août 1791. Les esclaves de St Domingue entrent en rebellion. Parmi eux, figurent de nombreuses femmes, difficile de connaître néammoins leur nombre exact. Ce qu'on sait, c'est que certaines sont au cœur de la stratégie conçue par Toussaint Louverture pour organiser des guérillas contre les Français, notamment dans les territoires intérieurs.

Sanite Bélair est l'une des figures de proue de ces commandos, mais d'autres s'illustrent aussi par leur bravoure et leur courage dans les combats : Défilée (appelée également Dédée Bazile), ou encore Claire Heureuse, épouse de Jean-Jacques Dessalines.

Sanite, de son vrai prénom Suzanne, est une jeune esclave affranchie lorsqu'elle épouse en 1796, Charles Bélair, neveu, aide de camp et lieutenant de Toussaint Louverture. Elle est de tous les combats, jamais très loin de son époux. Elle fera d’ailleurs montre d’un tel acharnement qu'elle finira, dit-on, par figurer comme l'âme même de la conjuration.

Sanite tombe dans un gets apens, et se fait capturer lors d'une attaque surprise, menée alors que la plupart du contingent rebelle est partie chercher des munitions et des renforts. Apprenant son arrestation, son mari décide de se rendre. Quelques heures plus tard, ce 5 octobre 1802, tous deux sont condamnés à mort. Le tribunal colonial « considérant le grade militaire de Charles et le sexe de Sanite, son épouse, condamna ledit Bélair à être fusillé et ladite Sanite, sa femme à être décapitée ». Les récits rapportent que lorsque Charles Bélair se retrouve devant le peloton d'exécution, il entend la voix calme de son épouse l'exhortant à mourir en brave, c'est alors la main sur le coeur qu'il tombe sous les balles. Vient ensuite le tour de Sanite. Elle refuse qu'on lui bande les yeux, et le bourreau ne parvient pas à lui faire courber le dos pour installer sa tête sur le billot : « L’officier qui commandait  le  détachement fut obligé de la faire fusiller. »

C'est ce que Sanite voulait, mourir dignement, comme un soldat. (Sources Mémoire de Femmes. Claude-Narcisse, Jasmine -en collaboration avec Pierre-Richard NARCISSE-Port-au-Prince, 1997 )

billet sanite
Billet édité en 2004 à l'effigie de Sanité Bélair, en commémoration du Bicentenaire.
(c)monnaiedumonde.net

Le 1er janvier 1804, la République d’Haïti est proclamée. Cette indépendance n'a cependant pas les mêmes conséquences pour les deux genres. Voici ce que dit la première constitution d'Haïti en 1805 dans son article 9 : "Personne ne peut être haïtien s'il n'est un bon père, un bon fils, un bon mari et surtout un bon militaire". Surprenant et tellement injuste, quant on sait la lutte féroce des femmes contre l'esclavage et que le quart des esclaves venaient de zones où les femmes avaient certaines formes de pouvoir politique. Maigre revanche pour Sanite Belair, son visage figure depuis 2004 sur le billet de 10 gourdes, imprimé à l'occasion du Bicentenaire de l'Indépendance.

SOLITUDE, icône de la résistance guadeloupéenne

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Solitude, statufiée aux Abymes, Guadeloupe.
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Connue également sous le nom de Mulâtresse solitude, née sur la petite île de Sainte Lucie vers 1772, elle était "Libre de couleur" avant l'abolition de l'esclavage décrétée en juin 1794. On la surnomme la Mulâtresse Solitude à cause de sa peau claire, conséquence du viol d’une captive africaine sur le bateau qui l’entraînait vers les Antilles. Une fois sa liberté acquise, Solitude rejoint une communauté de Marrons retranchés dans les mornes.

Malgré l'abolition, la situation reste confuse et conflictuelle dans l'île, théatre d'affrontements et de rebellions, entre propriétaires blancs et affranchis noirs.
En novembre 1801, Napoléon décide d'y rétablir l'ordre colonial et y envoie plusieurs bataillons. Des officiers de l’armée décident de résister au nom des Lumières et de la liberté. Parmi eux, Louis Delgrès, qui le 10 mai 1802 lance ce slogan :"A l’univers entier, le dernier cri de l’innocence et du désespoir". Placardée sur les murs de Basse Terre, cette formule sert de cri de ralliement. 

Dans cette guérilla, les femmes combattent aux côtés des hommes. Parmi elles, Solitude, qui pistolet à la main rallie les maigres forces de Delgrès. Elle est enceinte de son compagnon, un Nègre marron qui se bat comme elle et sera bientôt atteint par un obus. Elle se fait capturer le 23 mai 1802, lors de l’attaque du camp de Palerme menée par le général Gobert. Elle est condamnée à mort. Enceinte, elle ne sera exécutée qu'après la naissance de son enfant, le 29 novembre 1802. La foule qui l’accompagne vers la potence est immense et silencieuse. A 30 ans, elle laisse un enfant à l’esclavage : le nouveau-né dont elle a accouché la veille. Ce n'est que 46 ans plus tard, en 1848 que sera décrétée la deuxième abolition de l’esclavage (Source afrikhepri.org).
 

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La Mulâtresse Solitude, de André Schwarz-Bart (Points).
(c) Points

Dans un roman paru en 1972, l’écrivain de la résistance, contre l’esclavagisme, contre l’antisémitisme, André Schwarz-Bart fait entrer Solitude dans la légende, sous le titre La Mulâtresse Solitude. ( Le Seuil)

Elle n'est ni noire ni blanche. Solitude, la fille mulâtresse d'une Africaine arrachée à son village par des trafiquants d'esclaves, est condamnée à servir les Blancs. Mais dans ses veines brûle le feu de la révolte. Aux côtés de Maïmouni et des troupes noires cachées dans les forêts de la Soufrière, elle lutte pour la liberté. 
Extrait La Mulâtresse Solitude, André Schwarz-Bart (Le Seuil, 1972)

En 2017, la metteure en scène de théatre contemporain Fani Carenco porte à la scène le roman d’André Schwarz-Bart, dans une atmosphère baignée des croyances antillaises. Trois comédiens portent le récit de ce destin exceptionnel. La pièce a été jouée à la Grande Halle de la Villette, ainsi qu'au festival OFF d'Avignon, mais aussi en Guadeloupe et en Martinique.

Devenue une figure emblématique de la résistance des esclaves noirs antillais, plusieurs monuments lui rendent hommage. La commune des Abymes en Guadeloupe a érigé une statue à sa mémoire, sur le boulevard des Héros, en 1999. Elle est l'œuvre du sculpteur guadeloupéen Jacky Poulier. En 2007, une autre statue a été érigée à Bagneux (Hauts-de-Seine) à l’occasion de la commémoration de l’abolition de l’esclavage et de la traite négrière . Dernier hommage en date, en 2014, la ville d'Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) a décidé de baptiser une allée à son nom.

allée mulatresse
Une allée portant le nom de la Mulâtresse Solitude a été inaugurée le 3 décembre 2014 à Ivry-sur-Seine, en banlieue parisienne.
(c)David Merle pour Ivrymaville.com
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Fanny Glissant, réalisatrice.
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Ce qui est paradoxal, c’est que l’intégration de la descendance de ces femmes esclaves va contribuer à la perpétuation de l’esclavage.
Fanny Glissant, co-réalisatrice du documentaire en 4 épisodes Les Routes de l'esclavage.

Terriennes : Les femmes esclaves, il y en a eu de tout temps, mais leur statut diffère selon les périodes…

Fanny Glissant : Il est important de replacer le système esclavagiste dans son contexte historique et de montrer la capacité de cette institution qu’est l’esclavage à s’adapter au système économique dans lequel il se trouve. Par exemple, du 7ème au 13ème siècle, première partie historique de notre documentaire, on se rend compte que deux tiers des esclaves sont des femmes. Pendant cette période, les descendants d’esclaves ne sont pas forcément esclaves. C’est le statut du père qui conditionne le statut de l’enfant. Beaucoup de femmes esclaves s’intègrent ainsi dans la société, sous forme de concubines, de femmes d’agrément, de domestiques. On est vraiment sur l’examen d’un marché matrimonial.
Il y a des esclaves à tous les rangs de la société. Cet esclavage féminin est permanent sur toute cette période. Ce qui est paradoxal, c’est que l’intégration de la descendance de ces femmes esclaves va contribuer à la perpétuation de l’esclavage. Comme on avait besoin d’une main d’œuvre servile, le fait que la descendance soit affranchie avait pour conséquence qu’il fallait que l’on renouvelle sans cesse le contingent.  

Lors de la période suivante, au moment de la création des plantations sucrières, les hommes et les femmes avaient les mêmes taches. Il n’y avait pas de spécificité. Et les contingents étaient à peu près composés pour moitié d’hommes et de femmes. Mais à partir du moment où les femmes travaillent aussi dur que les hommes, vous avez une mortalité infantile qui est vertigineuse. 90% des enfants de ces femmes meurent. Cela s’explique aussi par la durée de vie sur les plantations qui était de 7 à 10 ans.

Le ventre des femmes va devenir un placement... A partir de là, le maître en a l’entière jouissance. Ce qui aboutit à une banalisation complète du viol. 
Fanny Glissant

Les choses vont changer à partir de 1807 pour les Britanniques, 1815-1830 pour les Français, 1851 pour les Portugais et les Brésiliens, on va arrêter de déporter de nouveaux captifs venant d’Afrique. Du coup, on se retrouve dans une situation où l’accroissement du cheptel se fait par un accroissement naturel. Ce fut d’ailleurs un des arguments des abolitionnistes de la traite  négrière. Il faut désormais pratiquer un esclavage plus clément et améliorer les conditions de vie des esclaves pour favoriser un renouvellement naturel de cette main d’œuvre. Le ventre des femmes va devenir un placement, va rentrer dans le système économique de la plantation et du système esclavagiste. A partir de là, le maître en a l’entière jouissance. Ce qui aboutit à une banalisation complète du viol. Il y a par exemple l'histoire de Celia une enfant de 14 ans, qui dans une plantation du Missouri, est régulièrement violée par son maître qu’elle finira par assassiner à ses 18 ans, alors qu’elle a déjà eu trois enfants de lui. On va aussi encourager les mariages entre esclaves pour permettre l’accroissement  des populations. Vous avez des familles avec un nombre d’enfants incroyable. Il y a aux Etats unis, le cas de deux femmes qui à elles deux ont eu 25 enfants et qui ont peuplé toute une plantation, avec au total 200 descendants.

Retrouvez aussi l'article de Marion Chastaing
« Les Routes de l’esclavage » : une série-documentaire française interroge les racines de l’esclavage

Pour d'autres infos rdv sur memorial.nantes.fr (notamment l'exposition 10 femmes puissantes, portraits de femmes en lutte contre l'esclavage colonial qui a beaucoup contribué à la réalisation de cet article), le site du Comité national pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage www.cnmhe.fr mais aussi  rememberslavery.un.org