Mélanie Goyeau, Osez le féminisme
Pour Ernestine Ronai, à la tête de l'Observatoire départemental des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, le procès de 1972 avait été "un combat vraiment très dur" pour la jeune Marie-Claire. "Elle l'a menée courageusement. Ce procès est un symbole et elle a accepté ce que Gisèle Halimi voulait en faire, c'est-à-dire un procès politique pour le droit à l'IVG. A l'époque, ce n'était pas une évidence", ajoute la militante féministe.
"Vous condamnez toujours les mêmes, les Mme Chevalier"
"C'est toujours la même classe, celle des femmes pauvres, vulnérables économiquement et socialement, cette classe des sans-argent et des sans-relations qui est frappée. (...) Vous condamnez toujours les mêmes, les Mme Chevalier", lançait Gisèle Halimi lors de sa plaidoirie au procès de Bobigny en 1972.
À 16 ans, Marie-Claire Chevalier décide d'avorter après avoir été violée par un garçon de son lycée, dans une France où l'IVG est encore illégale. Après dénonciation de son violeur, elle est inculpée et sera jugée avec quatre autres femmes, dont sa mère, Michèle, pour complicité ou pratique de l'avortement.
Gisèle Halimi, lors du procès de Bobigny

"Regardez-vous et regardez-nous. Quatre femmes comparaissent devant quatre hommes... Et pour parler de quoi ? De sondes d'utérus, de ventres, de grossesses et d'avortement (...) A-t-on le droit, en France, dans un pays que l'on dit 'civilisé', de condamner des femmes pour avoir disposé d'elles-mêmes ?", plaide Me Halimi.
Marie-Claire Chevalier, mineure, comparait devant le tribunal pour enfants de Bobigny. Au terme de l'un des procès les plus retentissants de la conquête des femmes pour leurs droits, elle est relaxée. Sa mère écope de 500 francs d'amende, Micheline Bambuck, la praticienne de l'avortement est condamnée à un an de prison avec sursis.
"L'audience est publique, laissez-nous entrer ! ", crient en choeur les femmes rassemblées devant le tribunal, le jour de l'annonce du verdict.
"Ce jugement est à l'image même du désarroi des juges devant cette loi sur l'avortement", déclare l'avocate, lors d'un reportage (à voir sur site de l'INA). "Ce jugement est quand même un pas irréversible vers un changement de la loi (de 1920) (...) Je crois que les juges ont été troublés par ce débat qui a été fait (...), je les ai engagés à faire le pas, à faire le saut qualitatif de prendre leurs responsabilités, c'est leur droit et c'est leur devoir, c'est aux juges de changer la loi et d'indiquer qu'elle ne peut plus être appliquée".
Marie-Claire Chevalier, l'accusée âgée de 16 ans, est alors défendue par Gisèle Halimi, avocate de renom et militante engagée pour le droit à l'#avortement. pic.twitter.com/6N01xQDjKz
— Marie Claire (@marieclaire_fr) November 8, 2021
Marie-Claire, violée à 16 ans
Violée par un garçon de son lycée, Marie-Claire Chevalier, tombe enceinte. Elle n'est alors qu'une jeune fille. Nous sommes en 1971, l'avortement est interdit par la loi. Elle demande de l'aide à sa mère, modeste employée de la RATP, qui avec un revenu de 1500 francs par mois et trois adolescents à charge, ne peut régler les 4500 francs qui lui réclame le gynécologue. Michèle Chevalier s'adresse à l'une de ses collègues, une "faiseuse d'anges". L'avortement est pratiqué pour 1200 francs. Trois semaines plus tard, celle-ci doit être conduite aux urgences : une infection s'est déclarée, il y a hémorragie. Finalement, Marie-Claire s'en sort et rentre chez elle sans être inquiétée. Tout aurait pu se terminer ici, comme pour des milliers d'autres femmes à l'époque. Mais, croisant son violeur, elle a le tort de lui dire qu'elle s'est débarrassée de l'enfant dont il l'avait engrossée. Quelques semaines plus tard, Daniel P est arrêté pour vol de voitures. Il négocie la clémence de la police en échange de la dénonciation de Marie-Claire. Celle-ci se fait arrêter, ainsi que sa mère et trois collègues qui les ont aidées.C'est à la bibliothèque de la RATP que Michèle Chevalier découvre les noms de Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir, fondatrices de l'association féministe "Choisir". C'est ainsi qu'elle demande à la célèbre avocate de les défendre. Les deux célèbres militantes décident avec l'accord des inculpées de mener un procès politique de l'avortement : loin de demander pardon pour l'acte commis, la défense attaquera l'injustice de la loi de 1920.
Lors de ce procès, des centaines d'articles paraissent dans la presse. Pourtant, l'article 39 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse interdit aux journalistes de publier des débats d'avortement. Parmi les journalistes à ne pas respecter cette loi, Françoise Giroud, éditorialiste à L'Express "qui met au défi la justice de la poursuivre". Ce qui n'arrivera pas.
"Enfoui dans ma mémoire"
Née le 12 juillet 1955 à Meung-sur-Loire (Loiret), on découvre dans un portrait que lui consacre Libération en 2019, que Marie-Claire est, à l'âge de 4 ans placée chez sa grand-mère, qui la battait, puis chez sa tante, maraîchère, qui la frappait aussi.Après le procès, elle est confiée à un institut catholique. Elle se retrouve embauchée dans une pouponnière, puis devient soudeuse, avant de rejoindre la RATP comme poinçonneuse, puis de devenir aide-soignante, "elle ne peut plus rien tenir aujourd'hui entre son pouce et son index", précise l'article.
Marie-Claire Chevalier, dans Libération (2019)
Selon son compagnon, Marie-Claire Chevalier avait conservé de bons rapports avec l'avocate. Elle se rendait régulièrement à Paris pour passer la journée avec la militante féministe. L'ancienne aide soignante souhaitait toutefois rester dans l'ombre, selon sa famille. Elle avait changé de prénom à l'issue du procès pour retrouver son anonymat.
Marie-Claire Chevalier a été accusée au procès de Bobigny et défendue par Gisèle Halimi pour un avortement illégal après un viol en 1972. Le retentissement de ce procès a contribué à la loi autorisant l’IVG en 1974. Elle est morte dimanche.https://t.co/hCEtwXFWw1
— Libération (@libe) January 25, 2022
Héroïne, malgré elle, du procès de Bobigny
En 2005, François Luciani s'inspire de cette affaire ainsi que du livre de Gisèle Halimi La cause des femmes pour réaliser le téléfilm Le Procès de Bobigny. Juliette Lamboley et Sandrine Bonnaire y incarnent Marie-Claire et Michèle Chevalier.En 2015, Hors-la-loi, une pièce de Pauline Bureau, à la Comédie-Française, retrace l'histoire du procès de Bobigny. Son originalité est d'en parler pour la première fois du point de vue de Marie-Claire Chevalier. Basée sur les minutes du procès et des documents d'archives, il livre le témoignage de Marie-Claire elle-même. "Je voulais savoir ce que cela lui avait coûté aussi, d'être reconnue dans la rue, de devoir changer de nom", explique la metteuse en scène.
Marie-Claire a dû attendre d'avoir la trentaine pour arriver à avoir des relations sexuelles. Elle a eu une petite fille, Jennifer, qu'elle a élevée, seule. Elle est aussi devenue grand-mère. De grands bonheurs qu'elle doit au fait d'avoir pu disposer librement de son corps. Ce corps frêle et malade a fini par la lâcher un dimanche de janvier. Quant à Gisèle Halimi, décédée il y a un an, aucune date n'a été fixée pour l'hommage que la Nation a prévu de lui rendre aux Invalides.
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