Fil d'Ariane
La romancière américaine Mary Higgins Clark est morte le 31 janvier 2020 à l’âge de 92 ans. Si le succès phénoménal de ses romans depuis 1975 a fait sa fortune, la vie de cette reine du suspense n'a pas toujours été un long fleuve tranquille : orpheline de père à 10 ans, mariée à 20 ans, veuve à 35 ans, elle avait commencé à écrire des nouvelles, des scripts et des biographies dès 1956. Seule avec cinq enfants à élever, elle fut standardiste, dactylo, puis hôtesse de l'air, et continuait à écrire sur un coin de la table de sa cuisine pour arrondir ses fins de mois.
En 1975, elle signe un premier roman, La Maison du guet (Where Are the Children ?), qui se vend tout de suite à des dizaines de milliers d'exemplaires. Son héroïne est déjà une femme - une mère accusée d'avoir assassiné ses deux enfants. Il en sera ainsi dans la cinquantaine de "polars" qui ont suivi, à raison d'un ou deux par an. Tous se sont vendus à au moins 200 000 exemplaires.
“J’ai écrit sur des femmes qui ont trouvé la force de surmonter leurs difficultés”, expliquait Mary Higgins Clark en novembre 2019 au micro de nos confrères de France Inter. “Elles ne sont pas sauvées par un prince sur son cheval blanc, elles doivent se débrouiller seules, être indépendantes. Les femmes dans mes romans résolvent elle-même leurs problèmes, c’est pour moi une marque de fabrique, elles n’attendent pas l’arrivée du destrier blanc”.
DISPARITION >> “Le jour de ma mort, je voudrais que l'on dépose dans mon cercueil un cahier à spirale, un stylo et une bouteille de vin. Je serai ainsi équipée pour écrire depuis l'au-delà”
— Livres Hebdo (@livreshebdo) February 1, 2020
La reine du suspens Mary Higgins Clark est morte.
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A sa mort, l'autrice voulait être enterrée "avec un cahier et un crayon, pour continuer à écrire, m'avait-elle dit il y a une dizaine d'années" raconte Anne Damour, sa traductrice, qui voit avec émotion la mort de Mary Higgins Clark mettre un terme à une belle amitié et quarante ans de coopération professionnelle.
"Il ne faut jamais juger les gens, vous ne savez pas quel chagrin les déchire au fond d'eux-mêmes."
— foise cosson (@foise_cosson) February 1, 2020
décès de Mary Higgins Clark pic.twitter.com/IYQoRRINDC
Les femmes, dans ses romans, sont-elles aussi meurtrières ?
Jamais ! Elles sont à peu près toutes sur le même modèle et ce sont elles qui découvrent le meurtrier. Mais pas une seule d'entre elle n'est une meurtrière. L'assassin, le psychopathe, est toujours un homme. C'est ainsi qu'elle voyait les choses : les femmes étaient fortes et les hommes faibles. Il n'y a pas une seule femme dans ses romans qui se laisse abattre par l'adversité. Elles peuvent être froides, dures, mais ce sont surtout des battantes. Certainement parce qu'elle-même l'a toujours été. Il y avait toujours quelque chose d’elle dans ses livres. Les femmes étaient présentes et elle savait les mettre en valeur.
Les hommes étaient fragiles selon elle ?
Oui, c'est un peu vrai... Beaucoup sont morts autour d'elle. Cela dit j'ai bien connu son deuxième mari, et il n'était pas du tout fragile...
En 1994, Michel Field reçoit Mary Higgins Clark qui vient de publier Souviens-toi. Elle raconte comment elle travaille avec la police, la morgue, les psychiatres...
Elle était ce que l'on appelle une guerrière ?
Elle s'est toujours battue sans jamais se laisser décourager, même après plusieurs deuils brutaux parmi ses proches et malgré les difficultés matérielles qui s'en sont suivies. Quand son père est mort d'une crise cardiaque, elle a travaillé comme standardiste dans un hôtel de Manhattan pour aider sa mère devenue veuve, puis elle est devenu dactylo et hôtesse de l’air pour la Pan Am. Elle a aussi perdu un frère d'une méningite et un neveu dans un accident. Son premier mari est lui aussi décédé brutalement, d'une crise cardiaque, la laissant seule avec 5 jeunes enfants. Et là, elle a pris sa décision : "Il faut que je m'en sorte." Et elle a continué à écrire, jusqu'à ce que vienne le succès.
Quelle femme était-elle ?
Elle était toujours d'un abord très facile, même quand elle était devenue une célébrité. Jamais prétentieuse, toujours drôle et gentille. Le secret de son succès, c'est qu'elle était en totale empathie avec chaque personne avec qui elle parlait. Il y avait des heures d'attente à chaque séance de dédicace et elle posait des questions à chacun, sincèrement.
Mary Higgins Clark, Librairie Kléber à Strasbourg, 2006. Une si belle rencontre. pic.twitter.com/M39CaSDYlb
— JPVest (@VestJP) February 1, 2020
Elle adorait aussi raconter des histoires. Je crois que ce goût pour le conte lui venait de ses origines irlandaises, dont elle parlait souvent. C'est aussi de ses racines modestes et catholiques que lui venait son attachement aux valeurs familiales et à sa famille, qu'elle plaçait par-dessus tout. Ses héroïnes aussi restent conformes à ces valeurs, même si ce qu'elles sont en font des modèles d'autonomie et d'égalité des genres.
Elle a écrit avec sa fille. Comment se passait cette collaboration ?
Ses rapports avec sa famille étaient tous très bons. En bonne Irlandaise, elle était toujours entourée par les siens. Elle a travaillé avec sa fille Carol qui, de son côté, a écrit des romans qui n'ont pas mal marché.
Quelles étaient ses modèles ?
Je ne lui en connais pas. Ce que je peux assurer, c'est qu'elle n'avait pas de nègre, contrairement à ce qu'on a pu entendre. Elle travaillait toute seule.
Quelles étaient ses sources d'inspiration ?
Les faits divers, les faits de société. Elle a toujours écrit sur les violences sexuelles faites aux femmes, depuis le début, dans La nuit du Renard, déjà. Elle a aussi dénoncé les abus des médecins sur les femmes dans La clinique du docteur H - un roman qui a plus de trente ans - ou dans Cherche jeune femme aimant danser. Elle le faisait à sa façon, à travers une intrigue policière, mais elle dénonçait. Quant à son dernier roman, En secret, il vient tout droit du mouvement #MeToo et de l'affaire Weinstein.
Quel trait de caractère était le plus frappant chez elle ?
C''était quelqu'un qui n'avait jamais peur. Elle avait traversé beaucoup d'épreuves, alors la peur, elle ne connaissait pas. Dans des situations où n'importe qui aurait eu ne serait-ce qu'un mouvement de recul, elle ne cillait pas. J'ai vu un jour trois jeunes au look de voyou se précipiter sur elle en bousculant la foule. Tout le monde a sursauté, mais elle est resté totalement impassible. Pas l'ombre d'un tressaillement. Il s'est avéré que les garçons voulaient juste une photo avec elle, ce qu'elle a fait avec le sourire. Une autre fois, nous avons eu un accident de voiture en Provence, sans gravité, mais tout le monde à crié... sauf elle.
Anne Damour : 40 ans d'écriture avec Mary Higgins Clark
En 1978, Anne Damour est jeune traductrice chez Albin Michel et Mary Higgins Clark commence à être connue en France avec La nuit du renard. Anne Damour a fait des études de lettres et de littérature anglo-saxonne, avant de trvailler dans l’édition, la publicité et la télévision. A mesure que grandit la notoriété de l'autrice américaine prolifique, elle se consacre exclusivement à la traduction. Aujourd'hui, à 80 ans, elle fait le bilan auprès de nos confrères de La Dépêche : "J’ai traduit environ 45 romans de Mary Higgins Clark et une cinquantaine si on compte ce qu’elle a écrit avec d’autres auteures. Et j’ai toujours été en lien avec elle."
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