Fil d'Ariane
À la différence du coming out, qui est la révélation de son homosexualité aux autres, le coming in est l’acceptation personnelle de son identité sexuelle. Ce processus, parfois long et douloureux, est mis en lumière par la journaliste Élodie Font dans son dernier ouvrage justement intitulé Coming In (Splitter éditions). Une BD à la fois ludique et émouvante qui aborde sans misérabilisme le long chemin parcouru par la journaliste pour accepter son homosexualité dans une société où, malgré l’avancée des droits et l’obtention du mariage pour tous les couples, les personnes LGBT font encore face à de nombreux défis.
Journaliste et scénariste de bandes dessinées, Élodie Font est connue pour ses podcasts documentaires diffusés sur plusieurs radios nationales en France. Avec Coming In, elle revient sur une histoire personnelle et touchante.
De son côté, l’autrice et illustratrice de bandes dessinées Séverine Tales raconte le quotidien d’une famille homoparentale, avec ses moments de joie, de fou rire, de tristesse, mais aussi parfois d'irritation face à des enfants pas toujours faciles à raisonner. Dans son ouvrage intitulé Chroniques décalées d'une famille ordinaire (Payot graphique éditions), la bédéiste illustre les difficultés auxquelles doit faire face une famille homoparentale, notamment l’homophobie ordinaire qui surgit au détour d’une phrase, d'un regard ou d'une complication administrative.
Terriennes : qu'est-ce qui vous a décidé à raconter votre histoire en BD ?
Élodie Font : Avant d'être une bande dessinée, Coming In était un podcast diffusé depuis mai 2017 sur Arte Radio. Le projet est né d'une conversation que j'ai eue avec Silvain Gire, le responsable éditorial et cofondateur de la plateforme, qui m'a dit qu’il n’avait pas de podcast sur cette période où l'on se découvre. Après avoir entendu mon histoire et compris le temps que j'avais mis avant d'accepter mon homosexualité, il m'a dit que je devais écrire là-dessus.
Avant sa proposition, je n'avais jamais vraiment pensé à raconter ce qui s'était passé pendant cette période, mais dès que j'ai commencé à écrire, les mots venaient naturellement. Je me suis rendu compte que c’était très important et très fort d'écrire sur cette période où l'on s'accepte. J'ai terminé l'écriture du podcast assez rapidement. Ensuite on l’a mis en ondes et diffusé en mai 2017. Ça fait maintenant cinq ans.
Le succès du podcast m'a permis de me rendre compte qu'il y avait vraiment un besoin de récits et que ces récits pouvaient servir d'autres personnes LGBT. Le projet d'adaptation en bandes dessinées m'a intéressée parce que je trouve que lorsqu'on réalise un documentaire sonore, on laisse de la place aux gens pour qu'ils puissent imaginer les rouages de l'histoire, et peut-être se raconter leur propre histoire à travers celle que l’on raconte. Dans une bande dessinée, l'identification est plus forte grâce à l'image. Le dessin apporte vraiment quelque chose à l’histoire. De plus, je n’avais pas forcément envie d’écrire un essai sur cette thématique personnelle.
J’avais vraiment envie de faire ressentir au lectorat des choses qui ne se disent pas. Peut-être aussi parce que c’est une thématique où tout ne se dit pas. La bande dessinée était donc un support parfait, surtout pour toucher un public plus jeune. Et puis Coming In est ma quatrième bande dessinée, puisque j'avais déjà écrit trois autres scénarios de bandes dessinées. Ça me semblait naturel d’écrire et de publier sous ce format que j’adore, qui me touche et me parle énormément.
Séverine Tales : Au départ, c'était simplement une envie de partager mon quotidien de parent de trois petits garçons plein de vie, assez déstabilisants et fatigants parfois. La bande dessinée me permettait de partager ces moments de façon ludique et spontanée. Après avoir réalisé et publié quelques pages, je me suis rendu compte à la fois de l’universalité des problématiques que je soulevais : "Comment élever des enfants ? Comment répondre à leurs premières interrogations ?" mais aussi de la singularité de ma composition familiale, qui n’était pas très visible, ni très représentée.
J'ai eu envie de montrer l’intérieur d’une famille homoparentale pour répondre à un vrai besoin de représentation qu'éprouvent de nombreuses personnes qui me suivent sur Instagram. Au début, le compte n’était accessible qu’à mes proches et à mes amis, mais lorsque je l'ai rendu public, j'ai eu à ma grande surprise beaucoup de retours positifs de personnes hétérosexuelles, mais aussi de jeunes femmes et jeunes hommes contents de me lire, alors qu'avec Internet, je croyais qu'ils ne s'interrogeaient plus sur la création d'une famille en tant que LGBT. J’étais assez contente de servir à quelque chose.
Si le livre d'Elodie Font parle de coming in, votre livre, Séverine Tales, revient sur le coming out et la difficulté de franchir cette étape dans le milieu professionnel...
Séverine Tales : C'est devenu facile d'affirmer ce que je suis dans ma vie personnelle. Si les gens ne sont pas contents, ils passent leur route. Dans le monde du travail, ça a été un peu compliqué parce que ça pouvait entraver ma progression. Il aurait fallu changer d’employeur à chaque soucis. Or à un moment donné, on essaie justement de se poser dans une entreprise. La mienne n'était pas la plus ouverte au monde sur ce sujet, mais j'ai trouvé une réelle utilité à être dans cette entreprise parce que j’ai pu la faire grandir et que, à force de travailler avec plein de gens issus de la diversité, ils ont fini par s’ouvrir et ça, c’est beau.
La lutte contre l’homophobie est un combat quotidien que l'on n'a pas toujours envie de mener, y compris un dimanche matin à huit heures alors qu'on est levé depuis 5 heures. On n'a pas toujours cette énergie. Alors que j'étais un jour avec mon fils sur la plage, je me souviens avoir croisé un collègue de longue date qui s'étonnait de me voir avec un enfant parce qu'il ne m'avait jamais vu enceinte, et cherchait des yeux le reste de ma famille. J'ai encore en tête cette fraction de seconde où je me suis dit : "Je n'ai pas envie de lui dire la vérité sur moi, je n’ai qu’à lui dire qu’il n’est pas à moi." C’est tellement violent en tant que mère de penser à cela. Bien sûr, je ne l’ai pas fait. Je lui ai présenté mon fils, mais j’ai gardé longtemps cette histoire en moi. J’ai été très frappée d’avoir pensé cela et ma première réaction a été de la cacher, car elle était honteuse. C’est après quelques réflexions que j’ai eu envie de la partager dans le livre pour montrer qu'il restait encore beaucoup de combats à mener pour les couples homosexuels et les familles homoparentales.
Comment vos ouvrages ont-ils été accueillis par les maisons d'édition et par le public ?
Séverine Tales : J'ai envoyé un mail à une vingtaine d’éditeurs. Payot Graphic m’a répondu dès le lendemain. C'était une très belle expérience. Ils m’ont accompagnée dans la manière de structurer le récit et de l’enrichir en me laissant une grande liberté de ton et de choix artistiques. Ce ne sont pas des sujets toujours faciles à traiter, et des fois, je vais très loin dans mon humour, mais jamais ils ne m’ont dit stop. J’ai eu beaucoup de chance.
Élodie Font : Le livre a eu un très bon accueil auprès du public et des médias. Quand on parle des thématiques LGBT, on a toujours peur de subir du harcèlement en ligne. Je n’ai eu que des messages positifs et des remerciements de gens qui me racontent aussi leurs histoires. J'ai eu des échanges passionnants avec les lycéens sur le récit de soi, l'intime, l'acceptation de sa sexualité ou de son identité de genre. On a eu même eu le prix des lycéens au festival BD à Bastia 2022, en Corse.
Quel est l’apport de la BD dans la représentation des personnes LGBT ?
Élodie Font : Je pense que tous les supports sont essentiels. Il est essentiel qu’on ait plus de récits auxquels se référer, parce que quand on a des modèles et des représentations, on peut soi-même légitimer ce qu’on est en train de vivre, se dire que ce vécu à une résonance, existe quelque part et qu’on n'est pas seul. Pour moi, tout objet culturel LGBT permet aux gens de se sentir moins seuls. Que ce soit une bande dessinée, un film, une série ou un essai. Plus on aura de représentations, plus on pourra se dire qu’on existe, que nos vies comptent et qu’on a quelque chose à dire.
Quand je rencontre des jeunes de dix-sept à dix-huit ans qui ont encore du mal à se dire LGBT, je me dis qu’on a encore du chemin à faire. Il y a encore énormément de pays où ce chemin est escarpé. Il est donc essentiel qu’on ait des supports similaires pour pouvoir légitimer ce qu'on est. La culture est très importante. Un film, une BD ou une série peut aider des gens à accepter ce qu'ils sont.
Séverine Tales : Par rapport à un film qui se fait en équipe et qui demande à mobiliser des fonds, une bande dessinée est facile à réaliser et à lire. Il me suffit de quelques minutes pour faire un dessin quand j'ai envie de partager une émotion.
Dès mon enfance, je savais que j'étais homosexuelle et que je ne me marierai jamais avec un homme. Jusqu’à mes 25 ans, je pensais que je ne pourrais jamais avoir accès à la maternité, je n’y pensais pas. Dix ans après, je me retrouve avec trois petits enfants, des chaussettes sales, des biberons. C'est à la fois un choc et beaucoup d'émotions que j'avais besoin d'aborder en BD. C’était le moyen le plus simple, le plus accessible, le plus immédiat. En montrant un dessin à quelqu'un, je peux facilement déclencher un rire et c'est ce rire qui m'intéresse, me sauve, même, dans les situations difficiles. Je trouve que la BD est un super moyen de le déclencher.
Je ne pensais pas que cette bande dessinée serait importante pour tant de gens au regard de la représentation de nos familles. Je pensais qu’on n’en avait plus besoin. J’étais persuadée que c’était déjà passé comme combat, mais très vite, je me suis aperçue dans les réactions des uns et des autres que ce n’était toujours pas évident de se faire accepter. Et effectivement, nos familles ne sont pas visibles. Dès que j’ai compris cela, je me suis dit qu’il fallait la porter non plus uniquement comme une BD humoristique pour laquelle je signerai quelques dédicaces avant de retourner dans ma grotte, mais de continuer à dessiner pour mettre en lumière nos familles, parce qu'on en a besoin.
De nouveaux projets ?
Élodie Font : J’écris actuellement un livre sur la sexualité des femmes lesbiennes. Je rencontre beaucoup de gens pour ce projet et les échanges sont passionnants. Je pars de l’idée que la sexualité des femmes entre elles est soit invisibilisée, soit fantasmée. Il me semble très intéressant de creuser cette thématique. Je suis aussi en train d’écrire le scénario d’une bande dessinée sur le changement d'état civil des personnes trans ou non binaire.
Séverine Tales : Je travaille en ce moment sur un projet avec un ami qui est dans la création de séries. Même s'il est temporaire, ce projet m'a fait comprendre que ce qui m'intéresse, c’est de raconter des histoires, quel que soit le format. Il y aura donc d’autres projets, d’autres programmes. Tout dépendra des rencontres et des gens avec lesquels j'aurai envie de travailler sur des histoires qui font du bien.