Hong Kong : Carrie Lam et Denise Ho, deux femmes que tout oppose, au premier plan des manifestations

Deux femmes, deux styles, deux figures des évènements que traverse Hong Kong. La première est évidemment Carrie Lam, la première femme à occuper le poste de chef de l'exécutif. Impopulaire et conspuée par la rue. La seconde, elle, a rejoint dès le début le mouvement de protestation : Denise Ho, alias Hocc, une chanteuse qui a choisi de mettre sa notoriété au service de la défense de la démocratie. Portrait croisé.
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La cheffe de l'exécutif Carrie Lam, à gauche, et la chanteuse Denise Ho, à droite, sont deux figures féminines importantes à Hong Kong, et qui s'opposent politiquement.
©AP Photo/Vincent Yu/Jamey Keaton/
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Depuis près trois mois, la jeunesse hongkongaise défile pour protester contre un projet de loi permettant d’extrader vers la Chine populaire toute personne qui serait liée à une activité considérée comme criminelle, et ce, quelle que soit sa nationalité. La cheffe de l'exécutif, Carrie Lam a annoncé mercredi 4 septembre que ce projet de loi controversé allait être retiré.

Cette annonce n'a pas pour autant calmé la colère de la rue hongkongaise. La personnalité de Carrie Lam ainsi que son attitude n'ont eu de cesse de nourrir les contestations des manifestants. Quelques semaines avant cette décision, une chanteuse de Cantopop, Hocc (Denise Ho de son vrai nom) la désignait comme responsable de cette crise, lors d'une interviention à la tribune du Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies.
 

Qui sont ces deux femmes, que tout oppose et qui ont mis en lumière ce mouvement populaire ?

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La chanteuse Denise Ho lors de la 30ème cérémonie des Golden Melody Awards in Taipei, Taiwan, le 29 juin 2019.
©AP Photo/Billy Dai

Bien qu’étant née à Hong Kong, en 1977, Denise Ho a grandi à Montréal, au Canada, où elle étudie l’art. Elle y apprend le français qu’elle parle toujours. De retour à Hong Kong en 1996, elle participe et gagne contre toute attente un concours de chant télévisé, New talent singing award, alors qu’elle n’a que 19 ans. Rapidement elle est repérée par la star de la Cantopop, Anita Mui dont la jeune femme est fan. La star prend la jeune apprentie sous son aile, enregistre avec elle, la fait partir en tournée et fait décoller sa carrière aussi bien à Hong Kong qu’en Chine. Denise Ho devient Hocc. Sa carrière commence alors que Hong Kong vit un moment charnière de son histoire quand en 1997, l’ancienne colonie britannique est rétrocédée à la Chine, tout en conservant des libertés conformément au fameux principe intronisé par Deng Xiaoping, “un pays, deux systèmes”

Denise Ho, ou Hocc devient la grande soeur des Hongkongais.e.s qui fait de la pop pour jeunes filles. Son air juvénile, et sa musique, souvent considérée comme légère pourraient faire passer Denise Ho pour une popstar inoffensive. Pourtant, elle a toujours utilisé sa notoriété pour exprimer son engagement politique très prononcé. En 2012, elle est la première célébrité à faire son coming out. Elle militait déjà en faveur du mariage gay, notamment a Taïwan qui l’a voté en 2010, et certains de ses morceaux, comme Rosemary abordaient déjà le thème du lesbianisme dès 2002. 

"Carrie, va-t-en"

“Carrie Lam, step down”. C'est ce qu'on peut lire sur les pancartes de certains manifestants ces dernières semaines. En plus du slogan, on y voit le visage austère de la cheffe de l’executif hongkongais, derrière ses lunettes sur fond rouge, accompagné du signe de la faucille et du marteau. La personnalité de la première femme à occuper ce poste cristallise à elle seule la contestation de ce mouvement populaire. Souvent comparée à la “Dame de fer” Margaret Thatcher, par les journalistes, cette fonctionnaire de carrière de 62 ans est souvent présentée dans la presse comme “la marionnette aux mains de Pékin”, tant sa loyauté à son prédécesseur Leung Chu-ying et au régime Chinois sont évidents.

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Pancartes de manifestants représentant Carrie Lam, dans les rues de Hong Kong. 
AP Photo/Kin Cheung

Issue d’un quartier populaire, Carrie Lam a fait ses études dans les plus prestigieuses écoles catholiques privées de Hong Kong. Elle passe ensuite la quasi totalité de sa vie professionnelle dans la fonction publique dont sept années au Bureau des Finances, puis entre autres au Bureau du Logement, aux Affaires intérieures.
Lors de sa prise de poste, en 2017, elle prête serment en présence du chef d'Etat chinois Xi Jinping. Elle a d'ailleurs dû renoncer à sa nationalité britannique, acquise lors de ses études à Cambridge, pour pouvoir devenir cheffe de l'exécutif hongkongais. La plupart des observateurs estiment d’ailleurs que son projet de loi d’extradition vers la Chine, mis en cause par les manifestants, ne peut être qu’une consigne de Pékin. La rigidité de sa politique et son manque d’empathie ne font qu’amplifier son impopularité. Mais Carrie Lam ne cède pas si facilement, même si l'étau se ressert jour après jour un peu plus autour d'elle.

Un engagement de longue date

En 2014, des manifestations populaires ont lieu dans tout le territoire, organisées notamment par le mouvement Occupy Central. Le mouvement, connu plus tard sous le nom de “mouvement des parapluies” s’oppose au projet de loi du gouvernement de réduire la portée du suffrage universel dans l'élection du chef exécutif. Déjà, la police réprimait les manifestants qui utilisaient alors des parapluies pour se protéger des effets des gaz lacrymogènes. Carrie Lam est alors l’adjointe du chef du gouvernement de Leung Chun-Ying, en charge de défendre les réformes politiques voulues par Pékin. Sa tâche était de mener les discussions avec les mouvement étudiants. Après plusieurs mois, le projet de loi est abandonné. 

C’est à cette période que l’engagement de la chanteuse Denise Ho prend une véritable dimension politique. Alors qu’elle participe à une manifestation, elle assiste à la répression de la police, qui tire des gaz lacrymogènes sur la population. Révoltée, elle annonce à sa maison de disques, en octobre 2014, qu’elle va mettre en ligne un morceau engagé, pro-démocratique, écrit pour les manifestants, Raise the Umbrellas. Le morceau devient immédiatement l’hymne du mouvement Occupy.

“Je crois que ma célébrité, et le fait que les gens me reconnaissent, surtout la police, peut aider à protéger le peuple pendant les manifestations.”
Denise Ho, chanteuse pop

Pour sa maison de disque, c’est un suicide professionnel. Son manager la met en garde contre une telle décision, mais la jeune femme est déterminée. "Je n'avais pas peur. Je savais que je ne pouvais pas rester inactive", déclare-t-elle au magazine Society. La réponse chinoise est sans équivoque : insultes sur Internet, attaque des journaux, et surtout retrait de ses chansons des plateformes de streaming chinoises, comme QQ Music. De grandes marques dont elle est l’égérie, comme Lancôme ou L'Oréal rompent leurs contrats avec la chanteuse, par peur de perdre leurs clients chinois. Elle perd toute opportunité de continuer à faire son métier en Chine. 
 

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Des manifestants protestent contre la décision de Lancôme de stopper sa collaboration avec Denise Ho, peu après son engagement du côté du mouvement des parapluies, à Hong Kong, le 8 juin 2016. 
©AP Photo/Kin Cheung

Cela n'a visiblement pas freiné son engagement du côté des défenseurs de la démocratie. Dès le début du mouvement qui secoue Hong Kong depuis juin, Denise Ho se joint aux manifestant.e.s, dans la rue, le plus souvent visage nu. “Je crois que ma célébrité, et le fait que les gens me reconnaissent, surtout la police, peut aider à protéger le peuple pendant les manifestations” déclare-t-elle au Sydney Morning Herald. Pour elle, les Hongkongais n’ont pas cette culture de la protestation, des manifestations et les jeunes n’ont pas de repères face aux "violences policières”. “La police a jeté plus de 800 grenades lacrymogènes en trois mois. ça n’a pas de sens. J’essaye de faire descendre la pression”, affirme-t-elle à Society. Sa présence amuse ou agace les policiers. Certains lui demandent des selfies, d'autres l'insultent. 

Pour la chanteuse de 42 ans, la réponse de la police face aux manifestants est démesurée. “Ce ne sont que de simples citoyens. Il y a de très jeunes gens, des salariés. Ils n’avaient pas de protection particulières. C’était enrageant de voir comment la police traitait le peuple”, confie-t elle au SMH. Elle considère le mouvement actuel comme un mouvement de désobeissance civile, le gouvernement les ayant "poussés à bout." 

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La chanteuse pop Denise s'est rendue à Genève, en Suisse, pour s'exprimer devant le Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies. 
(AP Photo/Jamey Keaton)

Elle multiplie les interviews, notamment à l’étranger pour porter la parole des manifestants. “Tout ce qui s'est passé vaut-il le coup pour Carrie Lam, de passer la loi ? C’est la question que je lui adresse.”, lance-t-elle. 

Démission ? 

Depuis le début des manifestations, Carrie Lam, elle, se fait rare, et intervient peu publiquement. Elle, qui parlait "d'incidents" au début du mouvement, a rapidement dénoncé la "violence extrême" des manifestants qui sont entrés de force au Parlement. La cheffe de l'exécutif s'enferme de longues semaines dans une rigidité qui empêche tout dialogue. Elle impose ses décisions au peuple comme à ses collaborateurs, sans écart possible. 
 

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Mercredi 4 septembre 2019, Carrie Lam annonce à la télévision que la loi sur l'extradition est retirée.  
©AP Photo/Vincent Yu
"Je n'ai même pas envisagé la démission."
Carrie Lam, cheffe de l'éxécutif à Hong Kong

Peu avant l'annonce du retrait de la loi décriée, un enregistrement audio fuite dans la presse. Carrie Lam se dit prête à présenter sa démission. "En tant que cheffe de l'exécutif, avoir créé un tel chaos est impardonnable. Si j'ai le choix, la première chose est de démissionner, après avoir présenté de profondes excuses.", peut -on entendre en anglais dans cet enregistrement. Le lendemain, elle affirme officiellement ne pas avoir proposer sa démission au gouvernement chinois. "Je n'ai même pas envisagé la démission", déclare-t-elle face aux journalistes. Elle ajoute : "Le choix de ne pas démissionner, c'est mon choix. Je crois pouvoir mener mon équipe comme il le faut pour sortir de cette impasse." 

Deux femmes, deux religions

Les deux femmes partagent tout de même une spécificité, la religion, mais pas la même... Carrie Lam a fait toute son éducation dans de prestigieuses écoles catholiques de Hong Kong, réputées strictes et exigeantes. Elle exprime sa foi sans gêne, et se présente comme une chrétienne pratiquante. Certains la qualifient même de bigote. En 2015, elle cite un passage de la Bible dans un de ses discours qui a même fait réagir l'Église : "d’aucuns disent que les Huit Béatitudes s’appliquent fort bien à moi. ‘Bénis soient les persécutés pour la Justice, car le Royaume des cieux est à eux.’ Il y a déjà une place qui m’est réservée au paradis...". Sa décision de s'engager au poste de cheffe de l'éxécutif était une réponse à "un appel de Dieu"

Denise Ho, elle, rencontre le dalaï-lama, en 2016. Elle a alors 39 ans. Cette rencontre est décisive pour la chanteuse, qui se convertit au bouddhisme dans la foulée. Elle raconte au Monde : "C’est un chemin personnel, apprendre à accepter les choses comme elles viennent, à regarder la vie selon une logique circulaire plutôt que linéaire et, surtout, à apprendre à vivre sans peur". Elle pratique quotidiennement la méditation, notamment chantée et considère sa philosophie religieuse comme une manière de "purifier son énergie" autour d'elle.